Sur l’amnistie des communards, j’ai déjà tout dit, ou presque, dans les articles précédents (ici, , et encore là). J’ai même débordé jusqu’aux élections au conseil de Paris de janvier 1881 et à la mort d’Alexis Trinquet en 1882.

Après le vote de l’amnistie plénière par l’Assemblée (voir l’article précédent), il y a eu le vote du Sénat, qui a tenté « des chinoiseries les plus misérables » (selon l’expression du Rappel du 11 juillet 1880) et qui a réussi à exclure de l’amnistie huit femmes et neuf hommes — qui ont été graciés.

Voici donc la note publiée dans le Journal officiel:

Par décret en date du 10 juillet, le Président de la République a fait remise entière de leur peine à tous les individus condamnés pour avoir pris part aux événements insurrectionnels de 1870-1871 et aux mouvements insurrectionnels postérieurs.

Notez la date de la décision présidentielle suivante:

Par décision du 6 de ce mois, sur le rapport du garde des sceaux, ministre de la justice, le Président de la République a accordé des grâces, commutations ou réductions de peines, à 1315 condamnés pour crimes ou délits de droit commun, détenus à la Guyane française, à la Nouvelle-Calédonie et dans les maisons centrales, pénitenciers agricoles et autres prisons de France et d’Algérie.

Bref, le Sénat s’était donné beaucoup de mal… pour la gloire — ou la honte.

Puisque j’ai parcouru les journaux pour écrire cet article, je peux même vous dire que la décision d’amnistier a fait… monter les cours de la Bourse!

Oublions ces misérables chinoiseries. Nous sommes le 11 juillet 1880 et les communards sont amnistiés.

Nous avons vu dans l’article précédent les « derniers amnistiés » arriver à Brest en janvier 1881. Mais, parmi ces nouveaux amnistiés, beaucoup sont des proscrits, en Belgique, et surtout en Suisse et en Angleterre. À proximité, ce qui fait que beaucoup vont pouvoir rentrer à Paris pour le 14 juillet.

Dit aujourd’hui, c’est banal. Mais ce 14 juillet-là est le tout premier « 14 juillet-fête nationale »!

Après de longues années de célébration du « 15 août-fête impériale » — non pas fête de l’Assomption mais date anniversaire de Napoléon Bonaparte, fête populairement désignée comme « la Saint-Napoléon »…

Le choix du 14 juillet comme date de la fête nationale était — encore — un genre de compromis, de conciliation. On ne fête, depuis, ni l’abolition des privilèges (le 4 août 1789), ni, encore moins, bien sûr la fin de la monarchie — obtenue par la Commune insurrectionnelle et les Parisiens le 10 août 1792 –, on ne fête même pas l’établissement de la République en septembre 1792…

Va pour la prise de la Bastille, un beau symbole quand même! et la fête de la Fédération.

On lit dans Le Siècle, à la date du 14 juillet 1880, sous le titre « Les amnistiés »:

Feux d’artifice, drapeaux innombrables, guirlandes tricolores, arcs de verdure, fanfares joyeuses, bals, concerts, revue, tout concourt à l’éclat de cette grande fête nationale qui émeut tous les cœurs ; mais le plus bel ornement de cette prodigieuse solennité, celui qui lui donne la vie et l’animation, celui qui lui imprime son plus beau caractère et sa plus haute signification, c’est l’amnistie. Sans elle, la fête du 14 juillet n’eût pas éveillé cet élan universel, ce patriotique enthousiasme.

Plus de familles en deuil, plus de traces de nos discordes ! Ce qui nous divisa si profondément est oublié, la République entre réellement aujourd’hui en possession d’elle-même, une ère nouvelle commence. Il dépend de nous, de nous seuls, qu’elle soit glorieuse, prospère et féconde.

Les déportés rentreront plus tard, les proscrits qui ont besoin de l’aide du « Comité d’aide aux amnistiés » pour payer leur voyage de retour aussi. Mais beaucoup sont déjà à Paris ce 14 juillet. On cite des noms et des heures d’arrivée dans les journaux, les plus connus des proscrits sont accueillis par des sommités, oui, c’est aussi une affaire de politique politicienne, oui, Clemenceau va accueillir Rochefort (un communard? il a en tout cas été condamné comme tel) qui passe d’un bain de foule à un autre, et d’ailleurs son nouveau journal, L’Intransigeant, est installé et paraît dès… le 14 juillet, daté du lendemain, selon les traditions. Avec un premier article de son rédacteur en chef, « Merci », dans lequel je relève:

Nous nous réservions de faire comprendre à ceux qu’il effrayait que si, fût-ce au prix des travaux forcés, de la déportation et de l’exil, nous avons refusé de transiger avec l’opportunisme, l’opportunisme non plus n’avait guère transigé avec nous.  C’est pour le 16 mai et le Sénat qu’il garde ses transactions. Il n’en a en revanche, offert aucune à Rossel, à Ferré, à Blanqui, à Humbert, à Trinquet qui ont rougi de leur sang les poteaux blancs de Satory, mesuré de leurs pas les cellules de Clairvaux ou trempé de leurs sueurs le sable néo-calédonien, sans que le moindre amendement Bozérian [une des misérables chinoiseries mentionnées ci-dessus] se soit mis en travers de leur exécution.

C’est le premier article d’un amnistié, quand même! Rochefort, d’accord…

Mais il y a aussi tous les autres.

Je vais m’arrêter là pour aujourd’hui, et consacrer quelques mots à la magnifique image que je suis très heureuse d’avoir trouvée pour illustrer cet article.

*

L’image de couverture, celle-ci, sur laquelle vous pouvez cliquer ci-dessous pour l’agrandir, représente la République triomphante présidant à la grande fête du 14 juillet 1880. Outre les hommes politiques (les présidents Jules Grévy, de la République, Léon Say, du Sénat, Gambetta, de l’Assemblée) tout petits, à droite (de l’image!), la Bastille et la remise des drapeaux à l’armée, on remarquera le bonnet phrygien de la majestueuse République et, pour ce qui nous concerne ici, le bateau La Loire ramenant les déportés amnistiés, comme le cartouche « Retour des absents » ne manque pas de le préciser. Je l’ai trouvée sur le site L’Histoire par l’image.

Cet article a été préparé en avril 2020.