Suite de mon introduction à La Semaine de Mai de Camille Pelletan et des articles précédents.
Après les « politiques », voyons les historiens (voir la bibliographie à la fin du livre). Si Georges Bourgin cite très largement La Semaine de Mai dans son grand et beau livre La Commune (1939), il l’ignore dans son « Que sais-je ? » de 1953, sauf erreur de ma part (je n’ai vu que l’édition — posthume — de 1971). L’Anthologie d’Arthur Adamov (1959), le cite. De même, La Commune de Paris à l’assaut du ciel, de Jacques Duclos (1961), pourtant peu disert sur la Semaine sanglante mais qui mentionne
un aperçu documenté de l’ampleur des massacres exécutés par les versaillais,
il est cité dans Les Pétroleuses d’Édith Thomas (1963), dans La Proclamation de la Commune d’Henri Lefebvre (1965). Mais pas dans Les Communards d’Azema et Winock (1964).
Mais en réalité, quand il est cité, c’est par besoin d’une référence. Et il n’y en a pas d’autre, puisqu’il n’y a pas eu d’autres travaux.
Ces années-là justement paraissent des livres « limités à l’idéologie », qui ignorent qu’il y a eu une guerre civile et a fortiori une Semaine sanglante et ne citent donc pas La semaine de Mai. Je pense à ceux de Rihs et de Decouflé, mais aussi au Procès des communards, de Jacques Rougerie. Je suis toujours stupéfaite que l’on présente les communards dans les conseils de guerre sans vraie référence aux massacres auxquels ils ont échappé — ici les lecteurs doivent se contenter des fusillades au Luxembourg et du récit de la mort de Varlin par Lissagaray.
Pourtant le livre de Camille Pelletan est dit
poignant, aujourd’hui trop oublié
dans l’article de Jean Gacon dans le numéro de la revue Europe du centenaire (novembre-décembre 1970). Je remarque que ce numéro contient, sous le patronage de Lucien Scheler, un témoignage passionnant d’Albert Theisz sur la guerre des rues pendant la Semaine sanglante qui n’attire aucune attention et tombe immédiatement dans l’oubli : la guerre civile n’intéresse pas. La même année et aussi dans la mouvance éditoriale communiste, La Semaine de Mai est présent dans la bibliographie et dans le récit (assassinat de Valère Faneau, témoignage de Raoul Forcade) du Paris et ses révolutions, de Gilette Ziegler. La Semaine de Mai est mentionnée dans l’article « Semaine sanglante » du Dictionnaire de la Commune de Bernard Noël (1971). Par contre, dans le volume 4 de sa Grande Histoire de la Commune, Georges Soria, qui pourtant reprend quelques informations issues de La semaine de Mai, réussit à ne pas le mentionner une seule fois — il est vrai qu’il qualifie Fiaux d’historien pro-versaillais.
On m’a suggéré une possible responsabilité du parti communiste dans cette méconnaissance et cet oubli, mais, au vu des sources citées, cela ne semble pas être le cas.
Il n’est pas plus cité, cette année-là (1971), par Jacques Rougerie dans Paris libre 1871 qu’il ne l’avait été dans son Procès des communards.
Alain Dalotel l’a constaté dans son article La Place de la Semaine sanglante dans la commémoration du centenaire de la Commune (en 1989) : la Semaine sanglante n’a pas été évoquée dans les livres du centenaire, mais elle l’a aussi été fort peu au cours du « Colloque du centenaire ». Ce « refoulement », comme il l’appelle, ne fait que s’amplifier par la suite.
La référence à La Semaine de Mai s’estompe encore dans les années qui suivent. Si le livre figurait encore dans la liste bibliographique du Paris insurgé de Jacques Rougerie (1995), il en disparaît lorsque ce texte est repris, avec le Procès des communards, dans La Commune et les communards (2018). Il n’est d’ailleurs pas cité dans la bibliographie du « Que sais-je ? » La Commune de 1871, du même Jacques Rougerie, qui a remplacé en 1988, selon l’usage de cette collection, l’ouvrage du même titre de Georges Bourgin. La quatrième édition, mise à jour en 2009, dit pourtant :
En 1879 [sic] Camille Pelletan, puisant aux mêmes sources [que Robert Tombs, les cimetières] en dénombrait 16 ou 17 000 [sic] compte non tenu d’une dizaine de milliers d’inhumations probables en banlieue.
La Bibliographie critique de Le Quillec (2006) exécute La Semaine de Mai d’un
La Semaine sanglante, d’après les seuls témoignages versaillais et neutres. Pour l’auteur, c’est Paris tout entier et non la seule Commune qui a fait l’objet de cette féroce répression […] Il défendra tous les projets d’amnistie mais lors de la formation du cabinet Waldeck-Rousseau où figurait Galliffet, en 1899, le député Pelletan, qui avait dans son ouvrage stigmatisé le « marquis assassin », s’abstiendra !
Ce qui n’est même pas complètement exact. Le début ignore assez naïvement le problème des témoignages, et le reproche final a peu de pertinence, puisqu’il n’a rien à voir avec la qualité du livre : Camille Pelletan s’est exprimé clairement contre la présence de Galliffet au gouvernement dans un éditorial du Matin, le 24 juin 1899 et il s’est abstenu lors du vote à la Chambre, exactement comme l’a fait, par exemple, Édouard Vaillant.
Nous voilà bien loin de Cachin et Ander !
La génération suivante utilise et cite encore moins La Semaine de Mai. Les livres parus pour le cent cinquantenaire confirment cette disparition. Je me contenterai de signaler la « somme » qu’est La Commune de 1871, coordonnée par Michel Cordillot, qui comporte pas moins de cent trois articles thématiques, chacun avec sa propre liste de références. Le livre n’y apparaît qu’une fois (à la suite de l’article « Les morts de la Semaine sanglante »), et en particulier ne figure pas parmi les quelque cent vingt références de l’article « Histoires de l’histoire de la Commune » (mais les Convulsions de Ducamp si).
Une étude sérieuse des raisons (politiques ? idéologiques ? « refoulement » par rejet de la guerre civile ?) qui ont fait que, de 1880 à 2010 environ, personne n’ait travaillé sur la Semaine sanglante, laissant ainsi le champ libre à de nouvelles estimations à la Ducamp, complèterait très utilement ces quelques remarques.
En attendant, place au livre !
Mais ici, à suivre, la chronologie de la bataille de l’amnistie…
Livres et articles cités
Bourgin (Georges), La Commune, Les Éditions nationales (1939), — La Commune, Que-sais-je, Presses universitaires de France (1953).
Adamov (Arthur), La Commune de Paris 18 mars-28 mai 1871 Anthologie, Éditions sociales (1959).
Duclos (Jacques), La Commune de Paris « à l’assaut du ciel », Éditions sociales (1970).
Thomas (Édith), Les Pétroleuses, Gallimard (1963), — réédition L’Amourier (2019).
Lefebvre (Henri), La Proclamation de la Commune, Gallimard (1965), Réédition La fabrique (2018).
Winock (Michel) et Azéma (Jean-Pierre), Les Communards, Seuil (1964).
Rihs (Charles), La Commune de Paris 1871, sa structure et ses doctrines, Seul (1973).
Decouflé (André), La Commune de Paris, 1871: révolution populaire et pouvoir révolutionnaire, Cujas (1969).
Rougerie (Jacques), Procès des communards, Julliard (1964), — Paris libre 1871, Seuil (1971), — Paris Insurgé, Découvertes-Gallimard (1995), — La Commune de 1871, Que sais-je, PUF (2009), — La Commune et les Communards, Folio (2018),
Gacon (Jean), « La Commune de Paris », in Europe 499-500 (1970).
Scheler (Lucien), Albert Theisz et Jules Vallès, Europe 499-500 (Novembre-décembre 1970), p. 264-272.
Ziegler (Gilette), Paris et ses révolutions, Éditeurs français réunis (1970).
Noël (Bernard), Dictionnaire de la Commune, Flammarion (1978), réédition L’Amourier (2021).
Soria (Georges), La Grande histoire de la Commune, Livre Club Diderot (1971).
Fiaux (Louis), Histoire de la Guerre civile de 1871, Charpentier (1879).
Dalotel (Alain), Le Club des prolétaires, mai 1871, Le Peuple prend la parole (1978), — La place de la Semaine sanglante dans la commémoration du centenaire de la Commune en France, Révolutions et mutations au XIXe siècle, ( (1989), pp. 107-113.
Le Quillec (Robert), Bibliographie critique de la Commune de Paris 1871, La Boutique de l’histoire (2006).
Cordillot (Michel) (coord.), La Commune de Paris 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux, L’Atelier (2021).
Ducamp (Maxime), Les Convulsions de Paris, Paris, Hachette (1879).