Lors de la séance des comités réunis à la Corderie le 27 février, on ne savait pas grand chose d’un « comité central de la garde nationale » (voir notre article du 28 février). C’est Henri Verlet, qui écrit maintenant dans Le Cri du Peuple et qui va représenter les comités de la Corderie aux réunions des délégués de la garde nationale, qui nous informe.

La toute première affiche signée « Comité central de la garde nationale » est apparue sur les murs de Paris au matin du 1er mars: ce comité avait décidé, comme les autres, de ne pas s’opposer à l’entrée des Prussiens dans Paris. Le texte en est publié dans Le Cri du Peuple daté du 4 mars.

Et nous voici le 4 mars. Avant de vous livrer le compte rendu de la réunion qui a abouti à l’affichage de l’affiche ci-dessus et qui sans doute s’est tenue le 3 — compte rendu qu’Henri Verlet donne dans Le Cri du Peuple daté du 5 (et donc paru le 4) — je reviens un peu en arrière, au soir du 1er mars. Et à la Corderie, pour une réunion du conseil fédéral de l’Association internationale des travailleurs. Ce soir-là, Eugène Varlin demande une communication d’urgence (dans cet article, les citations sont en vert).

Communication d’urgence. – Comité central de la garde nationale

Varlin. — Il serait urgent que les internationaux fassent leur possible pour se faire nommer délégués dans leur compagnie et pour siéger ainsi au comité central. Je demande la nomination d’une commission de quatre membres qui se rende auprès de ce comité, qui juge en quoi l’Internationale peut ou si elle doit s’en occuper, et qui fournisse ensuite tous les renseignements au C. F.

Et voici une partie de la discussion qui suit:

Varlin. — Allons là, non pas comme internationaux, mais comme gardes nationaux, et travaillons à nous emparer de l’esprit de cette assemblée.
Frankel. — Ceci ressemble à un compromis avec la bourgeoisie : je n’en veux pas. Notre chemin est international, nous ne devons pas sortir de cette voie.
Lacord. — Il faut absolument empêcher la garde nationale de se mettre à la remorque de la réaction, comme cela a eu lieu au premier tour de scrutin. Ces gens-là viennent à nous par suite de l’influence morale qu’a conquise l’Internationale. Pourquoi les repousser ?
[…]
Clamous. — En nous faisant nommer délégués dans nos compagnies, nous conquerrons une force réelle: usons de ce moyen. Nous saurons ainsi avec qui nous marchons.
[…]
Pindy. — On semble oublier qu’il y a là un risque de compromettre l’Internationale.
Frankel. — Personne ici ne peut engager l’Internationale avant d’avoir consulté sa section.
Goullé [Henri]. — Il n’y a pas à engager l’Internationale. Il s’agit d’avoir des internationaux parmi les délégués des compagnies, puis quatre membres dans le comité central, pour y agir en leur nom individuel et venir renseigner le conseil fédéral.
Clamous. — Ce sont des socialistes qui sont à la tête de l’affaire.
Varlin. — Les hommes de ce comité qui nous étaient suspects ont été écartés et remplacés par des socialistes qui désirent avoir parmi eux quatre délégués servant de lien entre eux et l’Internationale. Si nous restons seuls en face d’une telle force, notre influence disparaîtra ; et, si nous sommes unis avec ce comité, nous faisons un grand pas vers l’avenir social.

Pindy résume la discussion qui suit dans la proposition qu’il fait adopter, 1. Une commission de quatre membres est déléguée auprès du comité central de la garde nationale ; 2. Son action y sera individuelle et expressément réservée en ce qui concerne l’Association internationale des travailleurs pour la France.

Et voici, donc, le compte rendu que fait Henri Verlet de cette réunion, celle de la garde nationale, le 3 mars, à laquelle on va voir qu’il participe, mais aussi bien sûr qu’Eugène Varlin participe lui aussi.

Comité central de la Garde nationale

La réunion des délégués de la garde nationale a eu lieu hier au Wauxhall [Citoyen Verlet, vous auriez pu l’écrire, deux cents bataillons sont représentés — c’est d’ailleurs ce que l’affiche annonce tout d’abord!], sous la présidence du citoyen Bergeret. L’assemblée a fait preuve de la plus grande dignité et a vivement protesté contre les tentatives de désordre de quelques réactionnaires.
À une heure, la séance est ouverte. Un délégué du 140e bataillon s’élève contre une décision du ministre de la guerre concernant le non-payement des médailles militaires aux gardes nationaux de marche. L’Assemblée se prononce en sens contraire et déclare que ce qui donne une valeur aux médailles, c’est précisément qu’elles ne sont pas payées.
On adopte en bloc les statuts de la fédération, mais à titre provisoire, et on se réserve de les modifier à mesure qu’on en reconnaîtra les défauts.

Le citoyen Viard. — Il faut que toute la garde nationale obéisse aux ordres du comité central. Si la place envoie des ordres contradictoires, il faut être prêt à arrêter l’état-major.
Il faut s’organiser promptement pour pouvoir défendre la République et repousser le roi qu’un plébiscite rural nous amènerait.

Le citoyen Lacord. — Les armées permanentes doivent être supprimées et remplacées par la nation armée.

On procède ensuite à l’élection de la commission exécutive provisoire en maintenant les pouvoirs de certains membres.
Sont élus les citoyens Prudhomme, Alavoine, Frontier, Arnold, Piconel, Chauvière, Bénard, Gastioli, Véber, Lagarde, Bouis, Courty, Ramel, Bergeret, Lavalette, Viard, Fleury, Maljournal, Henri Fortuné, Boursier, Pindy, Varlin, Jacques Durand, Henri Verlet, Lacord, Ostein, Chouteau, Gasteau, Dutil, Matte et Mutin [Sont membres de l’Association internationale, au moins, Pindy, Varlin et Lacord (que nous avons vus au Conseil fédéral), mais aussi Maljournal, Jacques Durand et peut-être d’autres…].
Sur le nom du citoyen Verlet se produit un singulier incident. Le citoyen Metjé prét[end]ant que Verlet n’a jamais pu rendre ses comptes d’administration à la Patrie en danger, et que ce journal est tombé de son chef, il déclare tenir le fait des citoyens Regnard, Lacambre et Brideau [Verlet est bien obligé de parler de lui à la troisième personne…].

Le citoyen Verlet répond qu’il n’a jamais été administrateur de la Patrie en danger, et que, par conséquent, il n’a pu en dilapider les fonds, très restreints, du reste, comme on sait. Il ajoute qu’il était simple secrétaire de rédaction, et qu’il n’a jamais, de sa propre autorité, refusé un article socialiste ou autre.
Il annonce que son honneur se trouvant engagé, le Cri du Peuple publiera les résultats de l’enquête ouverte.
Les citoyens Gouhier, administrateur de la Libre-Pensée, Henri Goullé, ancien rédacteur de la Patrie en danger, Viard, etc., attaquent énergiquement le calomniateur. L’assemblée se joint à eux, repousse l’enquête demandée par-le citoyen Metjé, et maintient le nom du citoyen Henri Verlet.

L’incident est clos.

Le citoyen Varlin propose qu’on procède à la réélection des officiers de la garde nationale, dont beaucoup ont été révoqués contre tout droit.
Il est décidé que les commandants qui n’obéiront pas au comité seront révoqués par lui.

Un citoyen demande que le département de la Seine se constitue en République indépendante au cas où l’Assemblée de Bordeaux enlèverait à Paris son titre de capitale.

Ces deux propositions sont acclamées.

La séance est levée aux cris de Vive la République, et renvoyée à vendredi prochain.

HENRI VERLET

P. S. — A l’issue de la séance, le citoyen Metjé a déclaré aux citoyens Montelle, Maljournal et quelques autres qu’il n’avait pas entendu attaquer l’honorabilité du citoyen Henri Verlet.
Nous prenons acte de cette déclaration, venue un peu tard, et qui sera d’ailleurs confirmée demain par une lettre de mes anciens collaborateurs présents à Paris. — H. V.

*

L’affiche rouge qui rend compte de cette réunion, qui fait le titre et la couverture de cet article, vient d’un livre de Murailles politiques. Vous pouvez cliquer sur l’image ci-dessous pour l’agrandir et la lire plus confortablement.

Livres utilisés

Les séances officielles de l’Internationale à Paris pendant le siège et pendant la Commune, Lachaud (1872).

Varlin (Eugène)Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2019).

Murailles politiques françaises, Paris, A. Le Chevallier (1873-1874).

Cet article a été préparé en août 2020.