Après le 19 et le 20 mai, nous voici à la Semaine sanglante.

Ici, je suis les informations données par Gustave Lefrançais dans son livre de souvenirs. Dès le 22 mai, Arthur Arnould, Amouroux et Clémence envoyés en missions diverses par le Comité de salut public, lui et Gérardin sont restés seuls pour organiser la résistance dans leur arrondissement, avec l’aide de la Commission municipale. Tout était en place. Le soir du 22 mai, Gustave Lefrançais s’est rendu dans le dix-septième et à Montmartre et a laissé l’arrondissement à la charge de Gérardin. Il a regagné le quatrième le lendemain matin 23 mai. Là il a appris que Gérardin était parti au petit jour « pour une heure seulement ». Le soir, il n’était toujours pas là. Son absence était inexplicable, il y a eu une pénible discussion, mais Lefrançais l’a dit, il ne croyait pas à une trahison de sa part. Le lendemain au petit jour, voici Eugène Gérardin, qui avait cru se reposer une heure et s’était endormi une journée. Ici on pense à la vie des membres de la Commune telle que l’a racontée Arthur Arnould dans son livre Histoire populaire et parlementaire… (voir cet article). Lefrançais écrit:

Il est tout confus de s’être absenté si longtemps.

Tous deux se rendent à l’Hôtel de Ville — c’est aussi leur arrondissement qui en a la garde ! — juste à temps pour voir le début de l’incendie. Les voilà donc au onzième…

Certainement j’aurai dû l’inclure dans la liste des « membres de la Commune sur les barricades », que j’ai dressée dans un article ancien et complétée pour la publier dans La Semaine sanglante.

Et après? Voici ce que lui-même a dit lors de son interrogatoire en décembre 1871 :

Le 27 mai, je suis sorti par la porte de Romainville avec une colonne de cinq cents personnes environ, lesquelles étaient sans uniformes et sans armes ; nous avons été arrêtés par les Prussiens qui nous ont fait rentrer par la porte de Montreuil où nous avons été reçus par l’armée ; j’ai été écroué à Mazas.

On dit aussi qu’il a été « arrêté le 5 juillet » et qu’on l’a ensuite envoyé sur le ponton le Pénélope en rade de Lorient, dont il a été extrait pour être renvoyé à Versailles le 5 décembre 1871. Je ne vois pas bien pourquoi il n’a pas été jugé avec les autres membres de la Commune.

Ces deux informations venues du service historique de la défense (SHD) m’ont été données par Pierre-Henri Zaidman, qui les avait notées il y a déjà un moment. Depuis, j’ai vu le dossier 8J378, que Maxime Jourdan a eu la gentillesse de consulter, de photographier et de me communiquer. Je n’ai toujours pas compris pourquoi on l’a « oublié » lors du procès à grand spectacle d’août 1871.

Il a été condamné, par le 16e conseil de guerre, à la déportation simple, le 25 janvier 1872, son recours en grâce a été rejeté le 14 mai, il a quitté la France par le « transport à vapeur » Le Var. Il est arrivé en Nouvelle-Calédonie le 9 février 1873, a débarqué à l’Île des Pins le 17. Dès le 30 septembre 1873, il était autorisé à demeurer à Nouméa, mais cette autorisation a été révoquée et il est retourné à l’Île des Pins en juillet 1874 (il a été jugé « déméritant » parce qu’il s’occupait de politique, même si sa conduite était assez bonne). Il a bénéficié de la « grâce amnistiante » de 1879 et est parti pour la France sur Le Navarrin le 3 juin 1879.

Je sais qu’il était inscrit sur les listes électorales à Paris en 1891 — et donc était vivant — et je n’ai pas réussi à trouver où et quand il est mort.

Ajouté le 13 mai 2025. Maxime Jourdan m’apprend qu’Eugène Gérardin est mort le 13 mai 1898 à Ivry. 

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Les archives du bagne (Archives nationales de l’outre mer) conservent des fiches sur tous les déportés en Nouvelle-Calédonie, bagnards ou pas. Ainsi nous avons un signalement d’Eugène Gérardin. Il mesurait 1,64 m, ses cheveux et ses sourcils grisonnaient, son front était couvert, ses yeux bleus, son nez et sa bouche étaient moyens, son menton rond, son visage ovale et son teint ordinaire. À défaut de portrait… c’est un morceau de sa fiche que j’ai utilisé comme image de couverture.

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Je remercie vivement Maxime Jourdan et Pierre-Henri Zaidman à leur aide pour l’élaboration de cet article.

Livres utilisés

Lefrançais (Gustave)Souvenirs d’un révolutionnaire; préface de Lucien Descaves, Les Temps nouveaux (1902), — Souvenirs d’un révolutionnaire, La Fabrique éditions (2013).

Arnould (Arthur)Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, Bruxelles, Librairie socialiste Henri Kistemaeckers (1878), — réédition avec une préface de Bernard Noël, Paris, Klincksieck (2018).

Audin (Michèle)La Semaine sanglante. Mai 1871, Légendes et comptes, Libertalia (2021),.