Le Droit des femmes est un hebdomadaire. Il paraît du 10 avril au 9 octobre 1869. Il est alors suspendu, mais revient avec un autre éditeur dès le 6 novembre. Il dure tant bien que mal jusqu’à la guerre (de 1870)…

Le journal est centré sur les revendications des droits des femmes, mais (je devrais dire « donc ») il est aussi républicain.

Le rédacteur en chef et un des principaux rédacteurs est le journaliste Léon Richer. Beaucoup des rédacteurs sont des rédactrices. André Léo, Maria Deraismes et beaucoup d’autres… J’ai déjà mentionné la signature de Marie David dans ce journal.

Léon Richer occupe beaucoup de place.

Il n’est pas le seul homme dans la rédaction.

Un collaborateur régulier, qui fait les « Causeries politiques », est notre vieil ami Arthur Arnould — enfin, quand il est là. Le 22 mai, à cause d’une perquisition chez lui, il n’envoie pas son article. Le 12 juin, son article n’arrive pas à temps. Le 19, il est « parti en exil ». Il est de retour le 10 juillet. Ce jour-là, sa femme, Mme Arthur Arnould (c’est notre amie Jenny Matthey), et sa mère, Mme veuve Edmond Arnould, 5 rue des Vosges toutes les deux, adhèrent au manifeste pour la revendication des droits civils de la femme. Lui aussi d’ailleurs. Et le lendemain, ils sont tous les trois au Banquet du Droit des femmes.

Au risque de choquer mes fidèles lectrices, c’est encore un article écrit par un homme que j’ai sélectionné. L’homme est un jeune journaliste nommé Jean Albiot. Voici son article. Dans le numéro daté du 28 août 1869 — juste après la fin de la grève des ovalistes de Lyon.

Une grève de femmes

Les révolutions sociales sont chose fatale. Elles éclatent à leur jour, à leur heure, à leur minute. Comment? Nul ne le sait. Est-ce un progrès intellectuel qui les engendre? Non! Nous en avons la preuve dans ce qui suit.

Bourg-Argental est un canton du département de la Loire. La plupart des habitants s’occupent du tissage de la soie. Les femmes y viennent de dix lieues à la ronde, dès l’âge de dix ans. Et certes ce n’est point la peine pour des salaires comme ceux qu’elles gagnent.

Voici les chiffres, nous avons été les puiser aux sources.

Mais avant, disons que la journée d’une ouvrière, quelle qu’elle soit, est de treize heures.

Les tisseuses sont à la façon. Elles ont 2 fr. 50 cent. par coupe. Une coupe représente 46 à 48 mètres. Il faut travailler deux jours et demi pour tisser une coupe de soie, ce qui fait 1 fr. par jour. — Il est des ouvrières plus habiles qui tiennent un métier à tisser et la moitié d’un autre (deux femmes pour trois métiers); dans ce cas, elles ne bénéficient guère de leur travail. Au lieu de 2 fr. 50 cent. par coupe, on ne leur donne que 2 fr. Dans ce dernier cas, elles ont un salaire qui varie de 1 fr. 25 à 1 fr. 50 cent. Toutes celles qui gagnent 1 fr., comme celles qui gagnent 1 fr. 50 cent., sont tenues de payer leur huile; ce qui ne laisse pas que d’être très onéreux pour des ouvrières qui travaillent de 5 heures du matin à 8 heures du soir.

Les ovalistes ne sont pas à leurs pièces, elles ont invariablement 1 fr. 10 cent. par jour. Pour ce gros salaire, certaines (chez MM. Vidot et Sénéclauze, par exemple), travaillent au fond d’une cave.

Les purgeuses ont de 75 à 95 cent. par jour.

Les caneteuses ont de 40 à 70 cent. Ce sont le plus souvent des enfants de dix à douze ans; elles travaillent aussi treize heures par jour.

Telle était la situation des ouvrières de Bourg-Armental, au commencement du mois de juillet. Elle durait depuis bien des années, et jamais on n’avait songé à faire la moindre protestation; quand un matin (pourquoi? on ne le sait!) les ouvrières de M. Vidot lui apportèrent à l’heure du travail l’adresse suivante:

Monsieur Vidot,

Depuis longtemps nous sommes vos esclaves du temps et du prix et nous voulons en définir pour commencer à six heures du matin et finir à sept heures, afin de pouvoir nous blanchir et nous raccommoder. De plus, nos estomacs étant comme ceux des hommes, nous devons gagner trente sous sans condition, point d’ouvrières à leurs pièces, toutes les ouvrières. Toutes de consentement, de ne point payer l’huile, vu que cela reste pour les patrons; nous autres tisseuses qui sommes à nos pièces, nous voulons que notre ouvrage soit organisé, qui nous reviennent à 50 cent. (d’augmentation) comme les autres. Salut. — Pas d’italiennes!

Ainsi voilà des femmes dont le style démontre assez le manque d’instruction, sans que personne les conseille, les dirige, elles s’adressent directement à leur patron, revendiquent les droits du travail, et sur un refus elles se mettent en grève. Tout est dans leur adresse! Le problème des droits de la femme est nettement posé, il n’est pas difficile de l’en détacher:

Depuis longtemps nous sommes vos esclaves du temps et du prix… Nos estomacs étant comme ceux des hommes, nous désirons… pas d’Italiennes!

Ce dernier trait a rapport aux ouvrières appelées du Piémont afin de multiplier le nombre des tisseuses, et, partant, diminuer le salaire par la concurrence.

C’est donc dans les dernières classes, chez les personnes les moins instruites que commence à se produire la révolution sociale. L’heure de l’émancipation approche. En avant!

J. ALBIOT

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Encore une photographie prise dans un lecteur de microfilms de la Bibliothèque nationale de France pour cette image de couverture.