Nous avons vu, dans les articles précédent, Marcellienne Expilly naître, se marier, puis partir pour Paris.

À Paris, elle vit sous le nom de son amie Amélie Clairiot.

Voici quelques informations qu’elle a données lorsqu’elle a été interrogée par le conseil de guerre en préparation de son procès, le 23 avril 1872.

Elle a déclaré demeurer rue des Nonains d’Hyères, qu’elle était sortie à la Toussaint 1869 de la maison des enfants trouvés (d’Auxerre), qu’elle s’est rendue à Paris 113 boulevard Magenta chez Mme Belin née Eugénie [Montel], qu’elle y est restée domestique jusqu’au 1er juillet 1870, puis qu’elle est allée chez M. [et Mme] Bertrand, marchand de vins, 119 boulevard d’Italie, où elle est restée six semaines. Atteinte d’une fièvre typhoïde, elle est allée de là à la Pitié, et y est restée deux mois. Elle en est sortie dans les premiers jours d’octobre 1870. Elle a ensuite été domestique 7 rue des Nonains d’Hyères chez M. Victor Boussaye, hôtelier, marchand de vins, où elle est restée deux ou trois mois. Puis 105 bis rue Saint-Antoine chez Mme Maintenon qui tenait un petit hôtel meublé, jusqu’au 15 juin 1871. Puis elle est retournée rue des Nonains d’Hyères.

S’est-elle vraiment sentie plus libre qu’à Charbuy ? L’anonymat de la grande ville, peut-être ?

En tout cas, elle ne semble pas s’être intéressée à l’actualité politique. Elle n’a même pas mentionné la dureté du siège prussien. Après son arrestation (le 10 août 1871), la police lui a demandé ce qu’elle avait fait pendant la Commune. Elle a répondu qu’elle était restée à Paris, habitait dans le garni 105 bis rue Saint-Antoine où elle aidait à faire les chambres, et que, tant que c’était possible elle allait souvent à Versailles porter le linge qu’elle blanchissait pour son amant Clément Sauzer, un gendarme (précisément un brigadier dans la Garde républicaine) — plus tard, celui-ci a dit ne l’avoir pas vue pendant toute la durée de l’insurrection.

Elle a dit aussi n’avoir jamais été cantinière.

Pourtant, elle s’est trouvée où il ne fallait pas le 26 mai 1871. Elle a été arrêtée, jugée et condamnée

Pour complicité d’assassinat commis le 26 mai 1871 sur la personne d’un individu dont l’identité n’a pu être constatée.

— selon des rapports du 6e conseil de guerre datés du 18 juillet 1872.

Cet individu était un homme portant une blouse blanche, vêtement connu pour déguiser les policiers. L’ambiance et l’état d’esprit, le 26 mai, place de la Bastille, alors que des milliers de Parisiens avaient déjà été tués, que Paris était en flammes, que l’armée occupait déjà presque toute la ville, sont difficiles à imaginer, mais on peut penser que cet homme (qui est resté anonyme pour toujours) a été arrêté par des fédérés,

la populace le désignant comme gendarme,

comme dit élégamment encore un rapport au conseil de guerre, emmené à la petite Roquette,

soumis à un simulacre de jugement devant une prétendue cour martiale et condamné à être fusillé sur le champ

— je me permets de signaler que ce membre de phrase, « soumis à un simulacre de jugement devant une prétendue cour martiale et condamné à être fusillé sur le champ » est une description claire et fidèle de ce que faisaient, au même moment, les « cours martiales » tenues par l’armée versaillaise au Luxembourg, au Châtelet et ailleurs.
Et Marcellienne, alias Amélie, là-dedans ? Elle est présente, ça ne fait pas de doute, et elle a un fusil en bandoulière. Elle voit passer le peloton et, dit-on, veut absolument en prendre le commandement. Elle

prétend qu’ayant appris qu’on allait fusiller un gendarme, ayant eu un gendarme pour amant, elle avait pénétré dans la prison de la Roquette pour s’assurer que l’individu arrêté n’était pas son amant ; que, pour entrer à la prison, elle avait été obligée de prendre un fusil, mais qu’une fois certaine de ne pas connaître la victime, elle était sortie sans prendre aucune part au crime.

Au fil des interrogatoires, elle a donné plusieurs versions de cette histoire. Dans l’une, elle aurait passé huit jours avec une bande de fédérés, tous étaient ivres sans cesse et elle aussi, elle avait vu le gendarme déguisé, était allée à la petite Roquette et, vu son état d’ivresse, elle n’avait pas conscience de ses actes.

Tout ça au milieu d’une série de mensonges sur son état civil. Elle est toujours, alors « Amélie Célestine Clairiot ».

L’armée dispose d’une foule de témoignages, le pharmacien de la petite Roquette (Puymoyen), un cuisinier (Fillod), un surveillant de la petite Roquette (Cady). Un marchand de vins du 125 rue des Boulets [c’est sur le boulevard Voltaire] et garde au 58e (Camelot) avait été interrogé dès le 8 août 1871, parce qu’on avait trouvé des bons de réquisition signés Ferré, et avait déballé longuement tout ce qu’il avait vu en mai 1871.

À suivre

*

Illustration de couverture: de la rue des Nonains d’Hyères (en bas à l’extrême gauche de l’image) à la prison de la petite Roquette (à droite), les lieux de Marcellienne le 26 mai 1871, sur toujours le même plan de Paris.

Sources: SHD, GR 8 J 224 et 128. Merci à Maxime Jourdan pour ses photographies de ces documents.

Merci à Jean-Jacques Méric pour son aide.