Cet article est consacré à un policier, Justin Guillaume Lombard (1838-1880).

Mais, en pensant à toutes celles et à tous ceux sur lesquels je voudrais écrire, mais dont je ne connais même pas les noms, en partie par la faute de ce monsieur et de ses amis, j’aurais trouvé profondément immoral d’utiliser son nom pour en faire le titre d’un article.

C’est en consultant les dossiers de communards aux Archives de la Préfecture de police, et en particulier ceux des proscrits réfugiés à Londres, que j’ai été intriguée par l’apparition récurrente du nom « Lombard » parfois abrégé en « Lomb. » — j’ai essayé d’en savoir plus.

J’ai cru d’abord que ce policier s’ « occupait » de surveiller les proscrits de la Commune à Londres, puis j’ai pensé que son champ de compétences englobait tous les proscrits communards… avant de découvrir qu’il avait toute la police politique sous sa responsabilité.

Mais, commençons par le commencement, c’est-à-dire par le moment où son nom apparaît pour la première fois dans la presse.

Le 7 février 1870, une foule nombreuse assiste à une réunion de club à Belleville, à la salle de la Marseillaise, 51 rue de Flandres.

La salle porte le nom du journal La Marseillaise (celui de Rochefort et Millière), et nous sommes — sous l’Empire — à peine trois semaines après les obsèques de Victor Noir, dans une ambiance pré-révolutionnaire.

Pour qu’une réunion puisse se tenir, il faut la présence (et l’autorisation) d’un policier. C’est un commissaire Barlet qui est chargé d’écouter ce qui se dit. Il entend les orateurs déclarer des choses interdites, en particulier Jean-Baptiste Millière (oui, celui qu’on fera mettre à genoux pour l’assassiner en mai 1871, qui est pour l’instant le gérant de La Marseillaise) dire que l’Empereur est un cadavre. Le commissaire décide donc – il est là pour ça – de dissoudre la réunion.

La foule déjà survoltée apprend alors l’arrestation de Rochefort (qui est le directeur de la Marseillaise).

Gustave Flourens est là (bien sûr), il sort son revolver et son épée, déclare au policier qu’il est son prisonnier – et il proclame la République (tant qu’à faire…).

Petite promenade du commissaire (que son fidèle secrétaire tient par la main), dans les rues de Belleville, jusqu’au canal par la rue du Faubourg-du-Temple. Là, à la suggestion de Flourens, on élève une barricade. Deux omnibus, quelques pavés, la grille d’une boutique. On ne met pas le commissaire à l’eau mais on le laisse partir.

C’est ensuite qu’arrive Justin Lombard. Il est officier de paix du onzième arrondissement. Il n’est pas tout seul, bien sûr. Il voit trois barricades, l’une près du canal, la deuxième au coin de la rue Saint-Maur, et la troisième au niveau du boulevard. Il la juge formidable, et elle est défendue par une cinquantaine d’hommes qui fuient en voyant arriver les forces de l’ordre menées par Justin Lombard. Ils fuient, peut-être pas tout de suite, mais ils fuient, il faut dire que les policiers cognent fort, ils chargent avec épées et casse-têtes, il y a de nombreux blessés. Ça n’empêche pas Justin Lombard d’être blessé à la poitrine d’un coup de baïonnette, du moins c’est la version officielle — d’aucuns disent que c’est un de ses agents qui l’a blessé, ne l’ayant pas reconnu parce qu’il était en civil.

Un récit très vivant et précis de la nuit, qui se conclut par l’arrestation de tout le personnel de La Marseillaise, se trouve dans Le Rappel du 10 février 1870 (le journal a deux « reporters » sur place).

Sur la poitrine meurtrie de son héros, Badinguet, euh, Napoléon III, enfin, pas vraiment lui, mais un de ses aides de camp quand même, vient bientôt accrocher une petite breloque – pas en 1869, comme le croit Le Figaro du 12 avril 1880, et comme le répète un « historien », ce serait une anticipation (le décret est paru au Journal Officiel de l’Empire français le 10 février).

Cette grave blessure à la poitrine en février 1870 n’empêche pas cet officier (de paix, si, si) courageux de venir témoigner au procès, qui a lieu à Blois et en juillet 1870 (Rappel du 25 juillet), ni de fuir Paris à la proclamation de la République en septembre – il avait été menacé de mort, dit-il – d’abandonner son beau bureau de la mairie du onzième – il n’avait certainement pas sa place dans le onzième de Jules Mottu – et de partir dans la Vienne où il s’engage (comme adjudant) — après tout, c’était la guerre!

Il est révoqué de la police le 26 septembre.

Puis réintégré dans la police. Auprès de M. Thiers.

Il n’est certainement pas le seul policier de l’Empire que le gouvernement de la République conserve en fonctions!

Ce qu’il a fait exactement auprès de M. Thiers pendant la Commune, je ne sais pas.

Mais il s’est fait quelques inimitiés, notamment à la mairie du onzième, où un des employés était un journaliste nommé Sigismond Lacroix, avec qui il y eut, après la Commune et le retour de Lombard – car il est revenu chercher des affaires dans « son » bureau, au moins un accrochage.

Ensuite, eh bien, voici ce fervent républicain à la police politique. Vive la République!

Il organise le service de photographie spéciale de la préfecture de police. Je ne suis pas certaine de la date de la création de ce service. Est-ce lui que nous devons remercier pour les portraits de communards que nous utilisons aujourd’hui?

Et il organise le service de surveillance des proscrits. Un efficace système de mouchards, à Londres, en Suisse, en Belgique… Les proscrits vivent le plus souvent dans la misère, et il paie bien (il est vrai qu’en lisant les rapports, on a parfois l’impression que certains de ses agents se moquent de lui…).

Son service est tellement au point que le gouvernement allemand le fait venir, en 1878, pour lui demander des renseignements sur la police politique occulte… qui n’existe pas (pas encore) en Allemagne, paraît-il.

Il fait bien d’autres choses que la surveillance des proscrits, bien sûr, puisque c’est le chef de la police politique (en général). D’autres manipulations sont évoquées dans un livre de Virmaître — je me contente des proscrits.

Et puis il y a l’affaire Rouvier.

Celle-là commence en 1876. Un exhibitionniste se promène dans les jardins du Palais-Royal et s’exhibe (c’est son rôle) devant quelques gamines. Ces gamines, un peu bouleversées, reconnaissent un monsieur qui passe par là et se trouve être un député de Marseille, Maurice Rouvier. C’est un républicain, il a essayé d’empêcher l’exécution de Gaston Crémieux, il vote pour l’amnistie des communards. Quelle aubaine !

Nous sommes au dix-neuvième siècle et aucun hashtag malfaisant ni même simplement stupide ne suit cette histoire. L’affaire est donc calmement et immédiatement éclaircie sans qu’il subsiste aucun doute sur Maurice Rouvier (qu’une carrière politique attend).

Sauf que Le Figaro se met à raconter des choses qu’il ne devrait pas savoir (11 mai 1876). C’est « la police de l’Empire » qui informe Le Figaro, dit-on. Le président de la chambre demande une autorisation de poursuites, Rouvier est jugé (comme ça les choses sont absolument claires) et acquitté.

Mais ce n’est pas fini : en 1878, le journal La Lanterne relance l’affaire en écrivant que tout le monde sait bien que c’est Lombard qui a informé Le Figaro. La Lanterne est jugée et condamnée, mais le ministère de l’Intérieur nomme une commission d’enquête. Une petite valse s’ensuit, Lombard est révoqué, ou démissionne, ou est mis à la retraite. Le conseil municipal de Paris trouve qu’il n’est pas assez malade, le rapporteur est Sigismond Lacroix (celui de la mairie du onzième, qui n’est pas encore député, mais est conseiller municipal, le vent a tourné), une commission de trois médecins décide que, oui, finalement, sa blessure fait qu’il est malade.

Bref, le 31 mars 1879, Justin Lombard est à la retraite. Huit ans et demi après la proclamation de la République, ce n’était pas trop tôt…

Il retombe sur ses pieds et devient chef des informations — sûr qu’il doit en avoir! — dans un nouveau journal (conservateur…), Le Globe.

Et il meurt un an plus tard. On lui fait des obsèques, avec honneurs militaires, à Notre-Dame.

Un an plus tard, c’est en avril 1880. On peut regretter que sa vie n’ait pas duré assez longtemps pour qu’il apprécie le retour des proscrits en juillet. Après « le sieur Krisanowski » (ainsi que Lombard appelait Sigismond Lacroix, dont le nom de naissance était Zygmunt Krzyżanowski), ça l’aurait peut-être achevé!

L’annonce de sa mort (selon mon cœur) dans La Petite République :

M. Lombard, le triste policier qui dut donner sa démission d’officier de paix à la suite des révélations faites sur son rôle dans l’affaire Rouvier, vient de mourir à l’âge de quarante et un an. Il sera regretté par le Figaro, le Gaulois, et M. Maxime du Camp (de Satory).

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Au départ des sources de cet article, les coupures de presse autour de l’affaire Rouvier, de la mise à la retraite et de la mort de Lombard, dans le dossier Lombard aux Archives de la Préfecture de police, complétées par la lecture des journaux cités dans le texte. Et par celle du livre cité (probablement pas complètement fiable). Avec mes remerciements à l’institution pour les premières et à Jean-Pierre Bonnet pour la référence du livre.

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L’image de couverture est un morceau d’une gravure que j’ai copiée sur Gallica dans Le Monde illustré du 4 novembre 1871, exécutée d’après un croquis d’après nature de M. M.-D. Loye.

Livre cité

Virmaître (Charles), Paris-Police, Dentu (1886).