Après les trois articles sur « la première manifestation » (et celles de 1935 et de 1936), j’engage une série d’articles sur l’histoire du « Mur ». Je n’y ferai pas d’analyse, ni de la création du symbole, ni de ses instrumentalisation, appropriation, récupération (etc.). Je raconterai des images et des histoires.

Ce premier article est plutôt, on va le voir, une « préhistoire » du « Mur ».

Pour commencer, un tableau, celui dont une reproduction sert de couverture à ce premier article.

La composition du tableau évoque cette tradition de paysages justifiés par les scènes qui s’y déroulent. Encadré par les arbres à droite et à gauche, le paysage est celui de Paris vu du Père Lachaise — celui-là même du « à nous deux » de Rastignac à la fin du Père Goriot, avec Panthéon et Notre-Dame, plus l’incendie des Tuileries.

La scène qui s’y déroule est une scène de combat: il y a des canons et des fumées blanches, probablement des obus tirés depuis Montmartre, des gens qui courent ou qui tombent, tous des communards, une femme en robe sombre et tablier blanc brandit un drapeau rouge déjà déchiré et effiloché. Les victimes sont là, mais pas leurs adversaires.

« Le mur » ne figure pas sur ce tableau mais ce qui sera le contenu de la fosse oui.

Derniers combats au Père Lachaise a été peint par Félix Philippoteaux (1815-1884) sans doute peu après la Semaine sanglante, il se trouve au Musée d’Art et d’histoire de Saint-Denis. Le peintre est connu pour ses tableaux d’histoire, comme celui représentant Lamartine devant l’Hôtel de Ville le 25 février 1848 (proclamation de la République? refus du drapeau rouge?) et que l’on peut voir au musée Carnavalet à Paris.

Une deuxième image:

Devant un mur, une quinzaine de personnes. Deux hommes ont les bras levés, une femme se cache les yeux, plusieurs cadavres sont couchés à leurs pieds. Devant eux, la fosse commune partiellement comblée. Là encore, les victimes sont bien présentes mais leurs assassins ne sont pas visibles (mais peut-être leurs ombres?).

Darjou, le Mur des fédérés le 28 mai 1871

Alfred Darjou, auteur de ce dessin réaliste au titre précis, Exécution des derniers communards,  au cimetière du Père Lachaise, le 28 mai 1871, n’était bien entendu pas présent ce jour-là en ce lieu.

Et d’ailleurs, je ne connais la date d’exécution d’aucune de ces deux images. Quand même, Alfred Darjou (né en 1832) est mort en 1874.

De l’une à l’autre, on ne se bat plus, on est victime.

Une muraille est apparue… mais elle n’est pas encore le mur des Fédérés, le Mur…

L’histoire commence en 1871. Forcément.

Deux histoires:

D’abord celle d’une administration un peu gênée par cette histoire de fosse commune.

Le 8 juin 1871, un arrêté interdit toute exhumation de corps de cette fosse, il interdit également d’y placer tout signe extérieur tel que croix (y aurait-on pensé?) ou couronne.

Et on recommande de ne pas faire de publicité à cet arrêté.

En septembre, il est signalé au préfet que le mur porte des traces de balles, que ces traces attirent l’attention des visiteurs et, forcément, suscitent des commentaires… qu’il serait utile de faire cesser.

Puis, celle de quelques mains anonymes et discrètes qui, bravant les interdits, ont déposé, à la Toussaint de 1871, quelques fleurs sur la fosse encore fraîche.

Enfin, une citation:

Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d’une société nouvelle. Le souvenir de ses martyrs est conservé pieusement dans le grand cœur de la classe ouvrière. Ses exterminateurs, l’histoire les a déjà cloués à un pilori éternel, et toutes les prières de leurs prêtres n’arriveront pas à les racheter.

Chronologiquement la première de cet article, puisqu’elle est extraite de La Guerre civile en France, l’adresse à l’Internationale que Karl Marx prononça devant le Conseil, à Londres, le 30 mai 1871, alors que

le sang des victimes fumait encore sur le pavé de Belleville

(comme l’écrivit Amédée Dunois en 1925, dans une préface à une traduction de ce texte).

(à suivre)

Livres et articles utilisés et cités

Tillier (Bertrand)La Commune de Paris, révolution sans images?, Champ-Vallon (2004).

Balzac (Honoré de)Le Père Goriot,  Furne (1842).

Rebérioux (Madeleine), Le mur des Fédérés, Les lieux de Mémoire La République (dir. Pierre Nora), Gallimard (1984).

Tartakowsky (Danielle)Nous irons chanter sur vos tombes Le Père-Lachaise XIXe-XXe siècle, Collection historique Aubier (1999).

Marx (Karl)La Guerre civile en France (La Commune de Paris), traduction de Charles Longuet, présentée par Amédée Dunois, Librairie de L’Humanité (1925).