Hier lundi 10 juin 2019, c’était le bicentenaire de la naissance de Gustave Courbet. Diverses manifestations ont eu lieu, à Paris, à Ornans… dont sans doute je reparlerai sur ce site
J’ai participé à un banquet républicain à Paris, j’ajoute le programme (cliquer ici). Donc, j’étais maîtresse de cérémonie pour l’heure des toasts. Tout ceci était, certes très sympathique et même, foutrement intéressant par moments, mais quand même un peu bcbg… je me suis dit que Courbet aurait mis les pieds dans le plat et que même si mes pieds étaient moins grands que les siens, je lui devais bien d’essayer d’en faire autant.
Voici donc le toast que j’ai prononcé (en m’inspirant des sources et des méthodes utilisées pour la production des lettres dont il est question dans un article précédent (cliquer)).
J’ai découvert Courbet dans l’exposition de 1977 et dans son catalogue. Qui contient une biographie… écrite sous la contrainte de raconter la vie de Courbet sans utiliser, ni le mot hémorroïdes, ni le mot cirrhose — et à peine une ou deux fois le mot Commune. Cette contrainte a dû inspirer les auteurs du programme de notre banquet [lien ci-dessus], qui ne contient aucune occurrence d’aucun de ces trois mots, qu’il faut bien qualifier de malséants.
En préparant ce toast, je pensai que Courbet aurait mis les pieds dans le plat — et que je lui devais bien d’en faire autant. C’est alors que je me suis souvenue d’un document vu dans le dossier Ba 1020 aux archives de la préfecture de police. Ce qui fut peut-être l’occasion du dernier toast de Courbet lui-même. Noté par un mouchard qui signait Ludovic [selon le Maitron, celui-là n’était ni Chalain (n°20), ni Puissant (n°6), mais Josselin] et l’envoya à Paris sans doute pour financer sa propre cirrhose.
Nous sommes à Genève le 20 janvier 1877 et même déjà le 21 puisqu’il est trois heures du matin. Il y a eu un concert, le tirage au sort d’une tombola en faveur des déportés en Nouvelle-Calédonie organisée par La Solidarité, société de communards proscrits, et la distribution d’une partie des lots. Le souper commence.
Voici donc ce que dit Courbet, selon le mouchard et mes souvenirs, mais j’ai du mal à croire qu’un faussaire aussi minable ait été capable d’imiter à ce point le style de Courbet. Je n’essaie pas, moi, d’imiter son accent franc-comtois. Malgré tout, je me demande comment il prononçait le mot toast.
Citoyens mes amis !
Je suis heureux d’être avec vous qu’on est si bien et que ça me fait de l’émotion de repenser au bon temps où on a voulu changer le monde et à nous deux Varlin à la mairie de Saint-Sulpice, à la mémoire de tous ces bons bougres qu’on a massacrés et aux autres qu’on nous a traînés la chaîne aux mains dans les rues.
Alors je lève mon verre. Oui, et je bois. Oui, maintenant que l’état de mon derrières m’en laisse le loisir, que cette affection hémorroïdale m’a fait souffrir, que je pouvais boire que de la bière. Oui, je bois, même si c’est la cause que j’ai un grossissement du foie, que mon médecin appelle une cirrhose.
Je bois à la mémoire des amis morts, et à celui qui gagne le tableau du grand peintre Courbet, vous avez vu le prix qu’on vend mes tableaux, ça prouve que la Commune monte !
Je bois aux fondements de la République, au triomphe de la république démocratique et sociale, oui, sociale, comme voulait mon maître Proudhon. Les fondements de la république, ne pas confondre avec les fondements de ces stupides napoléoniens devenus républicains, mais assez parlé de ces trous du cul.
À la fraternité — à vous mes frères — et à l’égalité, à vous mes toutes belles qui êtes à l’origine du monde, à la liberté, pour nous l’année prochaine à Paris !
*
Courbet portant un toast sur l’image de couverture a été dessiné par Léonce Petit dix ans avant notre toast, en 1867 et est paru à la une du Hanneton.
Livres cités
Forges (Marie-Thérèse de), Biographie, in Courbet, catalogue de l’exposition, Paris, 1977-78, Éditions des musées nationaux (1977).
Sarfati (Yves), Schlesser (Thomas), Tillier (Bertrand) (éds), La correspondance de Courbet — 20 ans après, les presses du réel (2018).