Ce n’est pas le premier livre dont j’ai rendu compte au début de ce site, le premier était La Guerre civile en France. Mais c’est le deuxième. J’attendais d’avoir la nouvelle édition (à L’Amourier) en mains pour vous en reparler, mais la poste n’a pas été assez rapide.

Bernard Noël est mort hier.

Je sais que Bernadette Griot avait pu lui apporter le livre sorti des presses et qu’il s’en est réjoui.

Mais c’est du livre que je veux parler. De façon un peu personnelle, si vous le voulez bien. Je n’ai pas appris l’histoire de la Commune dans des cours à l’université, en lisant ce que les professeurs (avaient écrit et) conseillaient. Ainsi, j’ai appris de bric et de broc, en lisant « tout ». Le livre de Bernard Noël a été une des illuminations de ces lectures. On m’a parfois demandé « Mais qu’est-ce que tu trouves à ce livre? » J’ai en général répondu par la boutade « Grâce à ce livre, on peut dire sans rire que les meilleurs livres sur la Commune sont ceux écrits par les écrivains. » En réalité, ce n’est pas qu’une boutade. Je n’en finis pas, je n’en finis toujours pas, d’admirer l’élégance du poète qui, en 1971, n’hésitait pas à commencer un livre sur l’histoire de la Commune par la mention de Pierre Eugène Aab. Son élégance… Son audace et son indépendance aussi. Je le répète, c’était en 1971, et il ne manquait pas de publications sur la Commune cette année-là. Aurore ou crépuscule? Dernière révolution du dix-neuvième siècle ou première du vingtième? Ceci ou cela? À ces raisonnements par dichotomie, Bernard Noël répondait: Pierre Eugène Aab. En tout cas, c’est comme ça que je l’ai lu, des années après.

Et puis, encore aujourd’hui, vous en connaissez beaucoup, des livres qui racontent la Commune, pas à des étudiants en histoire, mais à un public plus large? Il y a les deux livres de Laure Godineau, mais ce sont des « beaux livres ». Il y a aussi « le Tombs » qu’on finit par être obligé de citer — je vous ferai un jour une liste des erreurs et autres inadéquations qu’il contient.

Alors, retour au Dictionnaire de Bernard Noël — oui, il y a quelques erreurs dans ce livre aussi, dont un 29 février 1871, dans quel livre n’y en a-t-il pas? Il y a des informations toujours passionnantes, notamment sur les journaux. Il faut croire que ceux-ci intéressent plus les écrivains que les historiens…

Et, comme ce site avait, en mai 2016, peu de lecteurs, je conclus en citant ce vieil article — il n’était pas si mal…

Pierre Eugène Aab a été élu, le 10 avril 1871, capitaine de la Garde nationale. Il avait trente-six ans. Il a été fait prisonnier par les versaillais le lundi de la Semaine sanglante, 22 mai 1871. Il a été l’un des sept mille quatre cent quatre-vingt-seize communards condamnés à la déportation (en Nouvelle-Calédonie) simple (déporté mais pas bagnard).
Un anonyme.
Sauf que Bernard Noël a choisi d’écrire un article sur lui dans son Dictionnaire. Qui, forcément, commence par cet anonyme.
Le seul ordre que je respecte vraiment, c’est l’ordre alphabétique. Il est, utilisé ainsi, infiniment respectable.
J’ai lu le Dictionnaire de Bernard Noël assez tardivement. J’ai commencé par Pierre Eugène Aab… et je n’ai plus lâché le livre, que j’ai lu de A à Z, comme un roman.
Comme un roman?
Ah mais! C’est que l’auteur est un écrivain!
Je me souviens d’avoir écrit d’un livre, dans ma vie de mathématicienne, que c’était le livre de calcul différentiel que j’aurais aimé écrire. Eh bien, voilà le livre sur la Commune que j’aurais aimé écrire.
J’en écrirai un autre.
Ce n’est pas l’histoire par vomissures. Ce n’est pas la grande geste. Ce n’est même pas l’histoire apaisée.
C’est une histoire humanisée.
En la lisant, je retrouve mes émotions à dévider, dans les lecteurs de microfilms au fin fond du « rez-de-jardin » de la Bibliothèque nationale de France, les suites « Journaux de la Commune », « Journaux éphémères du dix-neuvième siècle »…
Bernard Noël a lu tout ce que lisent les historiens — et même les journaux, tous les journaux.
Bernard Noël parle des hommes — et même des femmes.
Bernard Noël écrit comme un écrivain — et même par ordre alphabétique.

Son Dictionnaire est disponible à L’Amourier.

Livres cités

Noël (Bernard)Dictionnaire de la Commune, Flammarion (1978), réédition L’Amourier (2021).

Marx (Karl)La Guerre civile en France, Édition nouvelle accompagnée des travaux préparatoires de Marx, Éditions sociales (1972).

Godineau (Laure)La Commune de Paris par ceux qui l’ont vécue, Parigramme (2010), — La Commune expliquée en images, Le Seuil, 2021.

Tombs (Robert)Paris, bivouac des révolutions La Commune de 1871, Libertalia (2014).

Rouvière (François), Petit guide de calcul différentiel, Cassini (2003).