Le 10 juin 2019, Gustave Courbet, qui s’en fiche bien, a eu deux cents ans…

Pendant que, à Ornans, les gilets jaunes étaient écartés et empêchés de participer à la fête que peut-être Courbet aurait qualifiée de napoléonienne (en effet j’ai souvent eu l’occasion de dire que le second empire avait été le pire régime policier que la France ait connu, à part peut-être Vichy, mais est-ce toujours vrai?),

pendant que, à Paris, derrière le musée d’Orsay, des amis de Courbet fêtaient aussi son bicentenaire,

pendant que, à Ornans, le pouvoir fêtait « son » Courbet (et que je me disais que, après les lettres à Gustave Puissant et le toast recréé pour son bicentenaire, j’écrirais bien une lettre de Gustave Courbet à notre souverain — peut-être une autre fois!), 

l’Institut Courbet d’Ornans achevait la fabrication du livre Courbet en privé. Publiant ainsi des fac-similés des lettres du peintre que l’Institut possède, à admirer, ces fac-similés, sans modération, avec des commentaires ou introductions sur tel ou tel thème. Un beau livre.

Je vous en livre ici les pages 639 à 641, « Courbet politique ».

Gustave Courbet politique

Gustave Courbet a été communard. Ignorer cette prise de position, ou l’édulcorer, le grand peintre réaliste n’aurait participé à ce moment d’histoire que par naïveté — l’artiste est un grand enfant –, ce serait revenir au temps où les biographes le faisaient souffrir d’une « affection douloureuse » avant de le faire mourir d’hydropisie (1).

Oui, Courbet avait des hémorroïdes, oui, Courbet est mort des suites d’une cirrhose, et, oui aussi, Courbet a été membre de la Commune de Paris. Comme suite logique de ses engagements. Et il est resté solidaire de ses amis politiques, jusqu’à sa mort.

Gustave Courbet a peint des tableaux que lui et les critiques ont qualifiés de « socialistes ». Il s’est lui-même déclaré socialiste. Il a admiré le philosophe Pierre-Joseph Proudhon, avec qui il était lié d’amitié. La plus grande partie de sa vie d’artiste s’est déroulée « sous » le second empire. S’il s’était demandé, en 1848, si la République serait aussi favorable aux arts que la monarchie (2), il n’a pas mis longtemps à comprendre que le second empire était contraire à l’indépendance de l’artiste. Dans son combat pour cette indépendance, Gustave Cournet a vécu des relations compliquées avec le pouvoir « napoléonien » — aussi compliquées que l’orthographe du nom du détesté intendant des Beaux-Arts, Nieuwerkerke.

Il s’est pleinement et publiquement engagé dans la vie politique, du 4 septembre 1870 (proclamation de la République) au 28 mai 1871 (fin de la Semaine sanglante), avant et pendant la Commune.

Il a présidé la « commission des artistes » mise en place après le 4 septembre, pour la sécurité des œuvres d’art mais pas seulement. Il a offert un canon à la défense nationale pendant le siège de Paris. Il a essayé de se faire élire à l’assemblée nationale le 8 février, puis (et c’est déjà la Commune) à l’assemblée communale le 26 mars 1871, il n’a pas obtenu assez de voix, il s’est (re)présenté aux élections complémentaires le 16 avril et il a été élu, il a accepté cette élection malgré la faible participation, il trouvait que Paris était « un vrai paradis » (3). Il était depuis le 10 avril président de la « fédération des artistes », qu’il avait contribué à créer.

Il voulait travailler dans, avec, l’assemblée communale et il l’a fait. Les procès verbaux des séances de la Commune révèlent un Courbet occupé aux problèmes de la cité, de ses arts et de sa guerre. Avant même son élection, il apparaît dans le procès verbal du 12 avril : il demande que soient rouverts les musées et les expositions de peinture (fermés pendant le siège prussien). Membre de la Commune, il ne se contente pas d’être le « président des artistes ». Il est élu à la commission de l’enseignement, il rend visite aux gardes nationaux qui, dans les forts du sud, résistent à l’armée versaillaise, il tente de défendre Gustave Chaudey, qui sera pourtant exécuté, comme otage, par Raoul Rigault, pendant la Semaine sanglante, il interpelle M. Thiers qui « nous » refuse le droit de « belligérants » (ce qui lui permet de ne pas respecter les lois de la guerre, notamment en fusillant les prisonniers), il demande (le 27 avril) qu’on exécute le décret sur la démolition de la colonne Vendôme,

« On pourrait peut-être laisser subsister le soubassement de ce monument, dont les bas-reliefs ont trait à l’histoire de la République; on remplacerait la colonne par un génie représentant la Révolution du 18 mars. »

Il joue son rôle d’élu du sixième arrondissement en recevant les représentants des bataillons mécontents, il vote contre l’adoption d’un comité de salut public, il cherche une salle pour que les réunions de la Commune puissent se tenir en public, il tente de mettre les objets de collection recueillis au cours de la destruction de la maison de M. Thiers dans un musée, il signe le manifeste (anti-autoritaire) de la minorité, il est présent et même assesseur lors de la dernière réunion de la Commune dont il reste un procès verbal, le 21 mai, au moment où l’armée versaillaise entre dans Paris, et il intervient pour l’élargissement de Cluseret (4).

Il est arrêté le 7 juin chez un ami. Pour mieux se dissimuler, il a même rasé sa célèbre barbe. Il a subi diverses prisons versaillaises (5) avant d’être jugé en août avec les autres « membres de la Commune » arrêtés. Le système de défense qu’il a adopté tente de le disculper : le décret sur la démolition de la colonne Vendôme (12 avril) était antérieur à son élection (16 avril), d’ailleurs elle était laide (on frôle l’oxymore), et il avait démissionné de la Commune le 15 mai (la colonne Vendôme a été démolie le 16 mai). Aucun des juges ne crut à la démission le 15 mai, ce qui n’empêche pas que beaucoup d’historiens continuent à la répéter… Grâce à un avocat célèbre et bonapartiste, il a été condamné le 2 septembre à seulement six mois de prison (6), dont il put faire une partie dans une clinique « grâce » à ses hémorroïdes — grâce auxquelles aussi il avait assisté aux séances du procès, plus de trois semaines, assis sur un coussin sanglant –, et il y fut opéré.

Il semble qu’il n’avait pas peint pendant cette période « révolutionnaire » de 1870-71. Il a dessiné un bel autoportrait « glabre » (avant son arrestation) (7), une vue de « fédérées » (8) aux grandes écuries de Versailles (c’est une prison) et une de « fédérés à la Conciergerie » (c’est aussi une prison), qu’il a dédiée à Léon Bigot, un avocat républicain qui défendait d’autres membres de la Commune pendant le procès (9), et c’était aussi une prise de position politique. Durant son emprisonnement (jusqu’en mars 1872), il a recommencé à peindre, peut-être pas le célèbre autoportrait à Sainte-Pélagie, mais de nombreuses natures mortes, « grâce » à l’absence de modèles dans les prisons versaillaises.

Il a ensuite été jugé à nouveau et condamné en 1874 à payer la reconstruction de la colonne Vendôme. Il a rejoint la Suisse où de nombreux communards étaient en exil.

Si, après son arrestation, il a écrit de nombreuses lettres à des personnalités pour se disculper (voir la correspondance et la lettre à Devienne ici), sa correspondance privée, de même que les rapports de mouchards à la préfecture de police, le montre solidaire de ses amis communards.

Les numéros, dans ce texte, font références aux notes:

(1) Forges (Marie-Thérèse de), Biographie, in Gustave Courbet, Paris 1977-78, Éditions des musées nationaux (1977).

(2) Chu (Petra ten-Doesschate)Correspondance de Courbet, Flammarion (1996), lettre Chu 48-2. Il a aussi admiré les insurgés de juin 1848, Chu 48-4.

(3) Lettre Chu 71-16.

(4) Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel)Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).

(5) Dépôt, Conciergerie, Versailles, Mazas, Versailles (Orangerie, hôpital militaire, Orangerie), Sainte-Pélagie.

(6) Troisième conseil de guerreProcès des membres de la Commune, Versailles (1871).

(7) Reproduit dans Gustave Courbet et la Commune, Réunion des musées nationaux (2000).

(8) Ce sont bien des femmes, et d’ailleurs le titre manuscrit, sur le dessin au fusain, est bien écrit au féminin.

(9) Chu 71-33. Noter que Léon Bigot est mort en 1872 (et pas en 1871, comme il est dit par erreur dans les notes de cette « lettre »).

Autres livres cités

Courbet en privé. Correspondance de Gustave Courbet, sous la direction de Carine JolyBesançon, éd. du Sekoya (2019)

Sarfati (Yves), Schlesser (Thomas), Tillier (Bertrand) (éds)La correspondance de Courbet — 20 ans après, les presses du réel (2018).