La rue d’Arras est une petite rue du cinquième arrondissement, entre la rue Monge et la rue des Écoles.

Au numéro 3 de cette rue s’ouvrait une salle assez grande qui servit de salle de réunions, à la fin du second empire, pendant le siège de Paris, et même après (nous y avons vu Paule Minck dans une réunion le 11 décembre 1880). Elle servit ensuite (1881) de lieu de culte pour l’église « néo-anglicane indépendante », et plus tard encore de cinéma. C’est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui, puisque la salle du Grand-Action, 5 rue des Écoles, occupe cet emplacement.

Une petite rue, un peu oubliée — comme beaucoup de personnages « secondaires » dans cette histoire — c’est, à mon goût, un de ses charmes — et qui y a joué son rôle. Nous y avons vu une réunion de l’Association internationale (voir notre article du 9 septembre), le club de Blanqui s’y réunissait… Molinari, qui y était le 25 septembre, y a vu

un auditoire nombreux, composé presque exclusivement d’ouvriers et d’ouvrières

La rare « écriture inclusive » indique la présence, sans aucun doute, d’un grand nombre de femmes. Dans ses articles, ce journaliste résiste d’ailleurs rarement à l’ironie à propos des « citoyennes » — mais cette ironie ne semble pas avoir été une motivation suffisante pour le faire assister à une réunion féminine: il n’y en a pas dans son livre.

Aujourd’hui, c’est le « Comité des femmes de la rue d’Arras » qui nous intéresse. Il se réunit depuis septembre, pas toujours rue d’Arras comme on va le voir.

Elles se sont réunies le 12 septembre, comme on le lit dans Le Rappel daté du 16:

Motion votée par le comité des femmes

Les femmes de Paris, pénétrées de leurs devoirs civiques, déclarent qu’elles sont prêtes à tous les efforts et à tous les sacrifices que peut exiger d’elles la défense du pays.

Elles font appel à tous les dévouements.

Voté par le comité des femmes de la rue d’Arras, 3, le 12 septembre 1870, en réunion publique.

Elles ont même des noms, que l’on peut lire (difficilement) dans Le Rappel daté du 19 septembre:

Paris, le 16 septembre 1870

Comité des femmes rue d’Arras, 3

Au comité des femmes de la rue Paradis-Poissonière.

Citoyennes,

Nous avons l’honneur de vous informer que nous avons fondé, rue d’Arras, 3, un comité des femmes, pour les soins et services publics à rendre pendant le siège.

Nous sommes maintenant un personnel nombreux qui a établi des comités dans tous les quartiers de la ville.

Nous mettons à votre disposition notre concours, si vous avez besoin de travailleuses, d’infirmières, de femmes pour les courses, les ambulances, pour les services de toutes sortes — sans exception, — y compris celles qui se disposent au besoin à affronter le danger, les armes à la main, comme leurs sœurs de Phalsbourg.

Nous vous saluons cordialement,

Pour les femmes du comité da la rue d’Arras réunies en permanence,

Les déléguées soussignées, membres du comité central,

G. Blanche, Rosine Deydier, veuve [illisible], Joséphine Lecourt, Eugénie Bestetti

Le voici dans La Patrie en danger datée du 7 octobre:

L’Assemblée générale et publique du Comité des femmes de la rue d’Arras, 3, aura lieu aujourd’hui jeudi [le 6 octobre] et les jeudis suivants à 3 heures rue Grenier-sur-l’Eau 2, à l’école des filles près de la mairie du 4e arrondissement. Toutes les femmes qui le souhaitent peuvent y assister.

Et dans celle du 10 (aujourd’hui, 9 octobre, donc):

Le Comité des femmes de la rue d’Arras a transféré sa permanence rue des Écoles, 8, à l’ambulance Monge qu’il a établie.

Aujourd’hui dimanche [le dimanche est bien le 9 octobre], à 3 heures, réunion publique au nom du Comité au gymnase Triat, avenue Montaigne 55. Les hommes seront admis aux galeries. Entrée : 20 centimes.

Je suis certaine que mes lectrices et lecteurs parisiens seront charmés d’apprendre qu’il y avait, 55 avenue Montaigne, un gymnase, ce qui semble aujourd’hui incroyable. Il était tenu par Hippolyte Triat (un sympathique gymnaste fouriériste, mais ce n’est pas le lieu de discuter ceci plus longuement, voyez ici).

Et le lendemain (mais la lettre date d’hier):

Les Parisiennes

Cabinet du ministre de l’Instruction publique

Paris, le 8 octobre 1870

Citoyen,

Le Comité des femmes de la rue d’Arras, 3, au nombre de 500 membres, se propose de former une légion armée pour relever les blessés sur le champ de bataille, les soigner dans les ambulances volantes ou fixes et au besoin remplacer les hommes aux remparts ; nous sommes décidées à tout pour repousser l’ennemi, nous faisons avec joie le sacrifice de notre vie, mais malheureusement la volonté ne suffit pas il nous faut un costume et des armes et c’est pour nous les procurer que nous venons vous prier de vouloir bien nous ouvrir les colonnes de votre journal pour une souscription.

Connaissant l’étendue de votre patriotisme, nous comptons que vous ferez bon accueil à notre demande.

Pour le Comité, les déléguées

Victorine Scelles, L. Combatz, Clotilde Gouvenot, Lecourt, Bezner, Favre, Marie Leveaux

C’est la réunion du 9 octobre qui nous intéresse. Si le Journal des Débats n’a pas envoyé de journaliste, il a recopié le compte rendu publié par son confrère Le Gaulois. Un journal encore plus réactionnaire, comme on va le voir. Voici son compte rendu (en vert), cum commento (en noir).

Tout le monde a pu lire dans les journaux l’annonce d’une réunion publique provoquée par le comité des femmes au gymnase Triat. Moyennant la somme de 20 c., les hommes étaient admis à assister à la séance du haut des tribunes.

Malgré la pluie torrentielle, dimanche dès deux heures et demie, le bureau est occupé et présidé par le citoyen Jules Allix.

Les femmes étaient peu nombreuses; mais l’auditoire des messieurs était considérable. Au bout d’une demi-heure environ, soit que les tribunes fussent trop étroites, soit qu’ils cédassent aux-charmes des membres du comité, les hommes descendirent dans la salle. Malgré les grands gestes des unes, les élans d’indignation des autres, les petits cris effarouchés des plus jeunes, les objurgations du citoyen Jules Allix, les protestations du bureau, la sonnette de la présidente

[je me permets de remarquer que, donc, ce n’était pas Jules Allix qui présidait, contrairement à ce qui a été dit plus haut, d’une part, et que cette présidente, prédestinée sans doute à disparaître de l’histoire, n’est pas nommée]

j’ai le regret de dire que l’assemblée fut envahie. Nous avions eu le 15 mai et le 4 septembre, nous avons eu le 9 octobre.

Le citoyen Jules Allix prend le premier la parole. Il lit une sorte de procès verbal qui est en même temps un discours. Je cherche en vain à comprendre l’objet du comité des femmes. Ce que je recueille de plus net est la phrase suivante : « La société ne doit pas seulement s’occuper des choses présentes, elle doit préparer encore l’harmonie des choses futures ». J’apprends que partout les municipalités ont bien reçu les délégations du comité, mais que, « dans certains arrondissements, les actions à la suite n’ont pas été comme les promesses du premier jour ». Enfin il est entendu que le comité est un inestimable bienfait, « et acclamons la République qui est cause que nous le pouvons faire ». Ainsi finit le procès-verbal.

L’ordre du jour appelle les rapports des comités d’arrondissements. Plusieurs déléguées sont absentes; la plupart de celles qui répondent à l’appel déclarent qu’il n’y a rien de nouveau. On arrive au 8e arrondissement, où est situé le gymnase Triat : il n’y a pas de déléguée officielle. Suivant le citoyen Jules Allix, la Société a eu peu de succès dans cet arrondissement à cause des couvents : « Ici, dit-il, il est impossible d’avoir de l’ouvrage si on ne passe pas par les Ursulines de Saint-Roch ». « Ce n’est pas vrai ! » s’écrie une voix énergique au fond de la salle. Tumulte inexprimable. Toutes les femmes se lèvent; la présidente agite violemment la sonnette; le citoyen Allix crie.

[Ici, je supprime la description, sans intérêt, des détails de l’altercation, la réunion reprend.]

Mais la réunion demeure agitée. Des rires immodérés, des réflexions gouailleuses partent des tribunes, et il faut qu’une jeune dame, membre du bureau,

[qui n’a pas de nom, elle non plus]

se lève, et, interpellant un des moqueurs du ton dont Mirabeau a dû parler à M. Dreux-Brézé « Citoyen, si vous dites encore un mot; nous vous jetons vos quat’sous à la face, et nous vous mettons à la porte. » Sur ce quos ego, le calme se rétablit.

Alors commence la lecture de documents qui doivent être envoyés au gouvernement de la défense nationale. Deux idées les dominent : la première, c’est que les femmes doivent être armées pour aller aux remparts; la seconde, c’est qu’elles doivent protéger leur honneur contre les ennemis au moyen de l’acide prussique, « dont nous avons trouvé le moyen de s’en servir sans danger. » Je note encore cette phrase d’une des pétitionnaires : « Vous avez vu en moi, citoyen maire, une femme pacifique et simple ; aujourd’hui que me faut-il ? un pantalon de zouave! »

[L’acide prussique contenu dans un dé mis au bout d’un doigt tue aisément les Prussiens qui s’approchent. Devinez quoi? Les assistants — le masculin n’est pas neutre — se tordent de rire, ce qui n’a rien d’étonnant, ils sont venus pour ça.]

Le Citoyen Jules Allix est l’objectif de toutes les interpellations. « Il ne sort pas des jupons! — C’est un Turc! — C’est  Mormon! — Il n’est pas de la garde nationale! »

Le citoyen Allix défie ses accusateurs de se montrer à découvert.

Bon, j’arrête là. Vous avez compris: si on a parlé des femmes, le journaliste ne l’a pas entendu. Il était là pour rigoler, comme la plupart de ces messieurs, et ils ont rigolé.

Le Comité des femmes de la rue d’Arras n’en continue pas moins à exister. Il apparaît encore dans La Patrie en danger, à la date du 21 octobre:

Le Comité des femmes de la rue d’Arras aura son assemblée générale hier jeudi [sic, et le 21 octobre est un vendredi] à 3 heures, rue Grenier-sur-L’Eau, 2, à l’école des filles, que la municipalité a mise à la disposition du Comité. On s’y occupera de l’organisation des ateliers de travail pour les femmes. Toutes les adhérentes, ainsi que toutes les femmes amies du bien, sont priées d’y assister.

Une petite remarque pour finir. Je n’ai pas trouvé ce qui permet d’affirmer que c’est Jules Allix qui a fondé le Comité des femmes de la rue d’Arras, comme on le lit un peu partout. À part son intervention ridiculisée par la presse réactionnaire à la réunion du gymnase Triat… Messieurs les historiens, essayez donc d’imaginer que ces dames étaient capables de s’organiser…

*

J’ai trouvé l’ouvrière dessinée par Paul Hadol pour le livre Femmes de France au musée Carnavalet, là.

Livres utilisés

Hillairet (Jacques), Dictionnaire historique des rues de Paris, Minuit (1963).

Molinari (Gustave de)Les Clubs rouges pendant le siège de Paris, Garnier (1871).

Trailles (Paul et Henry)Les femmes de France pendant la guerre et les deux sièges de Paris, Polo (1872).

Cet article a été préparé en juin 2020.