L’auteur de l’illustration est révélé à la fin de l’article.

J’ai trouvé cet article par hasard, c’est-à-dire en cherchant autre chose (que j’ai trouvé aussi), dans un journal d’ « extrême-gauche », Le Prolétaire — il ne s’agit pas de notre Prolétaire du onzième et du temps de la Commune, mais d’un journal qui parut, deux fois par semaine, entre novembre 1878 et décembre 1879. Le contexte de cette année 1879 est celui de la revendication d’une amnistie (totale) des communards, encore une fois rejetée, et d’une amnistie partielle, qui jeta un peu de trouble dans les communautés de proscrits ici ou là. Louise Michel n’était pas incluse dans cette amnistie partielle, elle était toujours en Nouvelle-Calédonie. Je ne sais pas qui était Adélaïde Guillaume (et même pas si c’était un pseudonyme). Elle n’est pas dans l’index du livre de Xavière Gauthier, elle n’est pas dans le Maitron…

J’ai trouvé très impressionnant que le « mythe Louise Michel » soit déjà si bien fixé (avec même le parallèle avec Jeanne d’Arc!), c’est pourquoi j’ai décidé de reproduire cet article ici.

Voici cet article, paru, donc, le 29 novembre 1879. Les caractères bleus entre crochets [comme ça] signalent des passages que j’ai moi-même insérés, pas des commentaires sur, déjà, le mythe, mais des informations factuelles.

Voilà qui change du Figaro d’un article précédent!

Louise Michel !

Quand ce nom retentit pour la première fois, la France entière était dévorée des fièvres les plus dangereuses: fièvre du siège, si douloureux pour Paris affamé et bombardé, mais si humiliant pour la province envahie, coudoyant l’étranger, contrainte de le voir à son foyer, couvant les jeunes filles du regard… fièvre de la honte engendrée par la défaite, pleine de sourdes colères qui troublaient les cerveaux les mieux organisés et faisaient voir toutes choses à travers un nuage de sang où frères et compatriotes se méconnaissaient; les versaillais, parlant des parisiens, les appelant communards, épithète à laquelle ceux-ci répondaient: Royalistes!

Quand, dis-je, le nom de Louise Michel fut prononcé en province, les conseils de guerre siégeaient à Versailles: on apprit que, parmi les prévenus, il se trouvait une institutrice accusée de participation aux faits de la Commune.

Celle qui écrit ici n’a pas qualité pour juger les actes de Louise Michel, en dehors des attributs de son sexe: sans doute il se trouvera quelque jour un historien digne de cette belle figure, unique en notre siècle, et nos petits-enfants diront peut-être: Louise Michel! comme nous disons Jeanne d’Arc! donc, laissant intacte cette tâche de l’avenir, ces lignes n’ont d’autre but que de relever quelques faits isolés que les amis de Louise Michel — ils sont nombreux! — aiment à citer, et qui, grâce au culte pieux qu’ils ont pour elle, prennent déjà les proportions des épisodes d’une légende.

Ils racontent que, lors du jugement de Louise Michel, la salle d’audience était pleine de mères ayant amené là leurs enfants à qui elle avait prodigué tant de fois les bienfaits de l’enseignement et qui avaient voulu la revoir une fois encore. Elle ne voulut pas se défendre: que dis-je? elle s’accusa elle-même, allant au devant de la condamnation, émettant ce vœu digne des héroïnes de la Gaule qui, au jour de la conquête romaine s’entretuaient pour ne pas survivre aux leurs: « Mourir où sont morts nos frères! »

[Le procès de Louise Michel eut lieu moins de trois semaines après l’exécution, le 28 novembre, de Théo Ferré. Elle réclamait d’être condamnée comme lui.

Le journaliste Henri Rochefort, dont il est question ensuite, réussit à s’évader de Nouvelle-Calédonie, ce qui explique qu’il ait pu raconter des anecdotes.]

Rochefort, lui aussi, dit-on, a raconté d’elle un trait touchant. Le même vaisseau les transporta en Nouvelle-Calédonie. Au départ, Louise Michel, qui possède au plus haut degré ce don auguste, l’oubli de soi-même, Louise Michel avait partagé le peu qu’elle possédait entre sa mère et ses compagnes d’exil: elle faisait cette âpre traversée couverte de mauvais vêtements et les pieds chaussés de vieilles savates: le commandant du vaisseau s’émut de ce dénuement, il eût voulu y porter remède, mais cette intelligence supérieure lui en imposait. Il alla trouver Rochefort: « J’ai, dit-il, une paire d’excellents chaussons que je voudrais offrir à Louise Michel. Comment m’y prendre? »

— Dites-lui, répondit celui à qui la France est le plus redevable de la fin de l’empire, dites-lui que c’est Rochefort qui les lui envoie! Mais ce nom lui-même ne pouvait vaincre la résistance de la fière déportée. « Il se prive pour moi », disait-elle, refusant le cadeau qu’elle n’accepta qu’après que Rochefort lui eût fait transmettre une prière dont les termes étaient si pressants qu’elle ressemblait à une sommation.

On dit que Louise Michel a fondé, à la presqu’île Ducos, une école où elle instruit les enfants des déportés, leur enseignant le culte de la République qui la laisse en exil, leur inspirant l’amour de la France qui lui refuse quelques rayons de son beau soleil! Elle s’est donnée une tâche non moins grande: elle va, ranimant le courage et l’espérance dans le cœur de ceux à qui il est presque défendu d’espérer! Il y a là-bas bien des malheureux, mais les plus à plaindre sont ceux qui ressentent les angoisses d’un double exil, et qui, sur cette terre étrangère, sont devenus des étrangers pour leur famille…

On raconte que l’un de ceux-là se mourait de chagrin: il avait laissé au départ une jeune femme qui, cédant aux obsessions de ses parents, était retournée près d’eux et avait cessé d’écrire au malheureux captif.

Louise Michel résolut de lui reconquérir cette âme ingrate: par l’intermédiaire d’une amie de Paris, elle obtint le concours d’une femme de lettres bien connue, d’un beau talent et d’un grand cœur; celle-ci adressa à l’épouse oublieuse une si touchante missive qu’elle la fit rentrer dans le devoir, et le mourant revint à l’existence.

Telle est Louise Michel, trouvant dans son infime position le moyen de faire le bien, et accomplissant dans l’exil sa double mission de femme et d’apôtre.

Adélaïde Guillaume

*

L’image utilisée en couverture est reproduite partout sans nom d’auteur. Elle représente, dit-on (partout), Louise Michel à Nouméa 

Victor Hugo, Rocher des proscrits, Jersey, 1853
Victor Hugo, Rocher des proscrits, Jersey, 1853

et est clairement un pendant de la célèbre photographie de Victor Hugo (idole de Louise Michel) dans le rocher des proscrits, à Jersey (celle-là, on sait qu’elle a été faite par son fils Charles). Mais alors…

Un rocher, ou un bureau?
Un rocher, ou un bureau?

Ce dessin-là est signé, le dessinateur s’appelle Firmin Bouisset. Et son dessin Louise Michel à son retour de Nouvelle-Calédonie! Rocher ou bureau? Avant ou après?

Livre utilisé

Gauthier (Xavière), Louise Michel, Je vous écris de ma nuit, Correspondance générale (1850–1904), Les Éditions de Paris (2005).