Vingt-sixième parmi les « Trente journées qui ont fait la France« , le livre d’Henri Lefebvre porte le titre

La Proclamation de la Commune

26 mars 1871

— proclamation qui eut lieu le 28 mars. La partie « raconter l’histoire » est principalement consacrée à ce qui aboutit à cette fête, celle de la proclamation, le 28 mars, de la Commune, symbole de la fête que furent les soixante-douze jours de cette révolution — la fête, c’est le style propre de la Commune, selon Henri Lefebvre. La fête — les fêtes — qui font que le peuple parisien reconquiert sa ville.

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Ce livre remarquable est, à mon goût, l’un des plus beaux qui aient été écrits sur la Commune, sa place, son histoire. Si je ne lui ai pas consacré d’article plus tôt, c’est qu’il n’était pas disponible. Paru en 1965, il était épuisé. Remercions l’éditeur La fabrique de nous en proposer aujourd’hui une réédition.

C’est un livre d’histoire, de cela il n’y a aucun doute, même — surtout — si son auteur est un philosophe (résolument marxiste) et un sociologue.

C’est un livre long et profond, qu’il n’est pas question de résumer dans ce court article. Je me contenterai ici de quelques aspects que j’apprécie particulièrement.

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La présentation de la situation économique du second empire est lumineuse — l’histoire de la Commune ne commence pas le 18 mars 1871, elle ne commence même pas le 4 septembre 1870, aucun lecteur de ce site ne peut l’ignorer.

J’aime énormément la description des rapports entre les Parisiens (prolétaires) et les lieux de leur ville, ceux de la Révolution française et ceux de 1848, une conscience historique des lieux qui ne laisse rien perdre de l’histoire. Une mémoire tout ensemble collective et intime, sans lieu de mémoire pour se souvenir des morts si ce n’est les traces de balles sur les murs. Mémoire que Paris, en se débarrassant de ses pauvres pour devenir un décor de film américain ou un champ de bataille pour des luttes venues d’ailleurs a (définitivement?) perdue depuis que le livre a été écrit.

Marxiste, Henri Lefebvre n’en est pas moins sensible aux idées proudhoniennes de décentralisation et de ce qu’on appelait, dans les années 1960, « autogestion » — oui, il y a des âneries dans Proudhon, mais non, tout n’est pas à jeter dans les célèbres poubelles de l’histoire. Oui, ce qui fait la richesse de la Commune, ce sont ces citoyennes et ces citoyens qui prennent la parole, au club, dans la rue, dans le quartier, parfois même dans l’atelier. Nous voulons tous la fin de l’État…

La gestion incompétente, catastrophique, des aspects militaires par la Commune est elle aussi traitée de façon très intéressante. Comment refuser avec force les armées permanentes et simultanément défendre Paris attaqué? On rêve, au souvenir des armées populaires de la Révolution française, un idéal de fraternisation — la conscience historique de la Révolution a ses revers. Et la fête se termine dans l’apothéose du massacre, conséquence notamment de la stratégie défaitiste des barricades et du « chacun défend sa rue » hérités de 1848.

Pourtant, dans d’autres domaines, les communards ont montré à la fois du réalisme et un grand sens pratique.

Du côté du sens pratique, à la poste, notamment. Une touchante erreur de (micro-)détail d’Henri Lefebvre — qui date son livre — lui fait nommer la poste « les PTT ». Après la mort du télégraphe, la sécession du téléphone et son inclusion dans les télécommunications, nous voici revenus à « la Poste », mais pas hélas à la gestion « autogestionnaire » et au respect des employés initiés par Albert Theisz en 1871.

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Une des grandes forces de ce livre — et j’espère que ce que je viens d’écrire l’indique — c’est, encore aujourd’hui, sa grande actualité, en même temps peut-être que l’actualité de la Commune.

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Il reste à dire quelques mots du livre « présent ». Il comporte une seule addition, un texte de Daniel Bensaïd (comme pour les Souvenirs de Lefrançais) avec une querelle d’héritage, situationnistes vs Lefebvre, qu’on est en droit de trouver moins passionnante que le livre, mais qui rappelle opportunément qu’il date de 1965, et est lui-même un objet historique.

Un regret: si La fabrique a repris les notes, la chronologie et l’index du livre, elle a laissé de côté les fac-similés qui faisaient partie des annexes et le beau cahier iconographique qui se clôturait, assez ironiquement, par une photographie du petit Thiers, seul sur un balcon et sur une page de gauche… isolée elle aussi.

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Outre la mention du téléphone (les PTT), il y avait quelques erreurs dans l’édition originelle, qui n’ont malheureusement pas été corrigées.

Plusieurs concernent le onzième arrondissement — à mon tour de revendiquer une conscience historique des lieux. C’est bien de cet arrondissement, le onzième, que Jules Mottu, « la terreur des Jules », « qui voulait l’école sans Dieu », était le maire (et non pas du quatorzième, comme il est dit p. 160). C’est dans ce même onzième et pas dans le très bourgeois (et « réac », disait-on alors) deuxième qu’étaient utilisées et donc stockées les guillotines et qu’elles ont été brûlées, une fête, sans aucun doute, qui d’ailleurs eut lieu le 6 avril et pas le 5 (p. 337).

Lefebvre a aussi commis une confusion entre (le journaliste Arthur) Arnould et (l’architecte Georges) Arnold. Celui-ci était membre du Comité central de la garde nationale et c’est bien de lui, Georges Arnold, qu’il est question pp. 250, 251 et 287.

Il y a aussi un Henri Festriné qui dissimule sans doute Henri Fortuné, un Lureau-Ponson que La fabrique a judicieusement corrigé en Loiseau-Ponson sans aller jusqu’au bout du Loiseau-Pinson, car c’est le joli nom que portait cet élu (vite démissionnaire) du deuxième arrondissement.

Il reste quelques coquilles, dues à Lefebvre ou à la reconnaissance de caractères utilisée pour composer le livre, mais rien de catastrophique.

Livres cités

Lefebvre (Henri)La Proclamation de la Commune, Gallimard (1965). Réédition La fabrique (2018).

Lefrançais (Gustave)Souvenirs d’un révolutionnaire; préface de Lucien Descaves, Les Temps nouveaux (1902), — Souvenirs d’un révolutionnaire, La Fabrique éditions (2013).