L’élection partielle de Belleville pour le conseil de Paris dont il a été question dans l’article précédent a lieu le 20 juin 1880.

La veille du vote, samedi 19 juin, un grand bal est donné, toujours à l’Élysée-Ménilmontant, et cette fois encore au profit de l’école libre et laïque de Belleville. Gambetta arrive à onze heures et demie du soir, accompagné de Charles Quentin, le conseiller sortant. Il est intéressant de lire les comptes rendus de cette arrivée dans les journaux. Certains disent qu’ils sont chaleureusement accueillis, d’autres que les cris

Vive l’amnistie !

étouffent quelques

Vive Gambetta !

Tous les deux, Gambetta et Quentin, viennent pour soutenir la candidature de Létalle à l’élection du lendemain. Alors Gambetta, en bon opportuniste, parle de l’amnistie, pour laquelle il n’a jamais votée. Il dit même

Voter pour Trinquet, ce serait voter contre l’amnistie.

Peu suspect de gauchisme », le Moniteur universel s’interroge : pourquoi a-t-il tenté, pour enlever le vote, cette promenade à l’Élysée-Ménilmontant, absolument fâcheuse pour sa dignité ?
En tout cas, le lendemain, les électeurs « élisent » Trinquet, avec des guillemets parce qu’Alexis Trinquet, bagnard, est inéligible, et d’ailleurs toujours en Nouvelle-Calédonie. Il est élu le 20 et son élection est annulée, pour non-éligibilité, justement, le 22.

La réputation du « bagnard »… amène son fils Julien Trinquet à écrire une lettre contre un candidat « de gauche » qui a traité son père de voleur — il s’agit toujours du « vol » du bateau qui aurait servi à l’évasion de Trinquet et Allemane.

C’est bien pour l’amnistie plénière et contre Gambetta que les électeurs ont voté. En « politicien consommé », dit, toujours, le Moniteur universel, Gambetta se rallie – enfin – à l’amnistie, pour laquelle il n’avait encore jamais voté…
Et l’amnistie plénière est votée, finalement, le 11 juillet.

Je vous renvoie à une série d’articles que j’ai publiés il y a déjà un moment sur la lutte pour l’amnistie au long des années 1870 (les années 1871-76, 1879-février 1880, l’élection de Trinquet — justement —, et le vote de l’amnistie plénière).

Les exilés qui ne sont pas trop loin (à Londres, Genève…) rentrent. Pour les amnistiés de Nouvelle-Calédonie, il va falloir attendre. Il semble que le télégraphe fonctionne mieux que quelques mois plus tôt — mais pas encore parfaitement — puisque la mention d’un télégramme (daté du ? arrivé le ?) 17 juillet, quand même six jours plus tard, figure sur la fiche de bagnard d’Alexis Trinquet, avec l’étrange information « Gracié ».

À Paris, on n’oublie pas Alexis Trinquet. Si j’en crois le journal Le Prolétaire, daté du 17 juillet, le citoyen Nérandou fait son portrait, on peut même l’acheter chez l’auteur, au 69 rue Saint-Sauveur. Julien Trinquet participe encore à des réunions, la police en prend note, en août, en octobre…

Pendant ce temps, Alexis Trinquet navigue sur le Navarin, qui quitte Nouméa le 4 septembre 1880. Le retour se fait par le cap Horn — ainsi il aura bouclé son tour du monde. Le 11 novembre, le bateau fait relâche à Sainte-Hélène, au milieu de l’océan Atlantique (plus ou moins à égale distance de Rio de Janeiro et de Luanda) et Alexis Trinquet écrit une longue lettre au journal Le Mot d’ordre, qui sera l’objet du prochain article.

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Si vous voulez en savoir davantage sur la campagne lors de l’élection partielle à Belleville, je vous renvoie à mon livre Rue des Partants, où vous ferez connaissance du citoyen Réties et de la façon dont il agitait des chaînes (de bagnard ? de fantôme ?) dans les réunions électorales du comité Trinquet.

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L’image de couverture est une affiche montrant une partie des activités de l’Élysée-Ménilmontant, un haut lieu de la vie publique dans le vingtième arrondissement à cette époque (l’affiche date de 1884, peu de temps après l’histoire racontée dans cet article, et je l’ai trouvée au musée Carnavalet).

Livre cité

Audin (Michèle), Rue des Partants, terres-de-feu (2024).