Avant de nous consacrer aux événements d’ « il y a cent cinquante ans », voici le deuxième article de Lucien Descaves sur Maxime Vuillaume que j’ai annoncé. Comme je l’ai dit pour le précédent, ils tombent à pic pour fêter la réédition — c’est nouveau, en août 2020 — de Mes Cahiers rouges! Je voulais l’annoncer quand j’ai publié les articles sur ce livre en juin dernier, et voilà, c’est fait! Précipitez-vous!

Comme Descaves le dit dans son article, Maxime Vuillaume était un des « vieux de la vieille » que lui, Descaves aimait tant, ce qui bien sûr nous évoque un autre livre, Philémon, vieux de la vieille, aussi paru à La Découverte l’automne dernier. Mais vous l’avez déjà, n’est-ce pas?

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Ce deuxième article est un article « nécrologique ». Il est paru dans Comœdia, le 27 novembre 1925.

Maxime Vuillaume

l’auteur des « Cahiers rouges » succombe à 81 ans

Encore un vieux de la vieille qui s’en va, un des derniers… Maxime Vuillaume est mort avant-hier soir, dans la maison de retraite des frères Galignani, à Neuilly, où il avait dû se faire admettre pour finir ses jours. Il venait d’avoir quatre-vingt-un ans, étant né à Saclas, dans la Beauce, en 1844.

Après un court passage à l’École des mines, au sortir du collège, Vuillaume avait débuté dans la presse d’opposition, vers la fin de l’Empire, et fréquenté, dans les cafés et les brasseries du Quartier Latin, tous les jeunes républicains qui participèrent, la guerre terminée, au mouvement communiste du 18 mars 1871. Il fut un des trois rédacteurs du Père Duchêne : il survivait à Vermersch et à Alphonse Humbert, avec lesquels il l’avait fondé. La Commune vaincue, Vuillaume, réchappé par miracle de la cour martiale établie au Luxembourg, se réfugia en Suisse. Il y écrivit, sous le pseudonyme de Maxime Hélène, des ouvrages de vulgarisation scientifique et fut le secrétaire général de Louis Favre, l’ingénieur chargé de percer le Saint-Gothard. Après l’amnistie, il alla en Russie explorer le bassin houiller du Donetz pour une société de dynamite. À son retour à Paris, en 1887, il entra comme secrétaire de rédaction à La Justice de Clemenceau. Il collabora ensuite à L’Aurore, au Radical, à L’Éclair, etc.

Mais la conscience avec laquelle il s’acquittait partout de ses [ces?] devoirs professionnels qui sont les nôtres ne suffirait pas pour empêcher son nom de périr si Maxime Vuillaume ne laissait une œuvre de premier ordre, à la fois documentaire et vivante: Les Cahiers rouges.

Il en avait éparpillé les pages dans maints journaux, au fil des jours, et m’accueillait avec sa rudesse narquoise lorsque je le pressais de coudre ces feuillets en volume.

— Puisque je vous répète que pas un des éditeurs à qui je les ai proposés n’en a voulu !

— Si je vous en découvrais un?

— Essayez…, mais ne me parlez plus de cette affaire.

J’allai trouver Péguy qui publiait alors — c’était en 1908 — les Cahiers de la quinzaine et, le lendemain, j’accompagnai Vuillaume rue de la Sorbonne, dans cette maison fameuse où les frères Tharaud introduisaient ceux qui ne l’ont pas connue. (Voit leur belle étude sur Péguy qui paraît dans La Revue universelle.)

Péguy et Vuillaume, aussi désintéressés l’un que l’autre, tombèrent tout de suite d’accord et c’est ainsi que j’eus l’honneur de présenter aux lecteurs des Cahiers de la quinzaine mon vieil ami et le premier chapitre de ses Souvenirs d’insurgé : Une journée à la Cour martiale. Il n’avait publié jusque-là qu’une brochure: Un peu de vérité sur la mort des otages. Le succès de ce début fut si vif que huit autres Cahiers rouges achevèrent de nous retracer la physionomie des événements et des hommes aux jours sombres de la Commune et de la proscription. On ne fera pas mieux. C’est cursif, net et véridique. Vuillaume avait une mémoire fidèle et n’enjolivait pas. Il était le témoin qui parle avant d’être l’écrivain qui s’écoute parler, et il ne nourrissait envers personne aucun ressentiment. Bien des choses qu’il n’a confiées qu’à moi ne seront jamais divulguées.

Il avait beaucoup travaillé. Il travaillait encore à plus de soixante-quinze ans pour vivre chichement, mais en fierté. À la dernière extrémité seulement, il chercha un refuge dans la maison de retraite où il s’est éteint.

On parlera de la détresse des intellectuels, on en parlera demain au meeting organisé par la Confédération générale des travailleurs. Que l’exemple de Maxime Vuillaume plane sur l’assemblée!

Lucien Descaves,

de l’Académie Goncourt.

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J’ai copié la photographie du jeune Maxime Vuillaume sur le site du Maitron où elle accompagne l’article à lui consacré.

Cet article a été préparé en avril 2020.