Après la dramatique session de l’Assemblée nationale dont nous avons rendu compte hier, ce sont Jules Vallès et Le Cri du peuple (daté du 4 mars) qui nous donnent les informations (les citations sont en vert).

La paix est signée, on verra plus loin à quelles conditions.
Les Prussiens doivent avoir évacué Paris aujourd’hui, 3 mars.

BRAVO, PARIS!

On dit que M. Thiers a fondu en larmes! — Nous, les sacrifiés, nous ne pleurerons pas.

C’est bien. — La patrie n’avait pas assez craché de sang, — on va lui faire cracher de l’or.
On avait cru à Trochu buveur d’eau bénite — Les Prussiens vont loger à Reims, buffet de la sainte-ampoule.
On n’avait pas voulu la levée en masse et que tout le corps se redressât, comme un géant contre l’ennemi, — il a fallu laisser sur la tempe de Paris les forts braqués; il a fallu arracher du tronc la Lorraine et l’Alsace, couper cette mamelle, et on va la jeter palpitante et rouge dans le char du vainqueur!

Que dira de cela ce qui reste encore de la France, après ces déchirures et ce coup de trépan?

Que dira Marseille, mère des fédérés? que diront les faubourgs de Lille? que dira la Croix-Rousse? — J’entends leur douleur gronder comme le Rhône!… Descendront-ils le drapeau rouge? Il y aura des explosions de désespoir.
Nous, les sacrifiés, nous ne pleurerons pas. 

Sur la place de la Concorde, il y a des soldats allemands. On a voilé de noir les statues des villes, un crêpe est noué autour de leurs fronts de pierre: au balcon d’une ambulance, des blessés pâles se penchent et entendent rire les uhlans! C’est l’invasion!

Mais, sur la place de la Bastille, le Peuple afflue toujours autour de cette colonne qui domine la défaite et le deuil [voir notre article du 26 février]: sainte comme un tombeau, haute comme un phare, immobile comme un écueil.
Et ce n’est pas le désespoir d’un équipage, à l’heure de détresse qui vient prier près du grand mât!

La visite faite, les bataillons repartaient au pas accéléré, tambour en tête, vers les bivacs improvisés à l’angle des carrefours, au milieu des places, au coin d’un quartier, au cœur d’un faubourg. Il y avait, au bout de leurs fusils, des baïonnettes qui accrochaient les drapeaux noirs suspendus aux fenêtres, et y faisaient des trous par où passaient des lames de soleil!
Il passait du soleil! — À travers notre douleur aussi passait une flamme d’espoir! — Nous, les sacrifiés, nous ne pleurerons pas! 

On avait pris son courage à deux mains; on ne donnerait pas le coup de tète  contre le mur des Germains en armes!
Mais si le mur bougeait ou si un cuirassier poussait son cheval, si cette ligne tracée par les négociateurs sur le pavé était franchie d’un pas, oh! alors, malheur aux vainqueurs! On était prêt derrière les barricades et on lorgnait à travers les canons. Le sort de Paris tenait dans la giberne d’un uhlan.
Il n’a pas coulé une goutte de sang.– La garde nationale a été grande dans son deuil!

Mais elle a été aussi menaçante dans sa résignation! — Muette devant la fatalité de l’histoire, elle faisait tout de même sonner les crosses sur les pierres et comptait ses cartouches.
Elle était résolue à ne pas lancer ce défi: — À bas la Prusse! — mais les cris de: VIVE LA REPUBLIQUE! sortaient de tous les cœurs gonflés.

Et, sur cette Bastille, devant ce mausolée noir tout doré d’immortelles, au milieu de cette explosion de tristesse et de fierté, en coudoyant ces hommes venus de partout, des quartiers où l’on mange et de ceux où l’on jeûne, du Marais et de Belleville, du Panthéon et de la Chapelle, en regardant onduler ces képis de gardes nationaux par milliers, avec des shakos de chasseurs, et les calottes des zouaves, et le bonnet bleu des marins; dans ce même entrainement de patriotisme et de douleur, en contemplant ce spectacle, en écoutant tout cela, les républicains ont pu se dire que la République n’était pas encore morte, les rois pas encore ressuscités.
Nous, les sacrifiés, nous ne pleurerons pas!

Tous ces bataillons qui ont mis les pièces en batterie et ont gardé des barricades, cela fait une armée et suffirait pour faire une patrie!
Le Paris d’hier, il n’était pas gardé par la police, mené par le pouvoir, tenu en respect par des soldats, il était, pour la première fois peut-être dans l’histoire, livré à lui, et il n’y a pas eu d’accroc fait à la douloureuse consigne, pas un accroc fait à l’ordre, ni un accroc fait à l’honneur!
Les cités dont le pouls bat sans menottes au poignet, et qui n’ont pas de lisières aux bras, ont toujours, même dans le désespoir, le geste honnête. — Paris a mené, tout un jour, la vie des cités libres, il a, ce jour-la, juré qu’il ne laisserait pas assassiner la République! Ils ont bien été deux cent mille à faire ce serment.
Si ce serment rapproche les hommes de cœur, si, devant le malheur commun, des défiances tombent, des haines meurent; si cette paix sinistre tue la guerre; si la politique bourgeoise en est pour ses frais de trahison, et n’arrive pas, à pousser la République dans le tombeau, c’est bien!

Notre génération est sans doute condamnée à la peine sans fin. Et c’est le pauvre encore qui payera, en lambeaux de sa chair, les dettes de la bourgeoisie! Si la révolution sociale surgit de nos douleurs, M. Thiers aura eu raison de pleurer, — mais, nous, les sacrifiés, nous ne pleurerons pas!

JULES VALLÈS

PRÉLIMINAIRES DE PAIX

Art. 1er. La Prusse renonce à tous ses droits sur les territoires suivants. Deux pages suivent:
La Lorraine presque toute entière nous reste; dans l’Alsace, nous conservons Belfort; dans la Lorraine nous perdons Metz.
La ville et les fortifications de Belfort, restent à la France.
Art. 2. La France payera la somme de cinq milliards de francs; au moins un milliard en 1871, et le reste de la dette en trois ans.
Art. 3. L’évacuation des troupes allemandes commencera graduellement aussitôt la ratification.
Art. 4. Les troupes allemandes ne feront plus de réquisitions.
L’alimentation des troupes allemandes en territoire français sera à la charge de la France.
Art. 6. Les prisonniers de guerre seront rendus immédiatement après la ratification du traité.
Art. 7. L’ouverture des négociations pour la paix définitive aura lieu à Bruxelles, après la ratification par l’Assemblée.
La convention suivante a été conclue pour plus de facilité:
L’armistice est prolongé jusqu’au 12 mars prochain.
La partie de la ville de Paris entre la Seine et la rue Saint-Honoré sera occupée par des troupes allemandes, qui ne dépasseront pas 30,000 hommes.
L’armistice pourra être dénoncé le 3 mars.

Il faut comprendre la chronologie qui fait que l’occupation de Paris est annoncée là — elle a eu lieu dès le 1er mars comme nous l’avons vu.

*

L’estampe de Daumier date en réalité de l’automne — après Sedan. Mais j’ai trouvé qu’elle était à sa place ici: le paysage n’avait certainement pas embelli depuis. Je l’ai donc copiée au musée Carnavalet.

Cet article a été préparé en septembre 2020.