Le 5 juin 1871 est un lundi. À la séance de l’Académie des sciences, Charles Delaunay, le directeur de l’Observatoire, « fait la communication suivante » (je le cite en vert, en l’interrompant ici ou là pour des explications ou commentaires):

J’aurais voulu donner à l’Académie, dès lundi dernier [s’il n’y a pas eu de séance le 22 mai, il y en a eu une lundi dernier, 29 mai], des détails sur ce que l’Observatoire de Paris a eu à souffrir pendant les jours de calamité publique que nous venions de traverser. Mais, étant sorti de Paris, le vendredi 26 mai, dès que l’Observatoire m’a paru hors de danger, je me suis trouvé dans l’impossibilité d’y rentrer avant la séance de l’Académie. 

Charles Delaunay a présidé toutes les séances de l’Académie des sciences pendant la Commune, il est parti en province voir sa mère, ainsi qu’il en avait prévenu ses collègues avant la séance du 29. Ce n’était pas un « franc-fileur », contrairement à son collègue Faye, le président en titre, qui venait de rentrer à Paris, présidait cette séance, et avait déclaré, sans vergogne, en l’ouvrant:

En revenant à Paris après une absence forcée et une angoisse de deux mois, je me félicite de retrouver, au milieu de tant de ruines, l’Institut debout, et de n’avoir aucun de nos confrères à compter parmi les illustres et innocentes victimes de cette insurrection anti-française.
Vous avez tenu fermement, en ces temps néfastes, le drapeau de la science, montrant au pays entier que, si Paris peut cesser un instant d’être le centre politique de notre pays, il n’abdique pas du moins son rôle séculaire des sciences et des arts.

Mieux vaut laisser Delaunay continuer.

Les grands instruments de l’Observatoire, qui avaient été démontés et mis en lieu sûr pendant le siège de la ville par l’armée prussienne, étaient déjà réinstallés, et nos travaux de toute espèce commençaient à reprendre une certaine activité, lorsqu’a éclaté la malheureuse insurrection qui vient de se terminer par de si grands désastres. Pris à l’improviste, et ne soupçonnant pas d’ailleurs que cette insurrection pût prendre d’aussi effroyables proportions, j’ai laissé tous les instruments de l’Observatoire en place. [Comme beaucoup de Parisiens, il n’était probablement pas défavorable à la Commune en mars…] Bientôt, en présence des exigences croissantes de la Commune, la plupart des astronomes ont dû quitter l’Observatoire et se réfugier en province. M. Marié-Davy est venu s’installer dans l’établissement et m’a été d’un puissant secours pour en sauvegarder les parties les plus essentielles.

Comme directeur, Charles Delaunay était logé à l’Observatoire. Au cours de la séance du 29 mai, les académiciens ont entendu un rapport de Michel Chevreul (vous savez, le chimiste, dont nous avons vu la colère face au bombardement prussien le 9 janvier). Directeur du Muséum, il a expliqué que la présence de plusieurs collègues logés sur place avait empêché qu’il y ait trop de dégâts — et que par contre, à la manufacture des Gobelins, dont il était aussi le directeur, il ne s’était

trouvé aucune autorité […] lorsque le feu y a été mis,

de sorte que, malgré l’initiative prise par les tapissiers, l’incendie avait fait des ravages et entraîné des pertes vraiment désastreuses. Charles Delaunay prêche, lui aussi, pour la présence de responsables sur place.

Jusqu’au dimanche 21 mai, nous n’avons pas été inquiétés. Mais, à l’approche de la crise finale, l’Observatoire a été envahi par les insurgés qui en ont fait un centre de résistance, sans qu’il nous fût possible de nous y opposer.

Lundi 29 mai, Yvon Villarceau, un autre astronome, rendant compte (de façon à vrai dire moins calme) des mêmes événements, précisait:

Dans la nuit du 23 au 24 mai, seize à dix-huit personnes, dont les trois quarts composés de femmes et d’enfants […]

Si je compte bien, douze ou treize femmes et enfants et quatre ou cinq hommes… Des insurgés peut-être, mais peut-être aussi terrorisés et se réfugiant là pour échapper à la terreur versaillaise? La suite de ce que dit Charles Delaunay confirme cette hypothèse. Ainsi que l’escalade de la violence.

Cette construction élevée, massive, avec sa terrasse supérieure garnie de solides parapets en pierre, constituait en effet pour eux une véritable forteresse; il s’y sont maintenus longtemps, malgré le feu nourri des troupes qui cherchaient à les en déloger. Dans la nuit du mardi 23 au mercredi 24, les insurgés ne pouvant plus tenir se sont retirés en mettant le feu dans une pièce du rez-de-chaussée, dont ils avaient enfoncé la porte. Avertis à temps, nous sommes parvenus à éteindre l’incendie; mais déjà de beaux instruments de Géodésie avaient été détruits, ainsi que M. Y. Villarceau l’a fait connaître à l’Académie dans sa dernière séance. Bientôt les insurgés, faisant un retour offensif, sont rentrés à l’Observatoire, furieux de ce que nous avions mis obstacle à leurs projets de destruction, et déclarant qu’ils mettraient de nouveau le feu, mais cette fois partout en même temps, afin qu’il nous fût impossible de l’éteindre. Nous sommes restés sous le coup de cette menace pendant douze heures encore, au bout desquelles l’Observatoire a été délivré, sans que les nouveaux projets d’incendie aient été mis à exécution.

Outre la perte des instruments de Géodésie, dont a parlé M. Y. Villarceau, nous avons à regretter la détérioration du grand équatorial de la tour de l’ouest, construit pas M. Echens; cet équatorial a reçu beaucoup de balles, mais il n’a malheureusement pas été atteint dans ses parties essentielles et peut être réparé. L’équatorial de Gambey a reçu une seule balles qui n’a fait que déformer le tuyau de la lunette. Toutes les coupoles de l’Observatoire sont criblées de trous de balles. Mais, au milieu de tous ces dégâts, je suis heureux de pouvoir dire que la salle des instruments méridiens est absolument intacte, et que rien n’a souffert dans notre bibliothèque, ni dans nos archives.

Mais, Monsieur le Directeur, vous n’oubliez pas un petit quelque chose? Que sont-ils devenus, ces femmes et ces enfants, ces insurgés, après ce que, malgré votre modération, vous appelez la « délivrance »?

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La photographie du grand équatorial coudé (un télescope, comme vous voyez) date de la fin du dix-neuvième siècle et se trouve au musée Carnavalet. Détérioré par les balles versaillaises en mai 1871, il avait sans doute été réparé depuis longtemps.

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Tout est tiré des Comptes rendus de l’Académie des sciences, sur Gallica, et précisément là pour ce volume de 1871.

Cet article a été préparé en janvier 2021.