Le 12 octobre 1871, le quatrième conseil de guerre siège à nouveau à Versailles.
Ce jour-là, il s’attaque à une jeune femme nommée Maria Bouard.
Je l’ai découverte sous le nom « Marie Bonard », dans le 
compte rendu de l’audience paru dans La Gazette des tribunaux du 13 octobre. Cette faute dans son nom m’a rendu difficile, et même impossible, de trouver sa trace ailleurs que dans ce compte rendu. D’autant plus qu’il y a aussi une « Marie Bonnard », avec deux n, impliquée, elle, dans l’affaire Lecomte-et-Clément-Thomas.

Comme je m’en plaignais à Maxime Jourdan, il m’a signalé qu’il y avait un dossier en conseil de guerre au nom de Maria Bouard, avec un u (j’avais cherché Bonard, avec un n, sans résultat). Je n’avais pas non plus trouvé trace de cette condamnée à son arrivée en Nouvelle-Calédonie. Mais, sur Maria Bouard, il y a un article du Maitron en ligne. En effet, elle n’est jamais arrivée à Nouméa.  
Puis, Maxime Jourdan est allé à Vincennes et a consulté le dossier en question (8J 107) au Service historique de la défense. 
Ainsi j’ai eu confirmation que « Marie Bonard » s’appelait Maria Bouard.

Pour cet article et le suivant: je vais présenter l’inculpée, puis citer le compte rendu du journal, avec des commentaires issus de ma lecture d’autres journaux et du dossier (le code couleur: bleu pour moi, noir pour cette citation, j’ai aussi corrigé le nom).
Vous verrez comme on continue à « juger ». Vous pourrez lire et relire, il n’y a pas l’ombre d’une preuve de quoi que ce soit. Et nous retrouverons Maître Laviolette (que nous avons vu défendre Ferrat et Rose Jardinand).

Maria Bouard déclare être née le 26 août 1843 à Saugues, dans la Haute-Loire. Elle dit vivre à Paris depuis octobre 1867, date où elle est arrivée de Saint-Étienne, pensant qu’elle gagnerait mieux sa vie à Paris. Elle est culottière. Elle habite, en 1871, 20 rue Albouy (aujourd’hui Lucien Sampaix) dans le dixième arrondissement. Elle travaille en journée pour des tailleurs. « Quand j’étais sans ouvrage, a-t-elle dit lors de son interrogatoire, j’ai essayé d’obtenir du travail à la Bourse où la Commune distribuait des vêtements à confectionner pour la garde nationale ». Elle signe son nom de façon claire, elle sait probablement lire et écrire. Elle a été arrêtée le 26 juin 1871 par le commissaire du quartier de la Porte-Saint-Martin à la suite de dénonciations dont il sera question dans le compte rendu, et il l’a « envoyée à l’autorité militaire ».

La voici donc devant le conseil de guerre, quatre mois plus tard. Lorsqu’elle comparaît, elle est « détenue à la maison de correction de Versailles ».

Participation à l’insurrection
Arrestation illégale

Ce n’est pas la première femme que nous voyons comparaître devant le conseil de guerre; mais c’est un de ces faits amenés par les circonstances extraordinaires au milieu desquelles nous vivons, et qui ne nous paraît pas moins singulier.

Maria Bouard n’est pas une de ces mégères dont on s’est plu à retracer les portraits, qui, une torche dans une main, un fusil dans l’autre, excitaient les combattants fédérés au pillage et à l’incendie. Elle a vingt-six ans, est presque jolie et répond, avec un remarquable aplomb, aux questions qui lui sont posées par M. le président.

[Une femme de vingt-six ans, assez fraîche et presque jolie, écrit un journaliste de La Patrie. Elle a vingt-huit ans, et, hélas, le dossier en conseil de guerre ne contient pas de signalement.]

Son système de défense est d’ailleurs des plus simples. Elle nie tout, tout, même les faits qui paraissent les plus incontestables.

[Elle apporte aux débats cette force de résistance et de négation qui semble le privilège des femmes, dit ce monsieur de La Patrie.]

M. le greffier donne lecture du rapport.

[Ce rapport nous apprend notamment que « Comme toutes les femmes ou presque toutes, elle se croit victime de la jalousie de ses voisines ».]

L’accusée l’écoute tranquillement, puis, sans attendre qu’on lui dise de le faire, se lève pour répondre.

M. le président. — Vous vous êtes adressée à Lisbonne, colonel des fédérés, pour faire arrêter un jeune homme réfugié chez une dame Gandillon? — Non, M. le président.
D. Vous avez voulu faire arrêter madame Gandillon elle-même? — Je nie le fait.
D. Vous verrez que les témoins diront le contraire.
R. C’est possible, mais c’est moi qui dis la vérité.

Mme Coste, le premier témoin, ne répond pas à l’appel de son nom. M. le président donne lecture d’une lettre dans laquelle ce témoin déclare avoir entendu Maria Bouard dire: « Vous versez donc du vin aux versaillais; c’est bien plutôt du poison qu’il faut leur donner. »

[Cette lettre ne figure pas dans le dossier au SHD. Il n’y a pas de lettre de Mme Coste, mais un rapport très indirect d’un policier: il dit qu’une dame Coste, passementière de 26 ans, lui a dit que Maria Bouard lui aurait dit avoir construit des barricades. Mme Coste a signé ce rapport. Le poison ne figure pas dans ce rapport mais dans celui d’un autre policier et c’est Mme Gandillon qui en a parlé.]

M. le président. — Eh bien! qu’avez-vous à dire à cela?
R. J’ai à dire que c’est tout le contraire. Je n’ai jamais voulu verser que du vin aux soldats. Je n’ai pas un instant songé à leur donner du poison.

Le témoin suivant, Mme Maître-Pierre, n’est pas moins affirmative.
M. le président. — Avez-vous entendu l’accusée tenir des propos contre les soldats de Versailles?
R. Parfaitement. Elle disait entre autres choses: « Ce qui est différé n’est pas perdu; ils peuvent entrer les versaillais, ils verront bien comment on les traite ».
M. le président (à l’accusé[e]). — Avez-vous prononcé ces paroles?
R. Non, monsieur.
D. (au témoin). Que savez-vous de relatif à l’arrestation de Mme Gandillon?
R. Marie Bonard a voulu la faire arrêter par Lisbonne.
D. (à l’accusée). Qu’avez-vous à répondre?
L’accusée. — Rien du tout. (Elle rit.)
M. le président. — Croyez-vous vous attirer ainsi l’indulgence du conseil? Répondez plus correctement aux questions qui vous sont posées.

Mme Gravelle.
D. Que savez-vous se reportant à l’accusation?
R. Je sais que l’accusée Maria Bouard s’adressa au colonel Lisbonne pour faire arrêter un jeune homme, sous prétexte qu’il venait de Versailles et servait d’espion aux versaillais.
D. Mais vous l’avez vue parler avec Lisbonne?
R. Non, elle était seulement près de lui.
D. Vous connaissez Lisbonne? pourriez-vous le reconnaître?
R. Je connais Lisbonne mais je n’ai pas vu l’accusée parler avec lui.
D. Le reconnaîtriez-vous?
R. Non! je ne l’ai vu qu’une fois; on me dit: « Ce colonel, c’est Lisbonne ».
L’accusée. — Je ne connais pas Lisbonne, et j’affirme ne pas l’avoir vu en ce jour-là.

Mme Gandillon (rappelée) soutient qu’elle a vu Lisbonne avec l’accusée: elle allait, en outre, souvent aux avant-postes avec un sieur Richardet, son amant, et tenait les propos les plus hostiles contre les soldats de Versailles. Elle disait: « Ils ont beau faire, nous saurons bien nous débarrasser d’eux, même s’ils entrent dans Paris! »
Maria Bouard nie ce propos.

Mme Poinson, concierge, n’a pas vu l’accusée le 21 mai.

À suivre

*

La « presque jolie » jeune femme de la photo s’appelait Blanche Corbine, elle a été photographiée par Appert, je suppose à la prison des Chantiers, elle n’est pas connue du Maitron, je l’ai pourtant trouvée au musée Carnavalet.