Je continue la publication des lettres de soldats versaillais présentés dans le premier article de cette série.  

Voici pour commencer les dernières lettres de Germain Dathie avant l’entrée des troupes versaillaises dans Paris.

Germain Dathie

7 mai. — Nous sommes maintenant à Meudon. Je suis toujours en bonne santé mais nous avons une vie mouvementée. Nous sommes de tranchée pendant 48 heures et ne dormons qu’une nuit sur trois. Dans la nuit du 5 au 6, nous avons dû escalader une barricade, baïonnette au canon, en compagnie de marins, les clairons en tête sonnant la charge; tout le monde se mit à crier « En avant » et nous avons occupé les tranchées tenues par les gardes nationaux. Nous n’avons pas fait de prisonniers: tous ceux qui résistaient ont été tués à la baïonnette. Nous sommes maintenant à 150 mètres du fort d’Issy qui est cerné de tous côtés et se défend énergiquement, mais nous espérons qu’il ne tiendra pas longtemps. Nous voudrions bien que cela se termine pour pouvoir prendre un peu de repos.

Ils y étaient presque: c’est le 9 mai que Rossel fit afficher son célèbre « le drapeau tricolore flotte sur le fort d’Issy« . Qui sert aussi de couverture à cet article.

10 mai. — Nous sommes maintenant campés près des ruines du château de Meudon, à 1 km du fort d’Issy: toujours même adresse. Si, comme je l’espère, je retourne au pays, je pourrai vous décrire les faits atroces que ces canailles de Parisiens commettent sous nos yeux.

À part être tués à la baïonnette quand ils résistent, on voit mal quels faits atroces les Parisiens pouvaient commettre le 10 mai à Meudon, sous les yeux des soldats versaillais — ce que c’est que la propagande…

16 mai. — Samedi dernier [le 13], nous avons délogé à la baïonnette les insurgés du village d’Issy sans tirer un coup de fusil, et ensuite nous avons pris possession du lycée de Vanves occupé précédemment par 12 000 hommes [ou peut-être un peu moins…]. Ils sont tous partis, nous laissant armes et bagages et le meilleur de tout le rata. Ils ont eu plusieurs morts, des blessés en grand nombre parmi lesquels plusieurs du 137e qui étaient dans ma compagnie [il s’agit de soldats qui avaient pris partie pour Paris après le 18 mars]. Après tout cela, les insurgés ont encore l’audace de dire qu’ils gagnent du terrain sur les versaillais.
Le lendemain, 14 mai, anniversaire de ma naissance [il a eu 22 ans], ne fut pas pour moi un jour de fête. Le lycée de Vanves se trouve à 400 mètres des remparts; nous étions dans la cour de l’école, derrière un mur que nous avions crénelé, quand, tout à coup, arrivèrent obus, boulets et boîtes à mitraille. Le mur fut détruit, les bâtiments en ruines; mais heureusement nous n’avons eu aucun mort, seulement quelques blessés. Enfin, à huit heures du soir, nous avons été relevés par le 18e bataillon, et les officiers nous apprirent que le fort de Vanves était en notre possession.

Voici maintenant un soldat qui écrit après être entré dans Paris. Il s’agit de l’auteur non nommé par Camille Pelletan, qui précise: 

Un de nos principaux collaborateurs de la Justice connaissait, dès l’enfance, l’artilleur qui a écrit cette lettre. Pendant la Commune, en 1871, notre collaborateur se trouvait encore dans la petite ville où habitait la famille du soldat. La lettre datée du 22 mai, arrivée le 25, fut aussitôt communiquée à notre collaborateur, qui l’a lue, relue le jour même où elle arriva : un de ses amis en prit copie : c’est cette copie, faite le 25 mai, que j’ai eue entre les mains.

La voici:

Billancourt, le 22 mai 1871 [Je ne serais pas étonnée que cette lettre ait plutôt été écrite le 23 ou même le 24 mai.]
Cher père,
Le grand coup et arrivé notre batterie nomé la 2e du 4e regiment d’artillerie était condanné à mort par les garde nationeau. Je vous diré que pendant un jour et une nuit nous avons tiré le canon sur le pont du jour [Point-du-Jour], tousjoure en bresche et nous avons fini par le démolir le 21 mai à 4 heures du soir [le soldat croit à la propagande de Thiers: « La porte de Saint-Cloud s’est abattue sous le feu de nos canons. Le général Douay s’y est précipité. » On sait que l’armée versaillaise est entrée par une porte non défendue.] nous avons vus le drapeau tricolore sur le haut, les marins et la ligne nous criait d’avancer faite ne tiré plus ne tiré plus 125 mille hommes nous sommes rentré dans Paris et vous pouvé croire qu’il ni avait pas de plaisir de rentré avec les pièces de canon et avec les mitrailleuses mon père et ma mère et je puis vous dire que sait triste il faut le voir pour le croire si vous aviez entendu les cris des femmes fille enfant il se meté à genoux, il nous demandai pardon les chefs nous criait pas de pardon en broché toujours les cris que l’on entendait il nous empêchait de marché le san coulait comme de lau dans les ru on marchai sur les mort sur les blessé on fouyait dans toute les maison on les trouvait caché dans les cave il ni avait pas de pardon pour eux les femmes il criait mon dieu artieur je vous demande bien pardon. Les enfants les filles on n’écoutait rien autant de caché autant il était enfilé les maison qu’on n’a pas pu rentré on les a bombardé on lui metait le feu enfin je vous diré que les femmes homme enfant il marchait en avant les femmes il était armé d’un chassepot aussi bien que les homme enfin j’ai à vous dire que du soir à 4 heures du lendemain matin à 7 heures nous avons fait 80 mille homme prisonnier. Si vous les voyes quand on les accompagne les femme il suive leur mari il rentre à la prison je vous diré que quand on leur attache leur main par deux il nous dise en pleurant ne me sairé pas trop. Pas autre chose à vous dire pour le moment que nous espérons que d’ici à dimanche ce sera terminé. Je finis ma lettre en vous embrassant.

À suivre

Références pour ces lettres

Lettres d’un chasseur à pied pendant le siège de Paris et la Commune 1870-1871 (recueillies par son petit-fils M. F . Bouchez), Comptes rendus et mémoires de la Société archéologique et historique de Clermont-en-Beauvaisis, tome 31 (1962-1964).

Pelletan (Camille)La Semaine de mai, Maurice Dreyfous (1880).