Non, je ne vous fais pas un « Proust et la Commune ».

Apparemment, les spécialistes de Proust ne savent pas tout sur la Commune — mais ils savent que ce fut une calamité, et même que « la capitale était abandonnée aux exactions des communards ». J’ai lu que c’est à cause « des événements de la Commune » que Marcel Proust est né rue La Fontaine et pas rue Roy. C’est-à-dire à Auteuil, sous les obus versaillais et les jolies fumées des boîtes à mitraille plutôt que dans le huitième arrondissement. Je me permets de placer là quelques points d’interrogation: ??? Pourquoi croyez-vous que plus personne ne défendait le Point-du-Jour le 21 mai? Que le viaduc d’Auteuil était dans l’état que vous voyez sur la photo — une photo d’Hippolyte Biancard, qui est au musée Carnavalet

Se réfugier à Auteuil? 

D’ailleurs, il est né le 10 juillet, le petit Marcel, un bon mois et demi après que les exactions, même versaillaises, aient cessé dans ce quartier. 

Commençons par le commencement — enfin, un commencement. Ses parents se sont mariés — oui, dans ce milieu, on se marie avant de faire des enfants — le 3 septembre 1870 (une bonne date, semble-t-il, nous avons vu Marie David et Napoléon La Cécilia en faire autant le même jour) dans le dixième arrondissement, « pays » de la mariée, Jeanne Clémence Weil. Elle avait 21 ans et le marié, Achille Adrien Proust, était un médecin de 36 ans — la différence d’âge en usage dans les familles bourgeoises. Parmi les témoins figuraient plusieurs membres de la famille de la jeune fille, et en particulier

Isaac Adolphe Crémieux, membre du gouvernement provisoire et ministre de la Justice en mil huit cent quarante huit, député de la Seine et membre du conseil général de la Drôme, âgé de soixante quinze ans, demeurant rue Bonaparte, n°1, grand oncle de l’épouse

— ministre de la Justice, Adolphe Crémieux l’a été à nouveau dès le lendemain, 4 septembre 1870.

Adrien Proust a été décoré de la légion d’honneur le 8 août (et pas en septembre, comme je l’ai lu) sur le rapport du ministre de l’agriculture et du commerce, ce qui laisse une chance (plutôt faible, mais en septembre elle aurait été nulle) que ce soit (comme je l’ai lu aussi) l’impératrice Eugénie qui lui ait remis cette décoration.

Décoré et marié, le Docteur Proust et son épouse vont donc vivre 8 rue Roy, dans le huitième arrondissement. 

Je lis aussi que, si Marcel Proust était asthmatique, c’est parce que sa maman, enceinte, a été mal nourrie pendant le siège de Paris. Sûrement, des gens compétents en médecine se sont prononcés sur cette question. La rue Roy n’était pas un des lieux où l’on mourait vraiment de faim dans Paris — à peine à 350 m de la boucherie anglaise, celle des éléphants, vous savez… — surtout quand on était la fille d’un agent de change, la femme d’un médecin et la petite-nièce d’un membre du gouvernement (même si, je le sais, pendant le siège, Adolphe Crémieux était à Tours). 

Car, et c’est le sujet de cet article, Marcel Proust est né. Le 10 juillet à onze heures et demie du soir. Son père est allé déclarer sa naissance trois jours après (peut-être parce que, comme je l’ai lu, le docteur Proust craignait que l’enfant ne vive pas), lui a donné tous les prénoms de Valentin, Louis, Georges, Eugène et Marcel, dans cet ordre. Il était accompagné de son beau-père Nathé Weil et du frère de celui-ci, Louis Weil, chez qui Jeanne Weil avait accouché, 96 rue La Fontaine. À Auteuil, donc.

C’est donc aussi le cent cinquantenaire de Marcel Proust et, comme je n’ai pas raté le cent cinquantenaire… du centenaire de Beethoven, je tiens à mentionner cette naissance — en souvenir d’un jour de mai 2017 où j’ai lu avec des bonheurs très différents mais aussi intenses, quasi simultanément, de longues et délicieuses évocations des peignoirs de Mme Swan et… les passionnants Souvenirs de Gustave Lefrançais.

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Je ne cite pas les pages sur Proust où j’ai lu quelques-unes des âneries citées ci-dessus. Les autres sources sont évidemment dans l’état civil aux archives de Paris et sur le site Leonore (légion d’honneur) des archives nationales.

Livres cités

Proust (Marcel), À l’ombre des jeunes filles en fleur, Gallimard (1918).

Lefrançais (Gustave), Souvenirs d’un révolutionnaire, La Fabrique éditions (2013).