C’était au Luxembourg.

La photographie qui illustre cette carte postale a été prise entre 1906 et 1984.

Une colonne avec un chapiteau, comme dans les églises.

Le chapiteau des baisers.

Une sculpture d’Émile Derré (1867-1938). Les quatre bas-reliefs du chapiteau représentent la maternité, l’amour, la consolation, la mort — quatre baisers. Le visage de Louise Michel apparaît dans la consolation et dans la mort — elle embrasse Élisée Reclus et Blanqui.

On ne le distingue pas sur la carte postale, mais sous le chapiteau, le haut de la colonne porte l’inscription

parlez mes douces images, portez l’amour et la tendresse du cœur.

La colonne a été placée, pas très loin des lions de pierre, ceux devant lesquels on a tant fusillé pendant la Semaine sanglante, mais dans un endroit plus intime, en 1906.

Je devrais presque en parler au passé.

Il y avait bien longtemps que je n’étais pas passée dans cette partie du jardin. Plus de trente ans sans doute.

Je l’ai cherchée, je ne la retrouvais plus. Je me suis énervée. J’ai cru que je m’étais trompée, j’ai tourné et tourné. Je voyais bien une (vilaine, si vous voulez mon avis) statue de Mendès-France, mais pas de chapiteau.

J’ai fini par me renseigner et découvrir ce qui s’était passé: Louise Michel ou Mendès-France, il avait fallu choisir. Il semble pourtant qu’il y a de la place dans ce jardin. On avait choisi.

Qui, on?

Le jardin est la propriété du Sénat. Il y a eu Marie de Médicis, il y a eu ceci et cela, il y a eu une prison, il y a eu la Chambre des pairs, il y a eu une cour prévôtale, il y a eu le Conseil de Paris (après la Commune, quand il n’y avait plus d’Hôtel de Ville). Il y a le Sénat. Les jardins, l’ornementation, c’est le Sénat qui en dispose. Certains anciens propriétaires ont laissé leurs marques, les statues des reines pour Marie de Médicis, par exemple.

Les reines pour Marie de Médicis, les hommes politiques pour les sénateurs. Il est sûr que les sénateurs se sentaient plus rassurés sur l’existence d’une statue les immortalisant en regardant Mendès-France que Louise Michel.

C’était en 1984 et j’ai lu quelque part (mais c’est peut-être un ragot) que le président (socialiste) Mitterrand avait été pour quelque chose dans l’enlèvement du chapiteau des baisers.

Les choses ont changé depuis 1984. La ville de Paris et son maire (socialiste) Bertrand Delanoë ont nommé « square Louise Michel » le jardin autour des escaliers du Sacré-Cœur.

C’était en 2004.

Dix ans plus tard, en 2014, donc, Louise Michel a été élue une « héroïne de l’année » de Madame Figaro. Si, si. C’est un prix littéraire, et il est allé à une biographie de « Louise » (que, du coup, je n’ai pas lue).

J’ai beaucoup de mal mais je résiste aux quelques remarques très incorrectes politiquement que m’inspirent ces deux informations…

Ce n’est pas tout! Regardez cette photographie (comme toujours, cliquez pour agrandir).

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La plaque est discrète. Elle n’est pas datée, mais elle est assez récente. Le texte est étrange, comme d’habitude. Le 25 mai? Pourquoi le 25 mai? Et ceux fusillés les autres jours? Tony-Moilin parmi tant d’autres dont on ne put reconnaître les corps, c’était le 28 mai. Beaucoup des pierres ont été remplacées. Certains des trous que l’on voit dans le mur sont peut-être même des traces de balles. Parfois je me demande si le sable est toujours le même. S’il y reste du sang.

Même le Sénat rend hommage à la Commune!

Mais, me direz-vous, le chapiteau des baisers?

En 1984, le président (socialiste) de la République inaugura la vilaine statue (je ne suis pas certaine que Mendès-France avait mérité ça) et on balança le chapiteau plus ou moins aux ordures (par terre dans une cour de la manufacture des Gobelins).

Louise Michel à nouveau déportée (je sais, ce n’est pas politiquement correct, mais je ne résiste plus)…

Jusqu’à ce qu’un historien, passionné d’art, ici fouille-poubelle inspiré, respectueux et de plus de goût que nos politiciens, Bruno Gaudichon, le ramasse et en fasse profiter la ville de Roubaix.

Il y est, aujourd’hui, restauré, entretenu, sur la place de la Mairie.

À chacun selon ses mérites: aux Roubaisiens le chapiteau des baisers, à nous Parisiens, le Sacré-Cœur et les statues de politiciens.

*

J’ai trouvé la carte postale grâce au blog d’Isabelle Baudelet. Il y a un article sur le chapiteau des baisers dans le Bulletin 16 de l’association des Amis de la Commune, que vous pourrez ouvrir au format html en cliquant ici. Vous pouvez utiliser la photo de la plaque, mais citez votre source.

Des images rapprochées des baisers de Louise Michel figureront dans un prochain article.

Livre cité (que, pour une fois, je n’ai pas lu)

Gougaud (Henri), Le Roman de Louise, Albin Michel (2014).