Suite de l’épisode précédent.

Le 18 mars vers quatre heures du matin, un tambour vint me réveiller m’annonçant que le 24ème bataillon était convoqué et devait se réunir au plus tôt pour se rendre à la mairie du 10ème arrondissement. Le maire M. Dubail, croyait pouvoir compter sur ce bataillon qui était d’ancienne formation [Son petit numéro confirme que le bataillon n’est pas un de ceux qui ont été créés au début du siège et ont incorporé beaucoup d’ouvriers.].

Les quatre compagnies de marche n’étaient pas positivement dans les idées de la majorité du bataillon sédentaire (quoiqu’on ait eu à signaler plus tard le défection de la 1re et 2e compagnies commandées par MM. Pichereau et Fleck).
Les opinions républicaines y prévalaient, quelques officiers étaient partisans dévoués du Comité central.
À l’état-major, le commandant Torre, ancien officier de la garde impériale, connu par ses opinions réactionnaires, attendait aussi des ordres. Nous discutions entre officiers sur la conduite qu’il y aurait à tenir en cas d’attaque de la part du Gouvernement.
Torre et presque tous les officiers étaient d’avis de le soutenir. Les compagnies sédentaires n’avaient pas répondu entièrement à l’appel. Le peu qui se trouvait massé en face de l’état-major ne fut pas difficile à convaincre, surtout lorsqu’il s’agit de les renvoyer chez eux.

Suite (L’Ami du peuple 11 décembre 1884)

Les 3e et 4e de marche prirent possession du marché du Château-d’Eau.

Je désirais aller voir ce qui se passait rue Basfroi, mais surtout d’un autre côté la nécessité de rester dans l’arrondissement pour y surveiller le mouvement réactionnaire, je pris la résolution d’envoyer au Comité mon lieutenant Lambert afin d’y prendre des ordres.
Il revint n’ayant trouvé que quelques membres, beaucoup ayant été empêchés de se rendre à la réunion, néanmoins je reçus l’ordre d’agir selon les événements.

Vers onze heures j’appris ce qui s’était passé à Montmartre, la prise des canons par les Versaillais [il est bien sûr anachronique d’appeler l’armée « versaillaise » ce jour-là], le manque d’attelages pour les emmener, puis leur reprise par les fédérés.

J’entendis parler vaguement de l’échauffourée de la place Pigalle. Je restai prêt à commencer le mouvement de la construction des barricades; mais rien ne se dessinait ouvertement, les nouvelles se contredisaient. [Les deux passages en vert ont été repris dans le volume 1 du livre de Da Costa.]

Lorsque je fus averti que Brunel avait été délivré de prison et qu’il était à la tête de son bataillon près du pont de la Grange-aux-Belles, de l’autre côté du canal nous correspondîmes et nous décidâmes de prendre la caserne du Prince Eugène.
Le rendez-vous était place du Château-d’Eau. Le 107e bataillon, les compagnies de marche du 24e, et quelques débris d’autres bataillons de l’arrondissement composaient la colonne d’attaque.
À notre arrivée on parlementa quelques instants avec le colonel du 88e de ligne. La résistance, morale bien entendu, fut nulle. Les soldats agitaient leurs képis en criant: Vive la République! Vive la Garde nationale! et nous entrâmes tambours battants dans la caserne.

L’armement qui nous avait été délivré sous le siège se composait de fusils à tabatière. Les soldats laissèrent prendre leurs chassepots aux gardes nationaux, eux-mêmes leur donnaient sans oublier les cartouches.
Leurs officiers se retirèrent et la caserne demeura en notre possession, les soldats restèrent livrés à eux-mêmes.

Brunel et moi envoyions des estafettes de tous côtés afin de connaître quel avait été en définitive le résultat de l’attaque faite par le général Lecomte. Nous apprîmes qu’il avait été fusillé avec le général Clément Thomas.

Je reçus du Comité l’ordre de conserver la caserne du Château-d’Eau tout en essayant de marcher sur l’Hôtel de Ville. Enfin vers six heures du soir, laissant une force suffisante, notre colonne se mit en route. Déjà des bataillons de Belleville sous les ordres du citoyen Ranvier étaient en marche. Une barricade avait été construite au coin de la rue de la Verrerie faisant face à la rue de Rivoli [Si l’existence et l’emplacement de ce coin ne sont pas clairs, Maxime Lisbonne parle bien sûr des environs de l’Hôtel de Ville].
Quelques fédérés poussèrent une reconnaissance jusqu’au bas de la rue du Temple et nous signalèrent l’absence de troupes aux abords de l’Hôtel de Ville. Les deux colonnes se mirent en marche et y arrivèrent sans embarras. En un instant l’Hôtel de Ville fut en notre pouvoir.

Le général Lullier arriva aussitôt. Quelques membres du Comité central vinrent dès qu’ils connurent la nouvelle de notre installation nous rejoindre dans la salle Saint-Jean.
Lullier s’installa dans une salle près de celle où siégèrent plus tard les membres de la Commune, je fus détaché près de lui comme officier d’état-major représentant le Comité central.
Des bataillons de gardes nationaux arrivèrent et se massèrent sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Des barricades furent élevées comme par enchantement pour en défendre l’accès dans le cas d’une attaque de la part des bataillons dits de l’ordre.
Nous attendîmes le lendemain anxieux de connaître d’une façon définitive et officielle les événements de la veille.

À notre réveil, des courriers arrivèrent de tous côtés. Nous eussions dû, dès cet instant, prendre les mesures nécessaires pour nous emparer des membres du gouvernement parmi lesquels régnait le désarroi le plus complet et qui ne songeaient qu’à mettre leurs personnes en sûreté en abandonnant la capitale. On verra plus loin sur qui doit peser la responsabilité de cette faute impardonnable.

(À suivre)

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J’ai bien sûr utilisé la même image que pour l’article consacré au 18 mars il y a deux ans.

Livres cités

Da Costa (Gaston)La Commune vécue (trois volumes), Ancienne Maison Quantin (1903-1905).