Suite de l’article précédent. Le soldat auteur de ces lettres est présenté dans le premier article de cette série.
Germain Dathie
Il commence par raconter ce qu’il n’a pas eu le temps d’écrire dans sa dernière courte lettre.
2 avril. — (Camp de Satory). Nous avions quitté la barrière du Trône [il était au fort de Vincennes], le 15 mars, pour aller au Palais de l’Industrie [Champs-Élysées], tandis que les engagés et rappelés allaient à Orléans pour être libérés. Le lendemain, on nous incorpore au 46e de ligne, et pendant la nuit, après nous avoir armés, nous partons pêle-mêle dans la direction de Montmartre, mais nous n’avons pas eu à intervenir; puis on nous a dirigés vers le Parc Monceau et, la nuit suivante vers deux heures du matin, nouveau départ. Ce n’est qu’au lever du jour que nous apprenons être sur la route de Versailles; c’est à l’entrée de la ville sur une borne que j’ai pu vous écrire ma dernière lettre [voir l’article précédent]. En traversant la ville, j’ai pu donner ma lettre à un habitant pour la mettre à la poste. Puis nous arrivons au milieu du camp de Satory où nous installons en compagnie d’une quarantaine de mille hommes de tous régiments sortis comme nous de Paris.
Le lendemain de notre arrivée au camp, nous commençons à faire l’exercice avec les bigorgnes [?] comptant bien porter la culotte rouge, mais dans la journée nous sommes versés au 17e Chasseurs. Nous avons fait nos adieux à nos frères d’armes et nous nous sommes dirigés vers notre nouveau bataillon campé à quelques centaines de mètres plus loin. Nous avons quitté le 46e avec plaisir car, pendant tout notre séjour d’une semaine dans ce régiment, nous n’avons touché que trois livres de pain par homme, et il n’était pas facile d’en acheter en ville car, en plus du camp, les casernes, places et rues sont pleines de troupes [et de civils…]. À notre arrivée, nous ne pensions pas séjourner longtemps au camp, mais le temps se prolonge, et aucun changement en vue.
Nous avons maintenant à manger à discrétion [c’est davantage que ce qu’on lit dans La Guerre contre Paris, où une ration de viande de 300 grammes remplaçait la solde des soldats à partir du 4 avril (source: le service historique de la défense)], pas beaucoup d’exercice; quant au coucher, c’est autre chose: quatre toiles de tente avec quatre piquets nous font notre ciel de lit, et une poignée de paille notre matelas. Malgré cela, nous sommes mieux qu’en décembre: ma santé est bonne et le moral est bon. Quant aux permissions, il ne faut pas y penser tant que nous serons en état d’alerte, craignant l’arrivée des Parisiens. J’ai appris par un camarade la rentrée dans leurs foyers des Mobiles de l’Oise.
Entre cette lettre et la suivante, la guerre civile a effectivement commencé. Voici donc un témoignage (versaillais) sur la « sortie torrentielle » du 3 avril.
16 avril. — Retour vers Paris. Bien des événements se sont passés depuis ma dernière lettre, quoique ne datant que du 2 courant. Ce jour-là, nous avons levé le camp et marché à la rencontre des révolutionnaires, qui se dirigeaient sur Versailles et que nous avons rencontrés à deux lieues. À notre approche, ils se sont repliés au pas de course avec des pertes sensibles; mais arrivés avant nous devant les forts d’Issy et de Vanves, ils en ont pris possession. Nous avons pu utiliser les anciennes tranchées prussiennes, à 500 mètres en avant des forts, qui nous sont maintenant d’une grande utilité et que nous avons occupées pendant 48 heures. De là, aussitôt qu’un garde national se présente autour du fort, il est salué par notre fusillade. De notre côté, les boîtes à mitraille nous passent au-dessus de la tête et les balles viennent frapper les rebords des tranchées, mais sans jamais faire de dégâts sérieux. Nous sommes maintenant campés près d’un étang sur une belle pelouse verte; nous avons eu une alerte de nuit, les occupants du fort s’étant avancés dans notre direction: nous les avons repoussés.
20 avril. — Nous sommes campés dans le parc de l’Abbaye aux Bois, près de Bièvres. Le 19, étant en embuscade derrière un mur crénelé, un obus est tombé à l’endroit où se trouvait mon camarade Decary: un éclat lui mit une jambe en lambeaux. Tous les cinq jours nous allons à la tranchée et nous nous amusons un peu au détriment des Parisiens; hier encore, nous avons fait un marmouset de paille habillé en chasseur et que l’on promenait au bout d’un échalas en haut de la tranchée. Aussitôt la fusillade commence, notre soldat tombe pour reparaître 10 mètres plus loin; cet amusement dura une partie de la journée sans accident.
Nous apprenons par un officier d’état-major que le premier versement de 500 millions a été fait aux Prussiens; de ce fait, ils vont quitter les forts encore en leur possession [à l’est de Paris, de Saint-Denis à Versailles], ainsi que les départements par eux occupés [annonce un peu prématurée!]. Si les Parisiens ne renoncent pas à leurs projets, il est possible que nous commencions un nouveau siège; ce dont je doute quand on vient de subir de telles privations, ce soit de manquer de nourriture.
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Une image de la sortie torrentielle, en couverture (que j’ai déjà utilisée).
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La source est toujours
Lettres d’un chasseur à pied pendant le siège de Paris et la Commune 1870-1871 (recueillies par son petit-fils M. F . Bouchez), Comptes rendus et mémoires de la Société archéologique et historique de Clermont-en-Beauvaisis, tome 31 (1962-1964).
Est aussi cité
Tombs (Robert), La guerre contre Paris 1871, Aubier (1997).