Nous voici encore une fois devant ce troisième conseil de guerre (celui du procès « des membres de la Commune« , celui qui a condamné à mort, après Ferré, Rossel, Maroteau, celui des procès de Rochefort et du Père Duchêne, pour ceux que nous avons vus ici). Cette fois nous sommes les 4 et 5 décembre. L’hystérique Gaveau et ses petits camarades s’attaquent à Maxime Lisbonne.
Vous en avez peut-être assez de ce conseil, mais moi j’ai envie de vous parler de Maxime Lisbonne. Il n’a fait que de brèves apparitions dans (ma façon de raconter) cette histoire. Nous l’avons vu, comme chef de la dixième légion, dont le bataillon d’Alix Payen fait partie, passer à Issy le 24 avril, nous l’avons vu le 25 mai sur le boulevard Voltaire, c’est là qu’il a été blessé, comme Vermorel et comme nous l’a raconté Albert Theisz, il est aussi l’auteur de l’unique portrait connu (et attesté) d’Émile Duval, et peut-être est-ce à son retour du bagne qu’il l’a dessiné — là j’anticipe un peu et, tant que j’y suis, il a assisté à l’enterrement de Paule Minck le 1er mai 1901. C’est peu.
C’est en lisant la thèse de Laure Godineau — dont j’ai eu le privilège de recevoir un exemplaire en janvier dernier (2021), merci, Laure — puis en regardant « son » magnifique court métrage La Boîte noire (je ne sais pas vous conseiller comment, mais débrouillez-vous pour le voir!), que je me suis rendue compte qu’il valait la peine d’aller regarder ce communard-là de plus près. À ma décharge, j’avoue que des titres comme Le D’Artagnan de la Commune ou autres (malgré mon respect pour Marcel Cerf ou d’autres auteurs) m’en avaient tenue éloignée.
Après ce paragraphe égocentré, revenons au fait: le procès. Pour faire simple, j’utilise l’article du Constitutionnel daté du 7 décembre 1871. Avec coupures et commentaires (comme toujours le texte cité en vert et mes commentaires en noir).
Maxime Lisbonne a eu la cuisse traversée par une balle sur la même barricade où Vermorel fut blessé [Approximatif, mais acceptable.] Il arrive à l’audience en s’aidant de deux béquilles et soutenu par deux gardiens de la paix. L’accusé est vêtu et ganté, de noir. Il porte de longs cheveux châtains qui tombent sur ses épaules et des moustaches rousses. […]
Il est assisté par Me Haussmann [que nous avons vu défendre Béatrix Excoffon] et M. le commandant Gaveau occupe le siège du ministère public.
Me Haussmann fait observer au tribunal que la cause de Lisbonne a été disjointe du procès de la Commune [il s’agit du procès « des membres de la Commune » du mois d’août, Maxime Lisbonne n’était pas membre de la Commune mais du Comité central, comme deux des prévenus d’août], vu son état de santé résultant de ses blessures [On a vu, en particulier lors du procès de Marie Bouard, qu’il ne pouvait pas venir témoigner]. À cette époque le 7 août, cinq témoins à charge étaient assignés. Aujourd’hui, il y en a trente-sept; le dossier n’est plus le même. Et cependant il n’y a pas eu de jugement pour complément d’instruction. Le défenseur, en ces conclusions, demande qu’on écarte les faits et les témoins nouveaux.
C’est considéré comme un détail…
Le rapport est un volumineux document dont nous nous contentons d’extraire les passages les plus saillants: Né à Paris en 1839, Maxime Lisbonne entra à seize ans dans la marine où il servit comme novice pendant la guerre de Crimée [qui a duré de 1853 à 1856, et où il est donc arrivé en 1855] et qu’il quitta au bout d’une année pour s’engager au 14e bataillon de chasseurs à pied, d’où il passa au 1er zouaves.
Au retour des campagnes d’Italie [1859] et de Syrie [1860] où il avait suivi ce régiment, il fut envoyé pour inconduite aux compagnies de discipline. Il en sortit sept mois après par faveur pour s’être distingué à l’incendie de l’hôpital d’Orléansville [compagnie disciplinaire en Algérie, donc].
Libéré en 1864, il entra au théâtre dès cette époque et prit la direction des Folies-Saint-Antoine de 1865 à 1868. Il fit de mauvaises affaires et essayait de se relever comme agent d’assurance, lorsque la réorganisation de la garde nationale lui procura, en 1870, les moyens de jouer un rôle politique. Capitaine au 24e bataillon [un bataillon du 10e] pendant le siège des Prussiens, il fut nommé délégué au Comité central vers le 13 mars sans avoir posé sa candidature. L’accusé prétend avoir donné sa démission immédiatement [S’il n’est pas signataire de proclamations du Comité central dans le Journal officiel le 19 mars, il l’est le 20 et le 21.].
Le 18 mars, il abandonna le 24e bataillon et suivit Brunel à la caserne du Château d’Eau et à l’Hôtel-de-Ville. Le 21 mars, il proposait au Comité de remplacer par des vivres requis les provisions, de l’Hôtel de Ville. Avec Lullier, il envahit la mairie de Saint-Sulpice [mairie du 6e] et se rendit complice du pillage des armes à la caserne des Minimes. Il commanda de charger les armes et s’écria:
Il nous faut les armes des gendarmes, ou du sang.
Le 22 mars, Lisbonne signait la proclamation qui abolissait la conscription et décrétait l’incorporation des soldats de l’armée régulière dans les rangs des fédérés. Le 28, son nom figure sur la nomination de Brunel comme commandant des forces de l’Hôtel de Ville. Il semble que depuis ce jour il ne fit plus partie du Comité central, mais cependant il a toujours porté le triangle émaillé, signe distinctif. Nommé colonel avec une solde de 12 francs par jour, il signe le 6 avril l’ordre d’enlever deux mille matelas au Palais de l’Industrie. Le 13 ou le 14 avril, il conduit à Issy les bataillons de la 10e légion.
Comme auteur ou complice, il a pris part à de nombreuses arrestations. Le 3 mai, Il était à Issy avec La Cécilia. Le 7, il signait une proclamation dans laquelle il remerciait les commandants fédérés de leur concours militaire. Jusqu’au 13 mai, il recevait directement les ordres de Delescluze [alors délégué à la guerre]. Le 18, avec les francs-tireurs, les vengeurs et autres corps francs, il remplace à Vaugirard les fédérés de la 15e légion, et son séjour est signalé par de nouveaux actes arbitraires, entre autres le pillage du collège des Jésuites.
Et voici la Semaine sanglante.
Le 22 mai, les insurgés se replièrent à l’approche des troupes régulières. Lisbonne transporta son état-major au Panthéon, où il organisa la résistance des barricades de concert avec Blin [Antoine Léon Blin, porteur aux Halles], chef de la 5e légion, et Régère [que nous avons vu passer devant ce même conseil il y a quelques semaines].
Le 23 mai, il fit construire deux barricades dans les rues Vavin et Notre-Dame-des-Champs, distribua de l’argent aux hommes et demanda si on avait réquisitionné la paille et le pétrole. Vers dix ou onze heures le feu commença. Le 24 au matin, les maisons 16, 18, 20 et 22 de la rue Vavin furent incendiées par un capitaine du 161e bataillon et de nombreuses victimes furent le résultat de cet exécrable attentat. Dans la seule maison n° 18, on compte deux femmes tuées et quatre blessées.
Dans la même matinée, M. l’abbé Hénon, averti que sa maison allait brûler, ce qui eut lieu une heure après, sortait de sa maison, quand Lisbsxme donna l’ordre de le saisir;
Arrêtez le calotin, fusillez-le!
M. l’abbé Hénon fut traîné de barricade en barricade.
Reculant devant le progrès de l’armée qui enlevait les dernières barricades du Panthéon dans l’après-midi, Lisbonne se replia avec les insurgés sous ses ordres vers le 11e arrondissement, où plusieurs membres de la Commune et du Comité s’étaient réfugiés, signalant leur retraite par les massacres et les incendies.
La suite de cet intéressant rapport dans notre prochain article!
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La photographie vient du musée Carnavalet.
Ouvrages cités
Payen (Alix), C’est la nuit surtout que le combat devient furieux Une ambulancière de la Commune, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2020).
Godineau (Laure), Retour d’exil: Les anciens communards au début de la Troisième république, thèse, Paris 1 (2000).
Cerf (Marcel), Le d’Artagnan de la Commune: (le colonel Maxime Lisbonne), Éditions du Panorama (1967).