Assiégée depuis le 16 août, Strasbourg se rend, aujourd’hui 28 septembre: dès hier, le drapeau blanc a été hissé sur la cathédrale. La belle image d’Épinal qui représente le siège et le bombardement est à la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg et on la trouve sur Gallica, là.

À Paris, on ne l’apprendra que dans quelques jours (voir notre article du 3 octobre).

Aujourd’hui aussi, à Lyon — où, j’ai négligé de le signaler, la République a été proclamée le 4 septembre avant qu’elle le soit à Paris et où un Comité de salut public plus socialiste que le gouvernement parisien est en place — une grande manifestation populaire permet à quelques dirigeants internationalistes (dont Bakounine) de prendre le pouvoir — et d’être aussitôt arrêtés — c’est la fin de la première « Commune de Lyon ».

Mais nous sommes à Paris…

Aujourd’hui, le Comité central républicain se préoccupe des accusations lancées contre certains des siens. L’ouverture de papiers des Tuileries et de la préfecture de police montrerait, disent certains journaux, que bien des républicains socialistes ont émargé à des « fonds secrets » pendant l’empire. Des sections de l’Association internationale ont protesté (voir La Patrie en danger datée du 18 septembre, du 22 septembre). Outre les internationaux, étaient accusés, entre autres, Briosne, Gaillard (père), Roullier, Vallès, Vermorel…

Les quatre premiers étaient membres du comité central…

Une note est envoyée aux journaux, que Le Rappel publiera dans son numéro daté du 1er octobre, et dont Dautry et Scheler citent une version plus longue, publiée, disent-ils, dans Le Combat. La voici (dans cet article, les citations sont en vert):

Depuis quelques jours, divers journaux, et notamment Le Combat et  Le Réveil, contiennent des menaces de révélations policières contre un grand nombre de citoyens appartenant au parti socialiste, et connus soit comme journalistes, soit comme orateurs des réunions publiques.

Pour éviter une seconde édition de l’ignoble affaire Taschereau [calomnie contre Blanqui, en 1848] et des récentes insinuations de l‘Électeur libre contre l‘Internationale, le Comité central républicain déclare, au nom de la solidarité — base du socialisme — qu’il se trouve atteint tout entier par les odieuses imputations dont certains de ses membres les plus justement estimés sont l’objet dans le but de discréditer son action.

Afin de mettre un terme à cette situation, le Comité central, dans sa séance du 28 septembre, a envoyé auprès du gouvernement provisoire une délégation de cinq de ses membres pour demander la constitution immédiate d’un jury composé de délégués de la presse démocratique et des fédérations ouvrières, ayant mission de se faire communiquer tous les dossiers de police et de publier un rapport complet contenant les noms des émargeurs aux fonds secrets, les sommes perçues par eux et la fonction dévolue à chacun de ces misérables.

Mis en demeure dans les termes les plus énergiques, le représentant du gouvernement provisoire, le citoyen Jules Ferry, a répondu à la délégation du Comité central que le gouvernement tout entier était absolument étranger aux notes publiées dans les divers journaux et qu’un démenti serait inséré au Journal officiel.

Cette réponse ne peut suffire. En conséquence, le Comité central républicain réclame énergiquement l’organisation d’un jury composé comme il est dit plus haut et que tous les dossiers de police lui soient communiqués, pour que justice soit faite des traîtres quels qu’ils soient et à quelque parti qu’ils appartiennent.

Dans le cas où il ne serait pas tenu compte de cette légitime réclamation, le Comité central regardera comme de lâches calomniateurs ceux qui continueraient le système de dénonciation anonyme n’ayant d’autre but que de jeter la défiance et la division dans le parti socialiste au bénéfice des réactions bourgeoises de toutes couleurs.

Ont signé les membres du Comité central présents à la séance de nuit du 28 au 29 septembre.

Malon, Ch. Longuet, Lagoguey, Chaté, Clamoux, Léon Michel, É. Oudet, Camélinat, Ant. Arnaud, E. Turpin, E. Leverdays, E. Châtelain, Ch. Dumont, G. Lefrançais, Rochette, G. Mollin, Sallée, Demon, Perrève, Force, Serraillier, J.-H. Richard, A. Chaudey, David, Périn, Napias-Piquet, A. Berteaux, Hélie Myard, G. Pagnerre, Cousin, Avrillon, Thoré, Montelle, Rochat, Johannard, G. Ranvier, A. Lévy, Toussaint, Marchal, Martin, L. Boudier, Éd. Vaillant, Ch. Beslay, Delahaye.

Un brouillon signé par Gustave Lefrançais, qui présidait la réunion, et Portalier, qui en était assesseur, se trouve au musée Carnavalet, je le reproduis, recto:

et verso:

Je lis:

Le Comité central républicain des vingt comités d’arrondissement, a, dans sa séance d’aujourd’hui 28 septembre 1870, délégué cinq de ses membres auprès du gouvernement provisoire (Les citoyens, Ch. Beslay, Demay, Ranvier, Toussaint et Vertut) à l’effet de lui demander

1° la publication de tous les noms, adresses et professions des personnes émargeant sur les fonds secrets; les sommes perçues par elles et la nature précise de la mission qui leur avait été donnée par la préfecture de police,

2° la constitution immédiate d’un jury composé de délégués de la presse démocratique, d’anciens représentants du peuple, de délégués de l’Internationale et de la fédération ouvrière, délégués choisis, cela va sans dire, en dehors des citoyens inculpés chargés de contrôler leur situation et de publier les pièces à l’appui.

Les délégués du Comité central ont de plus mission de déclarer que, faute pour le gouvernement provisoire de donner satisfaction sur les deux points ci-dessus dans les 24 heures, le comité central républicain considérera les notes déjà publiées dans divers journaux à cet égard comme une nouvelle Manœuvre Taschereau ayant pour but de semer la discorde dans le parti républicain socialiste, dénoncera au public parisien tout entier les membres du gouvernement provisoire et leurs agents comme d’indignes calomniateurs et des traîtres à la République.

Ce 28 septembre 1870

Par délégation du Comité central

Le président de la séance, G. Lefrançais, Portalier assesseur

De quoi nous pouvons déduire qu’il y a eu (au moins) deux séances du Comité central le 28 septembre. À la suite de la première, la délégation (Ch. Beslay, Demay, Ranvier, Toussaint et Vertut) s’est rendue à l’Hôtel de Ville où elle a été reçue par Jules Ferry, avec le résultat décrit dans la lettre publiée, qui raconte ce qui s’est passé pendant le deuxième séance — de nuit.

Deux mots sur les signataires.

La liste des signataires du texte publié est bien celle des présents à la séance de nuit. Tout simplement. Elle ne contient, par exemple, ni Vertut ni Portalier, qui étaient présents à la première séance. Et bien sûr, cela n’indique pas un désaccord de leur part. Il est assez probable aussi qu’étaient présents à l’une ou l’autre (ou aux deux) de ses réunions les membres « les plus justement estimés » mis en cause dans cette histoire de fonds secrets et dont aucun n’a signé.

Si La Patrie en danger n’a pas publié le texte du comité central, c’est simplement parce qu’elle s’est arrêtée de paraître quelques jours (voir notre article du 27 septembre). Lorsqu’elle reparaît, on peut y lire « La question des vendus », sous la plume de Gustave Tridon (numéro daté du 3 octobre).

J’intercale entre ces communiqués un peu de bonne littérature:

J’étais de garde au bastion, un officier m’aborde:

Vous ne savez pas le bruit qui court? On prétend que vous étiez d’accord avec l’Empire, dans votre campagne électorale contre Jules Simon.

— On dit cela!
— Tout haut!

Je plante là le bataillon. Je saute dans un fiacre.

Oui, on dit cela tout haut dans les cafés; on l’a hurlé hier dans les réunions publiques. 

C’est Germain Casse, le créole, qui a colporté la nouvelle.

Si j’allais lui casser la gueule, pour commencer, à celui-là?

Soyez calme, me dit Blanqui, chez lequel j’ai couru, et ne cassez rien. C’est votre popularité qui commence.

Ma popularité? Est-ce qu’il se moque de moi?

Calme! je ne puis l’être. Et la tête en feu, le cœur gonflé jusqu’à crever, la gorge sèche, les yeux troubles, je bondis d’un quartier à l’autre, lâchant ma voiture quand elle languit dans les carrefours, et courant comme un fou jusqu’aux maisons amies où sont ceux de mon ancien Comité dont je suis sûr et à qui je crie de ma voix éraillée: « Au secours! au secours! »

Je les traîne avec moi; j’en ramasse d’autres en route, qui ont connu ma misère et mon courage, et le soleil n’est pas encore tombé que la Corderie est saisie de ma sommation d’enquête. Les Quatre-vingts sont convoqués pour demain, toutes Chambres du peuple siégeant.

Oh! c’est long! Quelle nuit j’ai passée!

Enfin, le jour est venu!

Briosne, Gaillard, un autre encore, sont accusés comme moi. Nous sommes descendus ensemble, le matin, vers la préfecture de police, et nous avons sommé les gens qui sont là de nous montrer les pièces qui nous calomnient, les armes qu’on a empoisonnées pour nous tuer.

Rien! on ne nous montre rien!

Jules Vallès parle ensuite devant le grand jury. Je vous laisse lire ou relire la suite dans L’Insurgé. Et reviens aux communiqués.

Après la démarche auprès du gouvernement, le Comité central en mène une en direction de la préfecture de police. Dans le numéro daté du 5 octobre de La Patrie en danger, un document publié aussi par le Combat:

Quelques membres du Comité central se sont rendus hier à la préfecture de police pour demander des explications sur les bruits calomnieux que, depuis quelques jours, la réaction répandait contre quelques membres du Comité.

Par suite d’une regrettable erreur des rédacteurs de la note communiquée hier au Combat, cette note ne semblait concerner que deux des citoyens calomniés [Gaillard père et Briosne].

Une nouvelle délégation s’est rendue aujourd’hui à la préfecture de police pour demander une réponse définitive dégageant le Comité central, ou par la production des pièces accusatrices, ou par une dénégation officielle faisant justice des calomnies.

M. de Kératry, préfet de police, étant absent, M. Dubost, secrétaire général de la préfecture, nous a fait la déclaration suivante, dont nous affirmons le sens sinon les termes:

Il n’a été trouvé jusqu’ici à la Préfecture aucune pièce pouvant entacher l’honneur des citoyens Vallès, Briosne, Roullier, Gaillard père, ni de tout autre membre du Comité central, aucune pièce ne pouvant donner créance aux calomnies.

En face de manœuvres qui tendent à compromettre l’autorité morale du Comité central, en jetant le soupçon sur l’honorabilité de quelques-uns de ses membres, les délégués du Comité central croient devoir publier cette note qui complète l’affirmation semblable du citoyen Lavertujon, président de la commission dite « des papiers des Tuileries », publiée hier aussi dans le Combat.

Paris, 2 octobre 1870.
Ch. Beslay, Éd. Vaillant.

Le Comité central ne s’est préoccupé que des « siens », et Auguste Vermorel n’en était pas. J’y reviendrai dans l’article du 4 octobre.

Livres utilisés

Dautry (Jean) et Scheler (Lucien)Le Comité central républicain des vingt arrondissements de Paris, Éditions sociales (1960).

Vallès (Jules)L’Insurgé, Œuvres, Pléiade, Gallimard (1989).

Cet article a été préparé en juin 2020.