La « bibliographie critique de la Commune » de Le Quillec dit des Massacres de Paris:

ce livre est un exemple des difficultés de la transposition en roman de la réalité historique.

D’après moi, rarement critique a été aussi inadaptée!

Quelle est donc la « réalité historique » de ce roman?
Il paraît en feuilleton à partir de novembre 1935 dans Vendredi, hebdomadaire « du Front populaire ». Son auteur, Jean Cassou, né en Espagne, est alors actif au Comité de Vigilance des Intellectuels antifascistes.
Le roman porte la marque de son temps, de façon visible lorsqu’il dénonce la guerre et les nationalismes, même si c’est à propos de la guerre franco-prussienne. De façon encore plus visible dans la voix d’un de ses personnages, Linden, un poète allemand.

— J’ai vu des étudiants brûler des livres devant leur université.

Comme en 1935, on pense aujourd’hui aux nazis au pouvoir, et peut-être aussi à un autre poète allemand, Heinrich Heine, dont le « On commence par brûler les livres, on finit par brûler les hommes », devenu aujourd’hui presque obligatoire, était moins commun en ce temps. Linden dit aussi :

— Pourquoi n’avez-vous pas d’antisémitisme, vous aussi? Pourquoi l’idée ne vous vient-elle pas de massacrer les juifs, vous aussi?

Vu d’aujourd’hui à nouveau, il serait tentant aussi d’imaginer l’armée versaillaise charger en criant « Viva la muerte! », mais ce serait anachronique: la guerre civile espagnole ne commence que quelques mois plus tard.
Ce qui n’est pas anachronique et qui était clair aux lecteurs d’hier,

on sent que l’auteur a perpétuellement, en tête les Camelots du roi et les Croix de feu quand, il décrit les Versaillais, les manifestants de la place Vendôme. Tout comme nous voyons bien que c’est des jours de Février 1934 et des grandes journées populaires des deux dernières années qui lui viennent les couleurs mêmes dont il avait besoin pour peindre avec amour le Paris de la Commune.

… comme le dit Aragon, dans L’Humanité du 15 mars 1936, lorsque le livre paraît en volume.

Cette histoire héroïque, tient du roman, et de l’Histoire. Elle est l’aventure d’un jeune bourgeois de l’autre siècle, mais aussi elle paraît en France aux jours du Front populaire, et pour qu’elle atteignît à cette puissance de sentiments, à cette réalité dans la romance, il fallait bien qu’elle fût le reflet d’une grande aventure contemporaine, le passage aux côtés du prolétariat de l’intelligence française.

Mais pourquoi donc parler de la Commune en 1935 ?
La plus grande manifestation à Paris cette année-là fut la « montée au mur », pour la première fois unitaire, un immense déferlement populaire, dont il serait inadéquat de ne se souvenir que de la photographie des dirigeants, Blum, Thorez, devant le Mur.

Mais revenons aux Massacres de Paris.
Théodore Quiche est donc un bourgeois, inventé au temps du Front populaire, et engagé « aux côtés du prolétariat ». Lorsqu’il est paru en feuilleton, le roman s’appelait d’ailleurs Faubourg Antoine, en mémoire, comme dit l’un des personnages dès le début du roman, des insurrections ouvrières du siècle:

— Voilà qui me rappelle juin 48. Ça chauffait par ici.

Et en effet il le raconte, il a été emmené dans les caveaux des Tuileries, les gardes mobiles tiraient des coups de feu au hasard par les soupiraux, il raconte aussi le 2 décembre (1851) où il s’est battu rue d’Aligre. Il est la mémoire vivante de cette histoire.
Le feuilleton n’est-il pas aussi la porte (dérobée) par laquelle le peuple est entré, comme sujet, dans la littérature ? Le titre de la version livre du roman n’est-il pas un hommage aux Mystères de Paris? On appréciera d’y trouver ces attributs du genre que sont les souterrains et les glaces sans tain, pour

le plaisir de mettre en scène Napoléon III et Eugénie

dit Paul Nizan dans Commune (quel beau titre!) en juin 1936, et il regrette que le livre ne soit pas paru dans une collection plus populaire (il mentionne Zevaco). Mais ce faubourg Antoine

vit dans l’attente d’une métamorphose du monde. Cette attente ouvrière est aussi bien une attente poétique: les amis intellectuels de Quiche voient dans la révolution les grandes occasions futures du développement de la poésie. […] Ces raisons qu’ont vers 1869 des jeunes gens d’adhérer à la révolution expliquent assez bien les motifs qui poussent aujourd’hui vers elle tant d’intellectuels et qui amènent Jean Cassou lui-même dans ses rangs.

Dit, toujours, Paul Nizan. Ces raisons amènent Théodore Quiche au comité central de la garde nationale, à la Commune et… au bagne de l’île de Nou. En passant par le « Mur » du Père Lachaise où il voit tuer la femme qu’il aimait. Car, comme dit Paul Nizan,

L’adhésion aux valeurs pour lesquelles le prolétariat lutte comporte l’amour pour ses filles capables de tenir le fusil et d’être les compagnes des révolutionnaires.

… la critique est de son temps, elle aussi !

Nous voilà invités, M. Le Quillec, à considérer le roman historique comme… un objet historique. Le Canon Fraternité est un livre écrit au temps de mai 68 et, pour parler des exemples que je connais le mieux, le narrateur de Comme une rivière bleue a les pieds dans le vingt et unième siècle, les personnages de Josée Meunier 19 rue des Juifs sont des réfugiés…

Feuilleton et roman historique « révolutionnaire », Les Massacres de Paris sont un beau roman « sur » la Commune, oui, un beau roman de son temps, et aussi un beau roman pour notre temps — contre les nationalismes, contre la guerre, est-ce bien dépassé?

Si j’ai cité des critiques du temps, car ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de citer Paul Nizan, j’ai aussi lu avec grand intérêt et plaisir, et j’ai utilisé, un article beaucoup plus récent, Un roman historique antifasciste, d’Alexis Buffet, du titre duquel je me suis inspirée pour le titre de celui-ci.

Il semble, d’autre part, que le livre soit toujours disponible chez son éditeur.

Livres et articles cités

Cassou (Jean)Les Massacres de Paris, Gallimard (1935).

Buffet (Alexis)Un roman historique antifasciste: Les Massacres de Paris (1935) de Jean Cassou, Aden n°12 (2013), pp.62-81.

Le Quillec (Robert)Bibliographie critique de la Commune de Paris 1871, La Boutique de l’histoire (2006).

Chabrol (Jean-Pierre)Le Canon fraternité, Paris, Gallimard (1970).

Audin (Michèle)Comme une rivière bleue, L’arbalète-Gallimard (2017), — Josée Meunier 19 rue des Juifs, L’arbalète-Gallimard (2021).