Voici le premier d’une série d’articles que je consacre aux prisons versaillaises.

L’article que je reproduis ici est paru dans le numéro 9, daté du 23 octobre 1871, du quotidien Le Radical, fondé par Jules Mottu. J’ai déjà mentionné ce journal dans cet article consacré à son directeur. Et j’ai (re-)publié il y a quelques semaines un article consacré à Louise Michel.

Depuis la fin du mois de mai, il n’y avait aucun journal d’ « opposition ». Le Rappel ne parut que du 1er au 25 novembre, puis à partir du 1er mars 1872. Le Radical est vite qualifié, par la presse « de l’ordre », d’ « organe des bagnes et des pontons ». Il informe en effet, entre autres choses,  sur les pontons et, plus généralement, sur les prisons versaillaises. 

Nous voici dans la prison attenante au Palais de Justice, à Versailles.

Les premiers conseils de guerre ont eu lieu. Les premiers condamnés à mort attendent leur exécution.

Voici l’article (comme toujours, ce qui est en bleu m’est dû). 

Nous recevons les détails suivants sur les prisonniers de Versailles. Nous ne pouvons garantir l’exactitude des détails.

On veut, assure-t-on, exécuter Gustave Maroteau, Ferré, Rossel et Lullier !… Ils sont maintenant, tous les quatre, dans les cellules numéros 9, 6, 8 et 7 de la prison attenante au Palais de Justice, rue Saint-Pierre; directeur M. Coussiol; gardien-chef M. Crépalie.

Maroteau (n°9) est mourant. On l’a apporté de l’hôpital de la rue de la Bibliothèque.

Ferré (n°6) ne se départ pas de son sang-froid, pas plus, du reste, qu’il ne se sépare de sa cigarette. Il sort chaque jour pour la promenade avec les autres détenus. Mais vous savez qu’ici comme à Mazas, les promenades se font dans un préau cellulaire ; Ferré et nul des autres ne communique donc avec personne.

Rossel (n°8) est sombre ; il monologue beaucoup.

Lullier (n°7) mange et boit du matin au soir et dort du soir au matin. M. le commandant Gaveau le visite fréquemment.

M. Fontaine est aussi en la même maison ; il sera jugé, dit-on, le 26 ou 27 courant, pour pillage et démolition de la maison de M. Thiers. D’autres assurent que M. Thiers, inquiet de révélations possibles, empêchera ce jugement. M. Fontaine occupe la cellule n°23 ; il est calme et ne s’attriste que de la situation de sa femme et de ses enfants ; il a cinq garçons : l’un officier de marine, l’autre militaire, un troisième étudiant, et deux en bas âge. Sa femme a été arrêtée, puis a été relâchée après avoir souffert mille tourments.

Humbert, du Père Duchêne et de la Sociale, n’a même pas encore été interrogé !… On s’en étonne !

M. Vaissier (n°17) ingénieur civil, accusé d’avoir livré les plans d’un système nouveau de barricades à la Commune, vient enfin d’être élargi, en suite d’une ordonnance de non-lieu. Bien loin d’avoir livré quoi que ce soit au général Rossel, il avait été, au contraire, un instant arrêté et séquestré pour refus de coopération à la défense de Paris !… Le voilà libre ; — mais qui le dédommagera de ses 135 de jours de captivité inique ? des pertes considérables éprouvées durant ce temps-là ? des vols commis en son absence dans son coquet hôtel de la rue Saint-Lazare ? Et surtout qui dédommagera sa mère, Mme Vaissier, âgée de 71 ans, accourue d’Auvergne pour aider les préparatifs de défense de son fils, et, pour ce motif, arrêtée, emprisonnée, transférée en la maison d’arrêt d’Arras, sur l’ordre de M. Fallières, capitaine-instructeur chargé de l’affaire… Pauvre justice de France…

M. Henri Rochefort (n°11) partira dans trois jours pour l’île d’Aix. Il ne prend aucune promenade, ne dit mot à personne, reçoit peu de visites, lit le Figaro. Son état n’est pas abattement, mais scepticisme, mépris général. Il va assez bien, vivant comme un anachorète.

M. Gromier (n°28) est toujours souffrant : le médecin le visite chaque jour ; on lui a donné un matelas ; tous les autres n’ont qu’une mince paillasse ; il reçoit aussi chaque jour un quart de vin. On doit le transférer à Sainte-Pélagie, pavillon des Princes, parce qu’il a été acquitté de tous chefs d’accusation se rapportant à la Commune et n’a été condamné que comme journaliste.

La discipline de la prison de la Maison de justice est sévère : à 6 h.1/2, le lever ; à 9 h. une soupe maigre, du pain, de l’eau; à 11h., promenade cellulaire ; à 4 h., soupe aux légumes ; à 8h., coucher.

Défense d’avoir en cellule le moindre objet tranchant ou piquant : même des aiguilles !

Une veilleuse allumée en chaque cellule tous les soirs.

Deux doubles grilles au parloir cellulaire ; pas d’autres parloirs, et demi-heure seulement accordée à la visite !

Cinq jours pour faire arriver une lettre à Paris et cinq jours pour recevoir la réponse !

Cantine tenue par un entrepreneur, qui loge à un quart d’heure de la prison ; nul aliment servi chaud. Prix indécemment élevés.

Un factionnaire nuit et jour dans le couloir des cellules et un dans le chemin de ronde, deux autour du préau.

Importante, grave observation.

Versailles regorge de prisonniers et regorge de Bonapartistes. Or, on affirme que les seconds circonviennent si bien les premiers, que beaucoup de détenus attendent, maintenant, le Sédantaire comme les Juifs attendaient le Messie.

On leur dit que l’Empire les amnistiera, et ils l’espèrent. J’ai moi-même, aux Chantiers [une autre prison de Versailles], entendu ce dialogue :

Ah ! Georges, sous l’Empire tu ne serais pas resté si longtemps captif. Le député de chez nous t’aurait bien fait élargir !

— Que veux-tu, ma pauvre femme, nous sommes en République si drôle…

— Oh ! cette République, comme je la hais ! Les républicains sont-ils assez malheureux grâce à elle !

— C’est bon ; attends quelques jours tu verras. Badinguet va revenir. Je serai libre et c’est Thiers qui sera en cage.

— Oh ! si ça pouvait être vrai ! Mieux vaut l’Empire qu’une mauvaise République semblable !

*

L’image de couverture représente les abords d’une des prisons versaillaises, celle de l’Orangerie, elle vient du Monde illustré du 19 août 1871 et de Gallica, là.