Nous sommes toujours les 4 et 5 décembre devant le 3e conseil de guerre, voici donc la suite de l’article précédent.
Comme dans celui-ci, j’utilise l’article du Constitutionnel daté du 7 décembre 1871. Avec coupures et commentaires (là encore le texte cité est en vert et mes commentaires en noir). Nous voici, toujours dans le rapport de Gaveau, pendant la Semaine sanglante, le 25 mai.
Le 25 mai, la résistance acharnée des bandes insurrectionnelles s’était centralisée à la mairie du 11e arrondissement; Lisbonne fut choisi par Delescluze pour aller avec Vermorel prendre le commandement des barricades de la rue du Château-d’Eau et des environs [la « barricade du Château-d’Eau, à l’entrée du boulevard Voltaire]. C’est ainsi que, vers midi, plusieurs témoins le virent donner des ordres à la barricade de la rue de Malte, élevée entre le théâtre du Château-d’Eau et l’extrémité des Magasins-Réunis. Sur ce point, le combat dura jusqu’à six heures du soir; Lisbonne avait quitté la barricade vers trois heures et demie, se dirigeant du côté de la place du Château-d’Eau. Peu de temps après, il tombait frappé d’une balle à côté de Vermorel.
Lorsque les insurgés durent abandonner la barricade, ils mirent le feu aux Magasins Réunis et essayèrent de placer un tonneau de pétrole sous le péristyle du théâtre du Château-d’Eau [Il semble avéré que les « Magasins réunis », entre la rue du Faubourg-du-Temple et le départ de notre avenue de la République, ont été incendiés par les obus versaillais dirigés contre la barricade — les communards étaient de l’autre côté.]. Ils ne purent réussir, grâce à l’énergie du sieur Lecellier et des employés du théâtre. Quant à Lisbonne, on le transporta blessé à la caserne des Lilas, où il prit le faux nom de Marchand. Transporté ensuite à l’hôpital militaire de Saint-Mandé, il avoua son véritable nom dès le premier interrogatoire.
Lisbonne est accusé: 1° d’attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement; 2° de commandement dans des bandes armées; 3° de port d’armes et d’insignes militaires; 4° de pillage, en employant la violence et les menaces de mort; 5° d’envahissement de plusieurs maisons habitées; 6° de construction de barricades; 7° d’être l’auteur ou le complice de treize arrestations illégales connues, accompagnées presque toutes de menaces de mort; 8° de pillage, de dévastation, de réquisitions, ordonnés ou tolérés ; 9° de participation aux incendies de la rue Vavin; 10° de tentative d’embauchage de soldats de l’armée régulière.
Ici s’achève le rapport de Gaveau. Suit un résumé de l’interrogatoire de l’accusé.
Lisbonne reconnaît avoir pris une part très active aux affaires d’Issy, du Panthéon et du boulevard, mais il proteste contre les arrestations arbitraires et les faits d’incendie. Il aurait toujours obéi aux ordres d’Eudes, de La Cécilia et de Delescluze.
Et voici les témoins.
M. Perrot, négociant, dont le magasin a été pillé, et l’employé Philibert, menacé de mort, le garde champêtre Souchon, les époux Metdenaecxt, le concierge du séminaire, ont été menacés et arrêtés; le directeur de Saint-Nicolas à Issy a été arrêté avec vingt-huit personnes de son établissement. Les prisonniers, conduits à la préfecture, puis à Mazas, n’ont été délivrés que le 25 mai.
Salomon, chef de cuisine, nourrissait près de six cents fédérés au fort d’Issy. Quand il a demandé de l’argent, il a été conduit à Mazas. On a menacé son beau-père qui protestait contre cette façon d’agir.
Tous ces témoins attribuent leurs infortunes à Lisbonne, qui n’avait point un rôle aussi effacé qu’il veut bien le dire.
M. Pie, brigadier de gendarmerie, raconte comment le comité central envoya des bandes pour s’emparer des armes de la caserne des Minimes. Les issues furent occupées, les fusils chargés, et c’est devant l’imminence d’un conflit qu’on dut parlementer et céder aux exigences de Pindy et de Lisbonne.
M. l’abbé Hénon était prisonnier d’un sergent, qui avait ordre de le fusiller. On a contraint cet honorable témoin de tourner la manivelle d’une mitrailleuse, et trois fois dans la journée du 24 mai des groupes se sont formés pour procéder à son exécution. M. l’abbé Hénon fut enfin sauvé par M. le proviseur du collège Sainte-Barbe, qui trouva le moyen d’enivrer complètement le farouche sergent.
M. le docteur Billard avait établi une ambulance dans la rue Vavin. Il s’opposa au passage d’un camion chargé de poudre qui voulait traverser son local.
— Vous obéirez à mes ordres, s’écria Lisbonne.
— Je n’ai pas d’ordres à recevoir de vous, répond le docteur. Je soigne soixante-trois de vos hommes et, du reste, bientôt, vous ne pourrez tenir cette barricade.
— J’irai alors au Panthéon, dit Lisbonne; mais auparavant, je ferai sauter la maison du coin et je brûlerai l’autre.
— Mais les femmes et les enfants ?
— Cela ne me regarde pas.
Et de fait on incendia et on fit sauter plusieurs maisons du quartier, ainsi que le raconte M. Bourgeois, boulanger, dont l’établissement a été brûlé. Quatre maisons ont été brûlées rue Vavin.
M. le commandant Gaveau soutient l’accusation.
Me Haussmann présente la défense. Il se plaint que le nombre des témoins ait été augmenté, qu’un nouveau rapport ait été fait, comprenant plus de chefs d’accusation que le rapport primitif.
Lisbonne se borne à ces quelques mots:
Parmi ceux qui étaient de la Commune, il y en avait qui ont agi par ambition; il y a ensuite les égarés qui ont cru à la sainteté de la cause; je suis de ce nombre. Il y a eu enfin les bandes d’individus sans nom, qui ont commis des actes dont je n’entends pas être responsable. J’ai combattu loyalement, en soldat dévoué, je n’ai ni pillé, ni incendié.
Le conseil, après une heure de délibération, rapporte un verdict affirmatif sur toutes les questions, sauf celle de vol. Lisbonne est, en conséquence, condamné â la peine de mort.
Un deuxième procès a conclu à la même peine, qui a finalement été commuée et Maxime Lisbonne est parti comme bagnard en Nouvelle-Calédonie, malgré son « infirmité de la jambe gauche », comme dit sa fiche de bagnard. Il ne fut libéré que par la loi d’amnistie du 11 juillet 1880. Certainement j’écrirai un jour un ou des articles sur son retour…
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Le bagne était sur l’Île Nou, en bas à gauche de la carte, qui vient de Gallica et que j’ai déjà utilisée là.