Après les résumés du Journal officiel (toujours de l’empire) et de Lissagaray, après les interrogations d’Eugène Varlin et les souvenirs de Jules Vallès, il reste un détail de l’opération de La Villette et de son exploitation par la police et la justice (toujours impériales), celui des « poignards de l’Internationale », qu’André Léo met en lumière pour nous. Il s’agit des

revolvers et poignards exactement conformes à ceux précédemment saisis

de l’article du Journal officiel. Qui sont bientôt qualifiés dans la presse de poignards de l’Internationale.

Ainsi la répression de cette tentative blanquiste est utilisée contre l’Association internationale dont, souvenons-nous-en, les membres parisiens les plus connus sont en prison ou en exil.

André Léo collabore au Siècle, elle envoie des lettres, mais aussi, justement en ce mois d’août (numéros datés des 15, 16, 18, 22 août), des articles sous le titre « L’invasion de 1814 » — sur l’occupation étrangère en 1814, donc, en phase avec l’actualité de la guerre et de ses défaites. Simultanément avec cette série d’articles, l’actualité lui fait envoyer des lettres « démentis » sur l’affaire de La Villette, qui jettent une lumière un peu différente sur la répression.

Une des vertus de cette correspondance est de nous aider à préciser où a eu lieu cette affaire « de la Villette » — il n’y a plus de caserne de pompiers sur le boulevard de la Villette (mais il y en a une quai de Valmy) — à l’extrémité de la rue de Flandre sur le boulevard de la Villette, pour nous au métro Stalingrad.

Voici ces lettres:

Le Siècle, 18 août 1870

Mme André Léo nous prie d’insérer la note suivante:

La Gazette des tribunaux, après avoir rendu compte à sa manière de l’affaire de la Villette, écrit ceci:

« On a saisi sur les auteurs de cet infâme guet-apens de nombreux revolvers et des poignards dits de l’Internationale, armes terribles, etc.

 » … Des perquisitions opérées chez certains inculpés ont amené la saisie d’armes, telles que revolvers de fort calibre et de poignards (modèle de l’Internationale). »

Ceci est une calomnie ignoble !
J’oppose à cette infamie — que je rougis d’avoir à toucher, — le plus formel démenti.

ANDRÉ LÉO

Elle est soutenue dans le journal du lendemain:

Le Siècle, 19 août 1870

Nous avons publié hier une généreuse protestation de Mme André Léo contre les assertions calomnieuses d’un journal relatives à l’Internationale; les citoyens soussignés protestent à leur tour contre les calomnies qui représentent la société l’Internationale comme affiliée à la Prusse :

Monsieur le rédacteur,
Tandis qu’en Prusse, Bismarck et Guillaume poursuivent et proscrivent l’Association internationale, ici d’infâmes calomnies la signalent comme l’agent principal du despotisme prussien.

Eh bien, nous soussignés, membres français de cette association, nous mettons publiquement au défi les misérables calomniateurs d’avouer les sources où ils puissent ces ignobles accusations. Et nous en appelons à l’opinion publique pour qualifier cet odieux système de dénonciation anonyme, qui ne peut avoir qu’un but : nous rendre suspects à nos concitoyens, parce que depuis longtemps nous avons affirmé en même temps les droits du travail et l’amour de la liberté.

Ont signé : H. Tolain, Émile Landrin, Demay, Perrachon, Camélinat, Saint-Simon, Gérard-Merville, Morel, Léon Landrin, Dudach, Lampérière.

À la suite, on peut lire un témoignage dans lequel elle apporte une information que Jules Vallès ne connaissait sans doute pas: une réunion de l’Association internationale était prévue à La Villette le 14 août après-midi!

Au sujet des calomnies dirigées par les feuilles officieuses contre la même société, Mme André Léo nous adresse les lignes suivantes qui ont la valeur d’un témoignage:

On a demandé le grand jour sur les faits qui se sont produits à la Villette. Il ne se fera probablement pas. Mais voici ce que je sais, ce que j’ai compris dès le premier moment, et ce que sont venues confirmer les calomnies des feuilles officieuses. Il y a effectivement un complot dans l’affaire de la Villette, un complot contre l’Internationale, une manœuvre indigne.

Dimanche dernier, une réunion de l’Internationale devait avoir lieu rue de Flandres, à deux heures (ce qui veut dire trois, généralement). Les menaces du commissaire de police au concierge de la salle empêchèrent cette réunion au dernier moment, en sorte qu’un grand nombre de personnes venues pour y assister se trouvaient, de trois à quatre heures, sur le boulevard, à l’issue de la rue de Flandres. C’étaient des groupes paisibles, calmes. On s’y entretenait des malheurs publics. De quel autre sujet parler ?

Je quittai ce point vers trois heures et demie, peu avant l’événement, que j’appris seulement le soir par plusieurs amis. Ils en éprouvaient comme moi une stupéfaction douloureuse. Ils en avaient été témoins, puisque les nôtres à cette heure remplissaient le boulevard. Cette coïncidence nous frappa; nous pensâmes qu’on avait voulu compromettre l’Internationale. Qui ? Nous ne savions ; mais nous rappelâmes le dicton : à qui la chose doit-elle profiter ?

Mardi, on lisait dans le Petit Moniteur: « Le chef de l’attaque de la Villette paraît être un nommé Périn, un des chefs de l’Internationale.

L’Internationale n’a pas de chefs. Et Périn ne figure nullement sur la liste des gens arrêtés.

Et maintenant, la Gazette des tribunaux vient nous apprendre l’existence de poignards dits de l’Internationale, donnant ainsi l’apparence d’un fait constaté à une invention infâme. L’Internationale n’a pas de poignards. Elle n’a pas pris part à l’attaque de la Villette. Elle a cru seulement y reconnaître Guérin, échappé de Blois.

Mais quoi! l’occasion est si belle pour les feuilles officieuses d’accuser toute une association, tout un parti! Honnêtes gens! regardez donc un peu où vous êtes et ce qui se passe autour de vous; regardez donc la France envahie, saignante, épuisée. Donnez-nous des renseignements sur l’espion prussien et sa dépêche; mais n’essayez plus de jouer du spectre rouge. Que pourrait-on craindre encore désormais? De la sécurité, de la fortune du pays, que reste-t-il?

ANDRÉ LÉO

*

J’utilise toujours le même plan de Paris.

Comme toujours, puisqu’il est question d’André Léo, je remercie Jean-Pierre Bonnet pour son aide!