Suite de l’article précédent.

Militant blanquiste?

Au cours des années 1860, Émile Duval a rejoint Blanqui et le petit groupe qui gravite autour de lui. Leur programme est de prendre le pouvoir pour instaurer, après une période transitoire, le communisme. Pour ceci, il faut renverser violemment le pouvoir en place. Le « parti blanquiste » est un noyau armé prêt à marcher au combat. Il comprend des intellectuels, comme Tridon, Protot, Rigault, Eudes, mais aussi des ouvriers, comme Avrial, Mortier, Ranvier… et Émile Duval.

Émile Duval organisait les troupes des quartiers populaires et surtout du sien, le treizième. Et les ouvriers fondeurs de fer. Le succès de la grande grève de 1870 doit beaucoup à cette activité. Témoignage de son camarade Émile Eudes (qui sera, lui aussi, général de la Commune):

Je ne le connus, moi, qu’au mois de mai 67. C’était un homme d’une activité hors ligne, infatigable. Il passait toutes ses soirées à courir les fonderies de Paris pour nous mettre en relation avec les camarades qu’il savait sûrs et décidés à devenir nos adhérents.

Au mois de février 1870, la conspiration allait à merveille et pouvait compter de 800 à 1000 affiliés. Duval fut certainement l’homme le plus actif que nous rencontrâmes. C’était l’homme le plus intelligent pour le recrutement et le plus ardent pour la propagande.

Juin 1870. Voici le troisième procès de l’Internationale. Celui au cours duquel nous avons vu Leo Frankel ironiser sur les connaissances philosophiques de l’avocat impérial.

À l’audience du samedi 2 juillet 1870, c’est au tour d’Émile Duval de prononcer sa défense. Il ne manque pas d’ironiser à son tour…

Si j’en crois Le Rappel (du 5 juillet 1870), il commence par rappeler l’histoire de la grève des fondeurs de fer. Il explique aussi comment, à la suite de la grève, les fondeurs de fer se sont en masse affiliés à l’Internationale.

Voici la partie de sa défense qui n’est que résumée dans Le Rappel et que Cyrille Andabri cite dans sa plaquette sur Duval.

DUVAL. Poursuit-on nos exploiteurs quand ils se liguent contre nous dans les salons de l’Union Commerciale afin d’attendre que nous ayons faim? Non; l’on ne les poursuit pas. Cependant leur société est tout autant illicite que la nôtre, puisqu’elle se compose de plus de vingt personnes: donc, de même que nous, ils sont sous le coup de l’article 291.

M. LE PRÉSIDENT. Vous n’avez pas le droit d’insulter les patrons; vous les traitez d’exploiteurs, ils ne sont pas là, par conséquent, ils ne peuvent vous répondre; je ne puis souffrir que des absents soient nommés dans ce débat.

DUVAL. Ils ont bien le droit de dire qu’ils nous dompteront par la faim.

M. LE PRÉSIDENT. Si cela a été dit, c’est un mot malheureux; mais à l’avenir supprimez ces paroles blessantes, car si vous continuez en ce sens, je vous retirerai la parole.

DUVAL. Maintenant, Messieurs, il me reste peu de choses à dire. Il y a encore un passage du réquisitoire du ministère public qui, je le crois, est plutôt à notre louange que contre nous. M. l’avocat impérial nous dit: « À chaque occasion, les membres de l’Internationale se mettent en rapport avec les insurgés de 1851 et les déportés de 1858. » [Si c’est bien 1858, il s’agit des suspects déportés après l’attentat d’Orsini contre Napoléon III en 1858. Mais peut-être est-ce une faute de frappe et 1848] Avant de répondre à cette question, il faut s’entendre. Qu’appelle-t-on insurgés de 1851? Est-ce ceux qui ayant prêté serment à la République, l’ont par un coup d’État lâchement assassinée? Nous ne sommes pas, que je sache, en rapport avec ces gens-là.

M. LE PRÉSIDENT. Vous voulez que nous disions que vous ne faites pas de politique, et dans ce moment vous vous y engagez vous-même; vous n’êtes pas ici pour cela.

DUVAL. Je ne suis pas un faiseur de politique, j’ai des amis politiques et c’est mon droit; si l’on ne veut pas que nous nous défendions sur ce point, il ne fallait pas que le ministère public nous en fît un des principaux chefs d’accusation; nous avons droit de fréquenter qui bon nous semble; je ne m’occupe pas de l’empire, je parle des faiseurs de coup d’État.

M. LE PRÉSIDENT. Je vous retire la parole.

DUVAL. Je proteste pour la liberté de la défense.

M. LE PRÉSIDENT. Protestez si vous voulez, vous n’avez plus la parole.

Comme Theisz, Frankel et plusieurs autres, Émile Duval est condamné à deux mois de prison. Il est emprisonné le 8 août. Il sera libéré par la proclamation de la République le 4 septembre.

(à suivre)

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La rue Croulebarbe, où Émile Duval vécut, photographie de Charles Marville, vient du site des bibliothèques municipales spécialisées de la ville de Paris.

Livre utilisé

Andabri (Cyrille)Émile Victor Duval, ouvrier fondeur et général de la Commune, Le Peuple prend la parole (1978).