Le 10 mai 1871 paraît le premier numéro du Prolétaire — organe des revendications sociales.

Ce journal est l’organe (des revendications sociales et) du Club des Prolétaires, qui se réunit dans l’église Ambroise boulevard Voltaire et qu’on appelle donc aussi « Club Ambroise ». Ce club aura d’ailleurs un tel succès que cette église ne suffira plus et qu’il lui faudra bientôt réquisitionner aussi l’église Marguerite (Faubourg-Antoine).

Onzième arrondissement… boulevard Voltaire… oui, cela évoque le feu de joie de la guillotine le 6 avril. Rappelez-vous, ce n’était pas « la Commune » qui brûlait la guillotine, mais « le peuple », à l’initiative d’un « sous-comité ». Ce sont les mêmes que l’on retrouve ici.

Dans le mouvement révolutionnaire du printemps 1871, il y a au moins quatre « niveaux » :

  • « le peuple » — ceux qui (ceci principalement pour les hommes) sont engagés dans la Garde nationale, se battent; ceux qui sont appelés à voter (ceci exclusivement pour les hommes),
  • les membres des nombreux clubs (qui existent depuis les derniers moments de l’Empire), qui discutent vivement et proposent ceci ou cela — ces discussions, expressions de revendications ou de propositions politiques, ont d’ailleurs contribué à la popularité de l’idée « Commune » en 1870 — ces membres sont souvent des femmes,
  • les organisateurs des clubs; dans le cas du club des Prolétaires, il s’agit notamment de François David (maçon, internationaliste), Jean Parthenay (ébéniste), Charles Jacqueline (correcteur, internationaliste et blanquiste), Baux (ouvrier mécanicien, internationaliste), Charles Lesueur (peintre), Claudius Favre (doreur et internationaliste), Jules André (fabricant de carreaux) — cette liste ne contient que des hommes, mais la citoyenne André, blanchisseuse (peut-être épouse de Jules André) sert souvent de secrétaire,
  • les membres élus de la Commune, dont certains font ce qu’ils peuvent pour faire avancer telle ou telle mesure sociale (le décret sur la fermeture des ateliers, par exemple) et d’autre pas (voir les discussions stériles rapportées ici ou ).

Avec Le Prolétaire, nous changeons donc (un peu) de genre : c’est le journal des organisateurs du club.

Les séances du club ont fait l’objet de procès verbaux dont certains ont été conservés. Si le journal est l’expression des organisateurs, les procès verbaux montrent des conceptions parfois un peu différentes, plus « spontanées », moins politiques. Par exemple, les membres du club, en particulier les femmes, s’expriment de façon très virulente contre le clergé, mais pas contre les membres de la Commune — contrairement aux organisateurs.

« Contre » les membres de la Commune est d’ailleurs un raccourci un peu incorrect. Les rédacteurs du Prolétaire réclament avec force que les élus rendent compte à leurs mandants, mais aussi qu’ils cessent leurs parlottes, qu’ils arrêtent de perdre du temps à promulguer des décrets qui ne sont pas appliqués.

La lecture du journal est passionnante. Elle donne une image éclatée et assez jubilatoire du mouvement révolutionnaire que fut la Commune — rien à voir avec la lecture des procès verbaux de l’Hôtel de Ville, avec celle du Journal Officiel, ni même avec celle du Père Duchêne.

Il ne paraît que quatre fois:

  • le 10 mai,
  • le 15 mai,
  • le 19 mai,
  • le 24 mai — il sera peut-être le tout dernier journal de la Commune à sortir des presses.

Les quatre numéros se trouvent, à la suite, en cliquant ici (le fichier a été réalisé par la BnF à partir d’un microfilm, la qualité de lecture n’est donc pas excellente…).

J’avais pris des pages et des pages de notes en lisant ce journal (toujours dans un lecteur de microfilms du rez-de-jardin de la Bibliothèque nationale de France). Puisque le texte complet est ici disponible, je me contenterai d’insister sur un aspect qui a touché ma sensibilité d’écrivaine, en citant un extrait de la « Tribune des égaux » du numéro du 15 mai.

Si nous refusons d’insérer dans nos colonnes des tartines qui mériteraient peut-être un prix de rhétorique à leur auteur, en revanche, tout citoyen, lettré ou non, qui aura une idée utile à émettre, sera sûr de ne pas se voir repoussé.

Loin de chercher à étouffer les idées d’autrui, comme cela ne se voit que trop souvent dans la presse, sauf à les exploiter ensuite au profit d’une personnalité-vampire, nous nous ferons un scrupule de mettre en lumière toute proposition qui nous paraîtra offrir un caractère d’intérêt général.

Que les citoyens qui hésiteraient à nous apporter leur concours, parce qu’ils n’ont pas l’habitude d’écrire ou ne savent pas s’exprimer correctement, nous fassent connaître leurs projets.

Il est toujours facile d’élaguer les mots superflus et de faire tenir une idée dans les limites d’un article.

L’essentiel est de ne pas laisser se perdre une seule idée utile à l’humanité; c’est là un crime bien plus grand que celui de faire avorter les corps.

Je vous laisse découvrir le reste.

Livres utilisés

Molinari (Gustave de), Les Clubs rouges pendant le siège de Paris, Garnier (1871).

Fontoulieu (Paul), Les Églises de Paris sous la Commune, Dentu (1873).

Dalotel (Alain)Le Club des prolétaires, mai 1871, Le Peuple prend la parole (1978).