Au fond, une muraille. Devant elle, acculé dans un coin, un groupe nombreux de femmes, d’hommes et d’enfants. À leurs pieds, une fosse profonde. Au premier plan, des cadavres, en particulier d’enfants, et des agonisants. Parmi eux, un homme vivant, qui regarde. C’est une batterie de canons qui va faucher ces nouvelles victimes. Au-dessus de cette scène, un ciel d’apocalypse. Fumée d’un incendie derrière le mur? Nuages?
C’était un tableau d’Ernest Pichio intitulé Le Triomphe de l’ordre. Illustrant le cri de victoire de Mac-Mahon le 28 mai 1871.
Paris est délivré. L’ordre, le travail et la sécurité vont renaître.
Ce tableau fut refusé par le Salon de 1875 — évidemment. Là aussi il y aurait de quoi écrire un roman, puisque ce tableau a disparu.
Mais Pichio avait aussi fait une lithographie (reproduite en couverture de cet article). Et celle-là eut beaucoup de succès, même s’il était — évidemment — interdit de la reproduire et de la diffuser. Des photographies et reproductions ont circulé parmi les proscrits et cette image est devenue extrêmement célèbre. On peut la voir au Musée d’Art et d’histoire de Saint-Denis.
Nul doute que cette image a contribué à fixer « le Mur ». Symbole de la répression et des victimes.
Mais cela a pris du temps.
Dans l’article sur la « première manifestation« , on a vu que, en 1880, la fosse plutôt que le mur était le but de la manifestation.
Le vocabulaire pour parler de la Semaine sanglante n’était pas fixé non plus. Dans son numéro consacré au 18 mars, en 1876, L’Égalité, qui organisait la première commémoration publique de la Commune (un banquet) parlait de
décade sanglante.
Toujours en 1876, célébrant le 18 mars dans un poème écrit à Boston, Eugène Pottier se demande
La semaine de sang, comment puis-je en parler?
C’est un alexandrin, et je ne crois pas que ce soit pour éviter la « césure épique » (passez-moi cette cuistrerie)
La semaine sanglante, comment puis-je en parler?
que Pottier n’emploie pas l’expression. Encore en 1879, on parlait de
la Semaine de Mai.
C’est d’ailleurs le titre du livre de Camille Pelletan.
Pour terminer, un autre tableau de Pichio — même décennie (sinon décade).

C’est un haut mur de pierre. Une femme vêtue de noir montre à ses deux enfants, un garçonnet brun, chapeau à la main, et une fillette blonde, une des pierres du mur sur laquelle est gravée l’inscription:
Mai 1871
Aux martyrs
sans nom
morts pour la liberté.
Les deux enfants tiennent une couronne. Il y en a d’autres à terre. Évoquant des hommages nombreux mais discrets — malgré la netteté de l’ombre sur le mur, l’image est sombre, presque clandestine. Le tableau s’intitule La Veuve du fusillé. Après la mort effroyable des héros, leur mémoire.
Livres cités ou utilisés
Tillier (Bertrand), La Commune de Paris, révolution sans images?, Champ-Vallon (2004).
Pottier (Eugène), Chants révolutionnaires, Au bureau du Comité Pottier (s.d.).
Pelletan (Camille), La Semaine de mai, Maurice Dreyfous (1880).
Rebérioux (Madeleine), Le mur des Fédérés, Les lieux de Mémoire La République (dir. Pierre Nora), Gallimard (1984).
Tartakowsky (Danielle), Nous irons chanter sur vos tombes Le Père-Lachaise XIXe-XXe siècle, Collection historique Aubier (1999).