Suite du carnet d’Adolphe Clémence

Octobre

Samedi 1. 14e journée du siège

L’état major campait dans une maison de compagne de 2 étages au milieu d’un jardin, le tout assez petit et situé au bord de la route militaire

2h de faction le jour, 2 heures la nuit. relevé à 10h, rentré à midi. Protestation au maire de mon arrondissement

Dimanche 2. Strasbourg et Toul ont capitulées [sic] !!!!…. signature d’une pétition demandant que les frais de la guerre fussent supportés par ceux qui sans motifs valables ont abandonné Paris

ma protestation d’hier a été adressé [sic] au maire Greppo [sur Greppo, nommé maire du quatrième après le 4 septembre qui fut ensuite député de Paris et conciliateur pendant la Commune, voir la notice du Maitron], elle avait trait à la façon déplorable dont était au nom de la mairie du 4e distribué de l’ouvrage aux citoyennes couturières. Promenade au point du jour avec Gorges [sic, Georges, le fils d’Adolphe et Léonide Clémence, qui aura trois ans le 8 octobre]

[sans doute ajouté après, sur la page de gauche blanche] le 2 je sors avec Georges je prends le bateau jusqu’au point-du-jour, puis le chemin de fer jusqu’à la rue du Gal Ulrich, je vais à pied jusqu’aux Champs-Elysées puis prend [sic] l’omnibus jusqu’au Louvre, le reste à pied [c’est dimanche, quand même!]

Lundi 3. 16e journée du siège de Paris. Distribution d’un képi et d’une vareuse, promenade avec mon père en bateau à vapeur du pont des Sts-Pères [notre pont du Carrousel] au point du jour, retour de la station de Grenelle à celle du pont Louis-Philippe. je porte mon fusil à réparer

Mardi 4. J’assiste à la salle Bourdon. Mon fusil est en réparation, pas d’exercice, à l’ordre on nous annonce que nous avons nommés [sic] nos chefs pour 3 ans !!

Mercredi 5. 18e journée du siège, calme manifestation des bataillons de la Villette et de Belleville sous la conduite de Flourens [une des manifestations place de l’Hôtel-de-Ville], on demande à faire des sorties, à marcher à l’ennemi, visite de Fauris [un Étienne Fauris était un des rédacteurs de La Mutualité, dans la même mouvance que Pierre Vinçard apparu dans l’article précédent, un an plus tard, Adolphe Clémence a correspondu avec un Antoine Fauris]. Distribution d’une légère couverture

Jeudi 6. le matin froid, à 11h je vais chercher mon fusil, paie 3 f, protestation des capitaines de mon bataillon contre Amouroux, secrétaire de la Commission d’armement à ma mairie, le soir apparition de notre tambour. Visite à Charles [Charles est sans doute Charles Oblet, le beau-père d’Adolphe Clémence]. Confection des tableaux de recensement pour les subsistances,brouillard et fraîcheur le matin

Vendredi 7. 20e journée du siège de Paris. Ce matin froid. Nouvelles rassurantes des départements. Décision relative à la viande nécessaire aux hommes de garde aux remparts 1/2 livre par homme, à midi canonade du côté de Bicêtre, le matin premier service de notre tambour, le soir la mairie lui retire sa caisse. Ordre pour les fortifications. paie 1,50 [ce sont les fameux trente sous versés quotidiennement aux gardes nationaux]

Samedi 8. pluie. Garde aux fortifications entre les bastions 2 et 3 dans une des gares du chemin de fer de Lyon. Départ à 7h1/2 pour l’hôtel de ville, départ de l’hôtel de ville à 9 h. Arrivée à la gare aux marchandises du chemin de Lyon par la rue militaire, à 10h passé. promenade dans cette gare. garde au poste des officiers de 4h à 5h1/2 (pluie). paie 1,50

Georges a trois ans aujourd’hui

Dimanche 9. 24e journée du siège de Paris. Journée pluvieuse, deuxième jour de service de Mme Valette, notre cantinière. Relevé de garde à 10h. retour à Paris = je me couche à midi 1/2 = hier manifestation et contre-manifestations à l’hôtel de ville à propos de la Commune [voir nos articles sur la manifestation ratée du 8 octobre]. la situation politique s’assombrit.

Lundi 10. pas d’exercice le matin à cause de la pluie, 2 heures de queue chez le boucher Huteau pour obtenir 2 livres de viande pour pot au feu [il n’est pas certain qu’Adolphe ait fait lui-même cette queue, c’était plutôt une affaire de femmes…]. Cette viande classée dans la 3e catégorie est cotée 65c le 1/2 kilog. à 4h exercice, à 6h1/2 départ de ma compagnie pour protéger l’hôtel de ville contre une prétendue manifestation des gardes nationaux de Belleville en faveur de la nomination d’une commune. notre dérangement est inutile. Retour à 7 heures.

Mardi 11. 24e journée, paie 3 f, Fauris vient me voir, je suis de piquet, beau temps. Le matin exercice, avant la fin ordre de se masser immédiatement avec le bataillon sur la place de l’hôtel de ville et d’y rester de piquet. On craint une manifestation de Flourens en faveur de la Commune. nous faisons l’exercice de 2 à 3h. à 5h nous recevons l’ordre d’aller à la place Royale [place des Vosges] a 6 h nous revenons chez nous, à 8 heures je vais chez Robillard au conseil de la Société [celle des relieurs]

Mercredi 12. pluie. le matin exercice puis chez mon père où je mange du cheval délicieux, à 2h je vais à la Marmitte [sic, sur la Marmite, voir nos articles; comme une des notes suivantes le confirme, le père d’Adolphe Clémence devait habiter le sixième, pas loin de la Marmite, donc] où je rencontre Varlin commandant du 193e [il va bientôt être destitué, voir nos articles, et notamment celui-ci], Delacour [Alphonse Delacour est un autre relieur] lieutenant, Thommelin caporal et Rifflet

le soir, pluie, pas d’exercice, promenade avec Latouche sur la place de l’hôtel de ville, mon comité m’envoie chercher pour aller chez Garnier

Jeudi 13. 26e journée, temps variable, le matin exercice, les sous-officiers manœuvrent en tirailleurs, après le déjeuner je vais me promener avec Georges; sur le quai de l’hôtel de ville on entend une forte canonade partant du côté de Montrouge. à 11h visite de Fauris et de son capitaine en second, Moreau. Le soir visite à Pierre Vinçard [ici sans doute Pierre Vinçard fils, ami de Clémence, qui habitait rue Saint-Gilles]. exercice de 4 à 6h

Vendredi 14. temps variable. Le matin exercice interrompu par la pluie. À l’issue de l’exercice on me distribue un pantalon noir avec bandes rouges, à 11h le Commissaire me fait demander pour m’expliquer au sujet de Mme Parisis que nous logeons [une sous-location, sans doute]

à l’exercice du soir, Dutilloy, notre capitaine en 1er, étant ivre, nous insulte et est conduit au poste, il nous donne sa démission laquelle est acceptée avec empressement. Le soir à la salle Bourdon, réunion publique

Samedi 15. 28e journée du siège. Le mardi exercice, le capitaine Dutilloy n’y paraît pas. exercice à 4 h, 7,50 de paie pour 5 jours [cinq fois trente sous], le soir réunion à la salle Bourdon

Dimanche 16. pluie. Le matin à 9h au rapport à 9h1/2 réunion chez Garnier. Visite de Lévêque à 2h. recette chez Chapalain, en y allant je vois acclamer Et. Arago [Étienne Arago], maire de Paris qui fait devant l’hôtel de ville un discours dans lequel il annonce la venue de Garibaldi. à 4h j’apprends qu’il y a garde demain

Lundi 17. 30e journée du siège, temps variable, réunion le matin à 7h pour désigner les hommes de garde. 2 postes à la mairie du 4e, 1 à la bastille, 1 au quartier de l’arsenal ensemble 105 hommes commandés par le lieutenant Truffaut. pas d’exercice, le soir salle Bourdon je suis assesseur. Visite à Fauris et à Jean Perrin

Mardi 18. temps beau, pas d’exercice à cause des hommes de garde. Le soir salle Bourdon je suis nommé assesseur et parle contre la proposition Montel relative à l’expropriation forcée des usines

Mercredi 19. 32e journée du siège. à 7h1/2 du matin départ de l’hôtel de ville pour aller à Vincennes à la cible [exercice de tir] nous arrivons, au lieu de 6 cartouches nous n’en brulons que 2 et d’autres une. Le soir auditeur à Bourdon

Jeudi 20. Beau. Le matin, réunion chez Garnier, exercice à 9h. l’on vote que désormais cela sera ainsi, paie 7,50. Le soir assesseur-secrétaire à la réunion de la salle Bourdon

Vendredi 21. [rayé 36] 34e journée du siège, temps variable, 9h de queue à la boucherie de la rue de Jouy inutilement, réclamation à la Commission des subsistances à la mairie

Dimanche 23. [rayé 38] 36e journée du siège, temps variable

Lundi 24. visite à Oblet [toujours le beau-père Charles Oblet], temps variable, aurore boréal [sic, c’est celle qui a illustré notre article sur la destitution de Varlin] extraordinaire, coïncidant avec l’explosion d’une fabrique de bombes orsini et l’incendie des caves d’un épicier à Batignolles

Mardi 25. [rayé 40] 38e journée du siège, je m’occupe de la distribution des vareuses, le soir à la salle Bourdon j’expose mon plan lequel est adopté à l’unanimité, temps variable aurore Boréal

Mercredi 26. paie 6 francs. Départ aux fortifications à 7h1/2. temps pluvieux, permission jusqu’à 4 h. à cause de la distribution des livrets au comité des vareuses, j’arrive aux fortifications gare aux marchandises du chemin de fer de Lyon. Scènes d’indiscipline dans la nuit. un factionnaire ivre tire 2 coups de fusil il est arrêté

Jeudi 27. 40e journée du siège, retour des fortifications par le bateau à vapeur [ils sont donc toujours du côté de Bercy], à 10 h temps pluvieux. j’assiste et surveille la distribution des livrets aux ouvrières venant chercher de l’ouvrage [toujours un comité, à la mairie du quatrième, qui donne des vareuses à faire à des ouvrières].

Vendredi 28. temps variable. Jean Perrin m’apporte de l’ouvrage [de la reliure, je suppose]. Visite aux vareuses, j’assiste à leur distribution. conseil du comité à 10h1/2 [sans doute le comité d’arrondissement] je cherche un local. Élections. Egasse proclamé Capitaine en 1er contre Chaveau. 78 voix contre 60. la moitié plus un des votants; Chaveau lieutenant en 2e. Sortie malheureuse de Truffaut

Samedi 29. 42e journée du siège, temps pluvieux. paie 6 frs, levé à 5h1/2 pour la cible, l’on me donne 2 cartouches, la pluie empêche la cible. Visite à Greppo pour le local des vareuses. sa lettre pour Bayer. Allocution, c.à.d. ordres d’Egasse

Dimanche 30. Le matin au Comité d’arr., à 11h chez mon père, foule devant la mairie du 6e arrondissement pour la souscription relative aux canons [le père habite le sixième]. Le soir, je vais à la salle Bourdon avec Léonide et Georges. Bonne séance. Souscription patriotique en l’honneur de Chateaudun. On annonce la reprise du Bourget

Lundi 31. 44e journée du siège. pluie. paie 3j. 4,50, à mon réveil j’apprends la reddition de Metz par Bazaine et la proposition apportée par Thiers d’un armistice et de la convocation d’une assemblée nationale.

Émotion extraordinaire dans Paris, le gouvernement provisoire renversé à l’hôtel de ville

(ce qui donne envie de dire: à suivre)

 

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Le carnet est aux archives de la préfecture de police (dossier Ba 1013), la (rare) lithographie de Manet est au Detroit Institute of Arts, sur le site duquel je l’ai trouvée, la pluie et la queue à la boucherie, comme dans le carnet d’Adolphe Clémence.