Je continue à citer le texte écrit par Alphonse Humbert juste après la mort de Gustave Maroteau et publié six ans plus tard dans L’Intransigeant.

C’est dans cette soirée qu’il a exprimé ses dernières volontés. Il a demandé que toute sa correspondance, depuis quatre ans, fût publiée:

On me verra tel que je suis. Je demande à Victor Hugo de faire encore cela pour ma mémoire. Alphonse lui écrira.

Il devait dicter encore deux lettres, mais il se sentait trop fatigué. 

Après tout, je ne suis pas encore mort. J’écrirai à Alphonse demain, à mes amis d’Europe après-demain.

Et puis, il ajoutait en souriant:

Voyez comme je suis bête, je crois parfois que je vais m’en relever.

[…] Nos amis le quittèrent à sept heures. On comptait presque ne plus le revoir, mais il n’avait pas encore beaucoup souffert. La journée du lendemain fut terrible. Il étouffait. À peine Fortin, Giffault, Éloi, qui ne le quittaient pour ainsi dire pas, pouvaient suffire à lui donner de l’air. Il me chargea alors d’écrire pour lui à ses amis d’Europe;

Il saura bien ce qu’il faut dire: un adieu seulement. Pas de testament politique, c’est toujours ridicule.

Il ne dit plus ensuite que quelques paroles. Les crises se précipitaient. Il eut deux ou trois syncopes et, chaque fois, il disait:

C’est fini. Adieu!

Le soir, on lui dit que j’arriverais le lendemain matin. Il hocha la tête en disant:

Trop tard! Je mourrai cette nuit.

Comme la veille nos amis se retirèrent à sept heures. Il ne resta plus auprès de lui que Lucipia employé à l’hôpital. Toute la soirée, il répéta le nom de sa mère et, chaque fois, ses yeux se mouillaient de larmes. Il souffrait tellement qu’il voulait faire demander au médecin une potion pour l’aider à mourir.
Enfin, vers une heure du matin, il eut une crise plus terrible. Il appela Lucipia et lui demanda si c’était une crise passagère ou « la fin de la phtisie ». Lucipia lui fit répondre par le médecin.
Quelques moment après, il expirait.

On l’a enterré le lendemain sans prêtre. Plus de cent condamnés politiques accompagnaient le corps. Seuls ceux de la Pointe-Sud, G. Dacosta, Amouroux, etc., n’avaient pu venir, le commandant du Pénitencier ne l’ayant pas permis.
La tombe est située dans un coin du cimetière. Nos amis y mettront une pierre et des fleurs…

Alexis Trinquet, qui était présent, confirme, dans Dans l’enfer du bagne, que Maroteau parlait sans cesse d’Humbert, qu’il aurait voulu embrasser avant de mourir. Le texte d’Alphonse Humbert est paru dans un quotidien alors que (lui et) les autres « forçats » étaient rentrés à Paris. Personne n’a démenti ou critiqué ce texte. Il n’y a aucune raison de ne pas y croire.

Voici deux autres récits de cette mort (toujours les citations en vert). D’abord celui de Gaston Da Costa, qui dit à peu près ce que dit Humbert (ce texte est écrit bien plus tard) et conclut:

Le lendemain, 17 mars, les syncopes devinent plus fréquentes. La respiration devenait très pénible. Le malade étouffait, demandant sans cesse de l’air. On lui faisait respirer de l’éther.
Le courrier d’Europe était attendu le 18 mars, Maroteau fit demander au chef des gardes-chiourmes la faveur d’obtenir, dès l’arrivée du paquebot, la lettre mensuelle de sa mère. Mais il mourut dans la nuit, sans avoir eu la consolation suprême qu’il espérait.

La tradition selon laquelle Gustave Maroteau attendait la date (anniversaire) du 18 mars dont j’ai fait mention au début de l’article précédent semble… tarder à se mettre en place. La voici, dans le « troisième » livre de Louise Michel, La Commune Histoire et souvenirs, un texte de 1898.

Il avait une maladie de poitrine qu’il traînait depuis près de six ans, mais la fin était venue, on attendait sa mort dès le 16 mars, l’agonie étant commencée. 
Tout à coup il se soulève et, s’adressant au médecin:

— La science, dit-il, ne peut donc pas me faire vivre jusqu’à mon anniversaire, le 18 mars?
— Vous vivrez, dit le médecin qui ne put cacher une larme.

Maroteau mourut en effet le 18 mars.

Ce n’est ni une légende ni même vraiment une tradition, c’est tout simplement du roman.

*

La carte de l’Île Nou date de 1874 et elle vient de Gallica.

Livres cités

Trinquet (Alexis)Dans l’enfer du bagne, texte présenté par Bruno Fuligni, Les Arènes (2013).

Da Costa (Gaston)La Commune vécue (trois volumes), Ancienne Maison Quantin (1903-1905).

Michel (Louise),  La Commune Histoire et souvenirs, La Découverte (1999).