Nous en étions donc, dans l’article précédent, à 1874 et la radiation d’Eugène Razoua et Jules Vallès de la Société des gens de lettres.
Et après? Il y a la réintégration de Jules Vallès. Je n’étais pas sûre, je l’ai écrit en juillet 2021, de ce qui s’était vraiment passé. Une chose certaine, c’est qu’Eugène Razoua est mort avant l’amnistie des communards. Il ne sera donc plus question de lui (mais je lui consacrerai bientôt deux articles). Il nous reste Jules Vallès.
La première question que je me posais était: de retour à Paris après l’amnistie en 1880, Jules Vallès a-t-il vraiment demandé sa réintégration dans une société qui l’avait exclu?
Eh bien, en effet, ce n’est pas lui qui l’a demandée, mais Tony Révillon — qui l’avait défendu pendant la proscription. Cela se passe le 22 novembre. L’argument est « amnistie = oubli »,
il [Tony Révillon] pense que puisque l’amnistie a effacé le passé des membres de la Commune, la société ne peu se montrer plus dure que le gouvernement et peut réintégrer M. Jules Vallès.
Il y a une discussion. Au bout de laquelle il faut une assemblée générale pour le réintégrer, mais il n’est pas question d’en convoquer une rien que pour ça,
le comité prie M. Jules Vallès de le saisir officiellement de son intention de faire appel à l’assemblée générale pour sa réintégration.
L’Assemblée générale suivante a lieu le 27 mars suivant et vote la réintégration. Cent vingt-six sociétaires sont présents — il en faut 106 (dont, je le remarque, Malvina Blanchecotte — dont la démission n’a donc pas été maintenue — mais pas Émile Blavet).
Après la lecture du rapport annuel, M. Tony Révillon demande la parole.
Notre confrère propose à l’assemblée la réintégration de M. Jules Vallès, exclu de notre société par le jury disciplinaire.
Après une courte discussion à laquelle prennent part plusieurs membres, M. le Président déclare la discussion close et invite l’assemblée à voter. Le vote, moins six voix et une abstention, étant favorable à la proposition de M. Tony Révillon, M. J. Vallès est réintégré dans la Société.
Les esprits se cont calmés.
Dirait-on.
Remarquez que Vallès n’a rien demandé. Mon avis est que la Société avait plus besoin, pour avoir la conscience tranquille, de le réintégrer que lui n’avait besoin qu’elle le fasse.
Si cette décision était, sinon à l’honneur, du moins à un essai de réparation du déshonneur, de la SGDL, je note une petite remarque, au cours de la réunion du 3 octobre 1881 du comité:
À M. Jules Vallès qui pense que sa réintégration d’urgence par l’assemblée générale de 1881 l’exempte de payer ses cotisations arriérées, M. le délégué répondra que les statuts art. 22 sont formels à cet égard et que le sociétaire réintégré doit payer les cotisations arriérées pour avoir droit à la retraite.
Je ne sais pas s’il a payé ces cotisations. Mais il figure bien dans la liste des membres de la Société décédés avant 1887 dans le livre de Montagne.
*
Une petite coda — comme disent les musiciens. L’astérisque ci-dessus indique que du temps a passé. Nous sommes maintenant le 2 juin 1913. Jules Vallès est mort depuis 28 ans. Le comité de la SGDL reçoit une demande.
Le Comité est saisi d’une demande de souscription pour l’érection d’un monument à Jules Vallès. La Société des Gens de Lettres doit-elle s’associer à cet hommage rendu à la mémoire d’un écrivain dont l’œuvre littéraire demeure intacte.
Avant de faire connaître sa décision au comité du monument et sur les objections présentées par M. le colonel Rousset, la Société des Gens de Lettres attendra que des informations complémentaires lui soient données sur la composition de ce comité et sur les inscriptions qui figureront sur le monument; si le principe de la souscription est admis, il doit être précisé que les Gens de Lettres entendent honorer le souvenir de l’écrivain seul et non point celui de l’homme politique qui ne lui appartient pas.
Cette affectation à ne pas « faire de politique » sans jamais cesser d’en faire me rappelle un exercice d’un livre d’algèbre de ma jeunesse: « Sur la planète Mars, il y a deux organisations d’étudiants. L’une est de gauche. Démontrez que l’autre est apolitique ». Sauf qu’il n’y a qu’une SGDL. Irrésistible digression.
La conclusion, la semaine suivante:
Un certain nombre de membres du Comité ayant fait observer que Jules Vallès, après avoir cessé de faire partie de la Société des Gens de Lettres
ah, qu’en termes galants!
cessé de faire partie est fort! Mais excusez cette interruption…
n’avait pas demandé sa réintégration
certes, mais elle a été votée…
il a été décidé que le Comité s’abstiendrait de participer en bloc à la souscription, que les membres du Comité enverraient leur cotisation individuelle.
Ce qui confirme les informations données par la presse et qui m’avaient semblé bizarres (voir l’article de juillet 2021).
Bref: la SGDL a réintégré Vallès, presque unanimement, mais ne se souvient que de l’avoir exclu.
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L’image de couverture montre un Jules Vallès d’avant la Commune (1870). Je l’ai trouvée au musée Carnavalet.
Livre cité
Montagne (Édouard), Histoire de la Société des gens de lettres, Librairie Mondaine (1889).