Le 15 février 1880, le quotidien La Justice, lancé et dirigé par Georges Clemenceau le 16 janvier précédent, publie, en son numéro 31, un article de son rédacteur en chef, Camille Pelletan, intitulé « La Semaine de Mai — Préface ».
Avant cet article, un éditorial de Clemenceau, consacré à la loi d’amnistie des communards, réclamée par l’extrême-gauche. Le président du Conseil, qui se nomme Charles de Freycinet, a prononcé un discours sommant, dit Clemenceau,
cent dix députés républicains de se soumettre à son autorité.
Avec cette phrase:
Et en même temps que l’amnistie devra cesser d’être en dehors de cette enceinte un instrument d’agitation, elle devra perdre ici même l’apparence d’un moyen d’opposition contre le gouvernement.
Il a dit aussi:
Construisons ensemble nos chemins de fer, creusons nos ports, bâtissons nos écoles, instruisons le peuple, améliorons nos tarifs de douane, dégrevons nos impôts: quand nous aurons fait cela, peut-être alors un jour, au sein de cette France tranquille, apaisée, prospère, unie dans la République, un gouvernement fort de votre confiance,… aura le droit de se lever et de vous dire : Les mesures hardies que vous nous aviez conseillées… le moment est venu de les faire.
« C’est l’amnistie ajournée au XXe siècle », commente La Justice.
Je ferai un jour dans un autre article un historique de cette loi d’amnistie qui, donc, ce jour-là, le 15 février 1880, n’était toujours pas votée.
Et bien sûr, je vais vous parler de l’article de Camille Pelletan. Mais, tant que nous en sommes à regarder La Justice, revenons deux jours en arrière. Le 13 février 1880. À la une de La Justice et en guise d’éditorial, quelques faits historiques sont rappelés,
- 14 septembre 1791, à la Constituante,
L’Assemblée décrète une AMNISTIE GÉNÉRALE en faveur de tout homme de guerre prévenu, accusé ou convaincu de délits militaires, à compter du 1er juin 1789.
- 19 mars 1792, la Législative vote l’amnistie pour tous les crimes et délits relatifs à la Révolution commis dans le Comtat et dans la ville d’Avignon jusqu’au 8 novembre.
- 2 décembre 1794 (12 frimaire an III), la Convention décrète:
Toutes les personnes connues sous le nom de rebelles de la Vendée et de Chouans, QUI DÉPOSERONT LEURS ARMES DANS LE MOIS QUI SUIVRA le jour du la publication du présent décret, ne seront ni inquiétées ni recherchées dans la suite pour le fait de leur révolte.
- 26 octobre 1795 (4 brumaire an IV), la Convention adopte un décret abolissant la peine de mort à partir de la paix générale, et prononçant l’amnistie pour « toutes procédures, poursuites et jugements portant sur des faits purement relatifs à la Révolution ». Et c’est le dernier mot de cette assemblée.
Si le journal publie cette liste, c’est parce que, justement, il va y avoir, demain, 14 février, ce vote à l’Assemblée. Celui, Clemenceau nous le dit le 15, que Freycinet a combattu de son discours.
Mais ce n’est pas pour ces rappels historiques que j’ai ouvert ce numéro du 13 février, non non, pas du tout! C’est pour ce court entrefilet:
M. Maxime Ducamp se présente à l’Académie, où il manquait.
M. Maxime Ducamp a fait époque dans le genre historique. On a compris ce genre, tantôt comme un roman, tantôt comme un pamphlet, tantôt comme une dissertation politique : M. Maxime Ducamp a l’honneur d’avoir fait entrer l’histoire dans la brigade Lombard.
On ne séparera pas les noms d’Hérodote et de Maxime Ducamp. Le premier est le père de l’histoire, mais c’est le second qui lui a trouvé une position. Il l’a mise en carte.
Que j’accompagnerai de deux commentaires explicatifs:
- la brigade Lombard — il y a bien longtemps que je n’en avais pas parlé (allez donc voir là), il s’agit de la police politique
- mise en carte — veut bien entendu dire prostituée.
Pour votre information, le livre d’histoire de Ducamp auquel il est fait allusion est ses Convulsions de Paris, une histoire violemment anticommunarde de la Commune, dont j’ai eu l’occasion déjà de parler ici ou là sur ce site. Et, gloire! Maxime Ducamp a, en effet, été élu deux semaines plus tard, grâce à ce livre, à l’Académie française, qui n’a eu, une fois de plus, que ce qu’elle méritait.
En réalité, ce n’est pas de Ducamp que je veux parler, et pas seulement de l’amnistie des communards, mais de Camille Pelletan et surtout de La Semaine de Mai, le livre. Ce que je ferai dans l’article suivant de ce site. Laissez-moi auparavant présenter Camille Pelletan.
Né en 1846, fils du journaliste et homme politique Eugène Pelletan, il devient lui-même journaliste. Dès 1869 à la fondation de ce journal, il écrit dans Le Rappel. Il est donc dans l’opposition républicaine au second empire. Il fréquente les poètes zutistes. Il est à Paris pendant la Commune mais ne prend pas parti pour la Commune, restant dans la ligne « conciliatrice » de son journal. Il mène ensuite une carrière politique relativement modeste, député, sénateur (la photographie de couverture est titrée « Camille Pelletan, sénateur des Bouches-du-Rhône, en 1914 », et même brièvement ministre).
Le voici, en 1880, qui se lance dans la campagne pour l’amnistie des communards. Comment? C’est ce que vous saurez en lisant l’article suivant, ou le livre mentionné ci-dessous, auquel cet article sera consacré.
Livres évoqués
Du Camp (Maxime), Les Convulsions de Paris, Paris, Hachette (1879).
Pelletan (Camille), La Semaine de mai, Maurice Dreyfous (1880).
La photographie du sénateur radical des Bouches-du-Rhône en 1914 vient de Gallica, là.