Comme l’a remarqué Gustave Flourens,

la manifestation du 5, bien que ses réclamations n’aient obtenu, en apparence, qu’une fin de non-recevoir générale, produisit un effet relativement utile, ce fut l’envoi de Gambetta en province.

Ce qui justifie la présence de cette image à peu près inévitable, sur la place Saint-Pierre et pas sur celle de l’Hôtel-de-Ville. Où nous sommes pourtant encore, comme le 4 septembre, comme le 5 octobre.

Encore aussi parce que j’ai déjà consacré plusieurs articles à cette manifestation, dans cet article et les suivants, un prologue, puis factuellement, en lisant les journaux (cet article et le suivant), puis du point de vue d’Eugène Varlin (ici et ).

C’est une manifestation place de l’Hôtel de Ville, avec bataillons de la garde nationale et leurs commandants, mais pas seulement, les internationaux y sont, si l’on croit Serraillier (voir l’article « prologue« ). Et les « gardes nationaux républicains du 2me arrondissement », en réponse à l’appel du « Comité de défense nationale »:

La manifestation de demain

La réunion publique tenue le 6 octobre, salle Cour des Miracles, a voté à l’unanimité qu’il était du devoir de tous les gardes nationaux Républicains du 2me arrondissement d’exprimer, par une manifestation en armes, l’appui moral et matériel qu’ils sont prêts à donner aux droits revendiqués par les bataillons de Gustave Flourens.

En conséquence, tous les gardes nationaux Républicains du 2me arrondissement sont invités à se réunir en armes, le vendredi 8 octobre, à une heure, Cour des Miracles; on partira pour l’Hôtel de Ville à 1h1/2 précise.

Le Comité de Défense nationale

(C’est dans La Patrie en danger datée du 8 octobre.)

Et surtout, le Comité central républicain y appelle. Dautry et Scheler nous disent:

la manifestation [celle du 5 octobre], même formellement terminée par un échec, donne à réfléchir au Comité central. Qu’au lieu d’un quartier [Belleville] et sa garde nationale, toutes les gardes nationales des quartiers populaires descendent sur l’Hôtel de Ville et les chefs de bataillon seront les interprètes désormais qualifiés du peuple républicain de Paris.

Son appel paraît dans La Patrie en danger datée du 9:

La manifestation d’aujourd’hui

Par suite de l’ajournement des élections de la municipalité, la garde nationale et tous les citoyens qui veulent l’élection de la COMMUNE DE PARIS sont invités, au nom du Comité central républicain, à se rendre aujourd’hui, samedi 8 octobre à 2 heures, sur la place de l’Hôtel-de-Ville, afin de manifester hautement leur opinion.

Les délégués des comités des vingt arrondissements de Paris sont chargés de porter au Gouvernement ces résolutions, votées par les réunions populaires, fixant les élections municipales au vote nominal à la semaine prochaine.

Camélinat; Johannard; Lefrançais;
Dupas; Treilhard; Leverdays;
Éd. Vaillant, président; E. Roy, assesseur;
Eugène Châtelain, secrétaire

Comme nous l’avons vu dans les articles cités plus haut, ce fut un échec. Voici le communiqué du comité central, tel qu’il est paru en une de La Patrie en danger datée du 10 octobre (le lendemain, donc). Dautry et Scheler disent que seul Le Combat a publié ce communiqué, j’en déduis donc que ce journal l’a publié aussi (je n’y ai pas accès)!

Comité central républicain

Conformément à l’invitation qu’ils avaient faite à la garde nationale et aux citoyens de Paris, concernant l’élection immédiate des membres de la Commune, les délégués des vingt arrondissements se sont présentés aujourd’hui, à deux heures un quart, sur la place de l’Hôtel-de-Ville où un grand nombre de citoyens armés ou non armés se trouvaient déjà réunis.

Après quelques pourparlers avec le chargé d’introduction, trois délégués seulement ont pu pénétrer dans l’Hôtel de Ville.

À grand peine, ils ont pu remettre au citoyen J. Ferry le mandat dont étaient chargés les délégués d’arrondissement, lequel portait en substance que, faute par le Gouvernement de convoquer immédiatement les électeurs pour la constitution de la Commune, les comités organiseraient eux-mêmes ces élections dans le courant de la semaine prochaine.

Ce mandat rappelait de plus que la constitution de la Commune était de droit et qu’il serait étrange que ce droit fût nié par ceux-là même qui l’avaient revendiqué depuis 1857.

Le citoyen J. Ferry a déclaré qu’il ne voulait recevoir aucune délégation à ce sujet.

Il est à remarquer que l’intérieur de l’Hôtel de Ville était rempli de gardes mobiles et que le 84e bataillon de la garde nationale (quartier du faubourg Saint-Germain), commandé exprès par le gouvernement provisoire, stationnait aux abords de la grille.

Voulait-on donc utiliser ces forces contre le peuple revendiquant sa Commune?

Les trois délégués dont il est question plus haut se sont énergiquement refusé à entrer dans l’Hôtel de Ville par une autre porte que celle de la grande place: celle du Peuple. Ils sont ressortis par cette même porte en annonçant aux nombreux citoyens qui avaient répondu à l’appel des Comités d’arrondissement et le refus de les recevoir et aussi le refus de convoquer les électeurs.

Cette communication a été accueillie aux cris mille fois répétés de Vive la Commune quand même!

À la sortie, le comte de Kératry avait donné l’ordre d’arrêter l’un des délégués. Mieux inspiré, et sur l’énergique protestation de ses co-délégués, le préfet de police révoqua immédiatement cet ordre malencontreux.

Les délégués des arrondissements:

E. Dupas, J. Montels, Éd. Roullier,
G. Lefrançais, C. Dumont, V. Mallet,
M. Portalier, Oudet, Treilhard, Vaillant,
Ch. Beslay, Michel, F. L’Huillier,
Leverdays, E. Châtelain, Pillot,
Nappias-Piquet, Camélinat et Perrin.

Mais, en réalité, comme le dit, avec son acuité habituelle, Auguste Blanqui, il y a eu deux manifestations. Au cours de la deuxième, dit Gustave Geffroy,

les gardes des bataillons venus au secours de l’Hôtel de Ville traitent les manifestants de brigands, de pillards, voleurs, Prussiens, et ils crient « À bas Blanqui! » comme on criait en 48.

Acuité, simplicité, voilà l’article de Blanqui:

Deux manifestations

Hier, 8 octobre, une manifestation pacifique, sans armes, a eu lieu, vers deux heures, sur la place de l’Hôtel-de-Ville.

Elle y a trouvé la garde mobile en bataille devant la grille, et le 84e bataillon rangé en avant de la mobile et faisant face au peuple.

Le peuple criait: « Vive la Commune! » Plusieurs citoyens portaient des écriteaux sur lesquels on lisait aussi: « La Commune! »

Trois délégués sont entrés à l’Hôtel de Ville à l’aide de leurs cartes et ont demandé le gouvernement provisoire.

M. Jules Ferry a déclaré que la délégation ne serait pas reçue. On lui a demandé dans quel but étaient réunies les troupes rangées sur la place, si c’était une mesure prise contre la manifestation.

Il a répondu affirmativement, et de manière à bien convaincre qu’on userait de la force.

Peu après, plusieurs bataillons armés, venant des quartiers riches, sont arrivés sur la place, refoulant les masses pacifiques, avec des menaces furieuses et des injures à la façon des gens comme il faut: « Brigands! Pillards! Voleurs! Prussiens! etc., etc. » À ces outrages se mêlaient des noms de républicains qui ont le tort d’avoir dévoué leur vie à la République [le sien, notamment].

On peut accepter de la bouche des financiers, des gros boutiquiers et autres parangons de désintéressement et de probité, les épithètes de « pillards » et de « voleurs ». Quant à celle de Prussien, que ces messieurs la gardent pour eux. Elle leur appartient en toute légitimité, car le plus beau jour de leur vie sera celui où le bon roi Guillaume les délivrera de la République et des républicains.

Les bataillons royalistes en armes ont continué de défiler et de s’accumuler sur la place et dans les rues voisines, avec de grandes clameurs et des menaces de mort.

Le gouvernement a rompu la trêve et veut recourir à la guerre civile; il offre la bataille au peuple qui ne la demande pas et ne l’accepterait qu’avec tristesse, car il verrait avec désespoir le triomphe des Prussiens, et on ne peut en dire autant des hommes qui ont laissé Paris sans artillerie et sans fusils, qui n’ont fait aucuns préparatifs, afin de ne pas irriter Guillaume et Bismarck.

Les attendrir, pour avoir la paix à meilleur compte, tel était le nec plus ultra de la défense nationale. On s’entendra mieux avec ces bons Prussiens, quand on aura un peu massacré la populace qui offusque si fort l’illustre chef des hobereaux.

Blanqui

Quant aux manigances de la préfecture de police, évoquées par le texte du Comité central, nous aurons à en reparler, notamment dans notre article du 15 novembre.

*

La célébrissime image de Gambetta dans son ballon est parue dans Le Monde illustré daté du 15 octobre.

Livres cités

Flourens (Gustave)Paris livré, Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1871.

Dautry (Jean) et Scheler (Lucien)Le Comité central républicain des vingt arrondissements de Paris, Éditions sociales (1960).

Geffroy (Gustave)Blanqui L’Enfermé, L’Amourier (2015).

Cet article a été préparé en juin 2020.

[Ajouté le 8 décembre 2020. Voir aussi la belle et excellente page des archives de Paris sur les cent cinquante ans de la guerre franco-prussienne et plus précisément son article sur le 8 octobre 1870.]