J’interromps à nouveau les souvenirs de Maxime Lisbonne pour vous montrer un tableau que, peut-être, vous ne connaissez pas.
C’est lors du vernissage de l’exposition Insurgé.e.s que j’ai découvert ce tableau (cette peinture à l’huile) de Maximilien Luce et que j’ai pensé qu’il fallait absolument que je vous le montre. Il appartient au musée de Saint-Denis mais n’est pas, d’ordinaire, exposé. Malgré ma fréquentation assidue de ce musée, je ne l’avais jamais vu. Il n’a malheureusement pas été reproduit dans le catalogue de l’exposition.
J’ai donc demandé une image et une autorisation de la reproduire, comme je le fais toujours – je pense notamment aux rapports délicieux que j’ai eus avec le Musée d’Art moderne de Strasbourg quand j’ai eu l’idée d’illustrer Cendrine d’André Léo par des œuvres de Käthe Kollwitz (allez voir cet article et les suivants).
Le tableau avait rejoint la réserve du musée, qui est passé à autre chose.
Après quelques, disons, atermoiements, l’image est là, et je remercie chaleureusement Anne Yanover, alors directrice du Musée d’Art et d’histoire Paul Éluard de Saint-Denis, de son aide rapide et efficace.
J’ai déjà nommé l’artiste, le musée et l’œuvre, mais vous serez sûrement charmées de connaître le nom officiel et le pedigree entier du tableau. Le voici: Maximilien Luce, La mort de Genton, huile sur toile, 1900, n°inv. 94.05.01, Musée d’art et d’histoire Paul Eluard – Saint-Denis. Cliché : I. Andréani.
Mais revenons à notre vrai sujet. Ce tableau est donc titré, par le musée, « La mort de Genton ». Comme on peut le voir en agrandissant l’image (il suffit de cliquer), le peintre a pourtant écrit, en bas à droite, « L’exécution de Genton », ce qui est plus précis. Je ne sais pas si le centimètre qui manque à droite et celui qui manque en bas sont dus à la reproduction ou à la façon dont la toile a été fixée à son châssis. Il manque peut-être aussi quelques millimètres en haut (aile de l’oiseau) et à gauche (coude de Genton). [Ajouté le 7 mai 2023 (après avoir vu des photographies prises par une visiteuse de l’exposition): C’est effectivement la photographie qui a enlevé quelques millimètres carrés au tableau. Quelle tristesse…]
C’est bien d’une exécution qu’il s’agit.
Gustave Genton était un sculpteur sur bois, il était blanquiste, avait été opposant au second empire et orateur des réunions publiques, il a participé à la journée insurrectionnelle du 31 octobre 1870, a peut-être signé l’affiche rouge de janvier 1871, a été juge d’instruction pendant la Commune, a participé au club des prolétaires et à son journal Le Prolétaire (il habitait rue Basfroi, dans le onzième arrondissement), il était présent le 24 mai à la prison de la Roquette lors de l’exécution des otages (et notamment de l’archevêque Darboy), comme l’a rapporté Maxime Vuillaume dans ses Cahiers rouges. Et il a été condamné à mort le 22 janvier 1872 et exécuté il y a juste 151 ans, le 30 avril 1872, sur le plateau de Satory. J’ai raconté tout ça dans un article précédent.
Il existe des images d’exécutions à Satory, des montages photographiques à la Appert ou des gravures, notamment de la première, le 28 novembre 1871. Voyez par exemple cette image, dont j’ai fait la couverture d’un article plus ancien.
On sait qu’Édouard Manet a assisté à cette exécution, celle de Ferré, Rossel et Bourgeois. Mais il n’en a tiré aucune œuvre graphique.
Le peintre Maximilien Luce avait 14 ans en avril 1872. C’est bien des années après qu’il a décidé de peindre cette exécution. Il n’était pas présent à l’exécution de Genton. Et, même s’il l’avait été, il n’aurait certainement pas vu la scène de l’endroit où il la représente.
Ici le peintre n’est pas davantage spectateur que le condamné.
Genton est face au peloton d’exécution et Maximilien Luce est avec lui.
Et nous aussi.
Livres cités
Insurgé.e.s, Regards sur celles et ceux de la Commune de Paris de 1871, Catalogue de l’exposition du Musée d’art et d’histoire Paul Éluard de Saint-Denis, Libertalia (2022).
Vuillaume (Maxime), Mes Cahiers rouges, édition intégrale inédite présentée, établie et annotée par Maxime Jourdan, La Découverte (2011).