Que s’est-il passé, boulevard de La Villette à Paris, le 14 août 1870 à quatre heures du soir? Dans le livre Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, j’ai écrit simplement, dans une note au bas de la page 341: « Une peu compréhensible opération blanquiste. » Il n’était pas indispensable, dans un livre d’écrits d’Eugène Varlin, de m’étendre sur cette question. J’en ai dit un peu plus, en réponse à des questions, au cours de certains des débats lors de présentations du livre.

Voici une série d’articles sur cette opération, avec interventions de certains de mes auteurs préférés, Prosper-Olivier Lissagaray, Eugène Varlin, Jules Vallès et André Léo.

D’abord, le contexte.

Le 14 août 1870 est un dimanche.

Rappelons que le 15 août (date anniversaire de la naissance de Napoléon Ier) est une grande fête officielle sous le second empire (populairement appelée « Saint-Napoléon »). Mais en 1870, l’actualité est un peu lourde pour faire la fête. La France est en guerre contre la Prusse depuis le 18 juillet et cette guerre tourne à la déroute pour l’armée française — la bataille de Reichshoffen, représentée sur l’image d’Épinal en couverture de cet article, ainsi que plusieurs autres défaites viennent d’avoir lieu.

D’autre part, plusieurs des militants ouvriers les plus connus ont été condamnés au « Procès de l’Internationale » à Paris le 9 juillet, et ils sont incarcérés à Sainte-Pélagie, la plupart depuis le 20 juillet (voir un article précédent de ce site). Quelques-uns, dont Eugène Varlin, se sont mis à l’abri à l’étranger. Plusieurs militants blanquistes ont été condamnés pour un prétendu complot, au « Procès de Blois » alors même que la guerre était déjà déclarée.

Ensuite, un extrait d’un article de journal, paru dans Le Journal Officiel de l’Empire français daté du 15 août 1870.

Dans l’après-midi du dimanche 14 août, vers 4 heures, une bande de soixante à quatre-vingts individus, tous armés de revolvers et de poignards exactement conformes à ceux précédemment saisis [avec des drapeaux rouges, je reviendrai, grâce à André Léo, sur ces poignards dans un article ultérieur] ont attaqué le poste de la caserne des pompiers qui est sise boulevard de La Villette.

Ils ont assailli les hommes à coups de poignards et de revolvers; le factionnaire a reçu un coup de poignard dans la poitrine. Un autre pompier a été très-grièvement blessé de trois balles, et quatre fusils du poste ont été enlevés. Les sergents de ville du 19e arrondissement, accourus aussitôt, ont également essuyé une décharge; l’un d’eux est tombé mort; trois autres ont été grièvement blessés; les médecins désespèrent de la vie de deux d’entre eux. Une petite fille de cinq ans a reçu dans le ventre une balle de revolver qui l’a tuée.

Les sergents de ville, conduits par leur officier de paix et sous la direction de commissaires de police, ont immédiatement arrêté le principal meneur et quatre de ses complices.

Enfin un bref résumé, nettement plus sévère que mon « peu compréhensible »: ce qu’en dit Lissagaray dans le chapitre « Comment les Prussiens eurent Paris et les ruraux la France » du prologue de son Histoire de la Commune de 1871.

Le 14, un dimanche, le petit groupe blanquiste, qui n’a jamais voulu sous l’Empire se mêler aux groupements ouvriers, et ne croit qu’aux coups de mains, essaye un soulèvement. Malgré Blanqui consulté, Eudes, Brideau et leurs amis attaquent à La Villette le poste des sapeurs-pompiers qui renferme quelques armes, blessent la sentinelle et tuent un des sergents de ville accourus. Restés maîtres du terrain les blanquistes parcourent le boulevard extérieur jusqu’à Belleville, criant: « Vive la République! Mort aux Prussiens! » Loin de faire traînée de poudre ils font le vide. La foule les regarde de loin, étonnée, immobile, poussée au soupçon par les policiers qui la détournaient de l’ennemi véritable, l’Empire. Gambetta, très mal instruit des milieux révolutionnaires, demanda la mise en jugement des personnes arrêtées. Le conseil de guerre prononça quatre condamnations à mort.

Dans le prochain article, nous verrons Eugène Varlin s’interroger. À suivre, donc!

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L’image de couverture est une image Pellerin d’Épinal, gravée par Firmin Gillot, et représente la bataille de Reichshoffen (l’orthographe des noms de lieux alsaciens semble mal connue dans les Vosges…) et vient de Gallica, là.

Livres cités

Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2019).

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).