Le Rappel daté du 18 octobre rapportait, parmi ses « On-dit-du-rempart »:
La compagnie de garde nationale qui était de garde à l’Hôtel de Ville avant-hier appartenait au bataillon du citoyen Blanqui.
Blanqui veillant à la sécurité du gouvernement provisoire !
Le loup gardant les moutons !
Le bataillon de Blanqui, certes. Mais commandé par qui? Après les intrigues — voir notre article du 13 octobre — voici « une élection pittoresque » — cet article paraît en une de La Patrie en danger datée du 23 octobre, à la suite de l’éditorial « La Défense nationale », de Blanqui, il n’est pas signé — c’est un article de la rédaction entière. Le voici (la citation en vert):
Une élection pittoresque
Notre rédacteur en chef, le citoyen Blanqui, vient d’être congédié par le bataillon qu’il commandait, et nous avons hâte de reconnaître que cette opération a été conduite et terminée avec un art merveilleux.
La police ne s’est jamais montrée plus habile. Mais il faut dire aussi que la police aujourd’hui est entre les mains des Jésuites, et que personne au monde ne peut avoir la prétention de lutter avec de pareils maîtres.
Le citoyen Blanqui était fort tranquillement occupé de vêtir et d’équiper son bataillon, besogne assez rude pour absorber l’homme le plus actif. Tout entier à ce travail, il n’avait pas même eu le temps de dire à ses soldats un mot de politique. Mais s’il ne songeait pas à cette question, les réactionnaires y songeaient pour eux et pour lui. Or, à l’heure qu’il est, la réaction est sous les ordres de Loyola, qui la gouverne à sa façon, et sa façon est la bonne pour faire du chemin.
Donc, un beau matin, le chef du 169e bataillon, au mieux jusque-là avec tout son personnel, découvre des symptômes d’hostilité notoire. Comme il n’entend point usurper une autorité dépourvue d’assentiment, il s’empresse de convoquer les gardes nationaux pour demander leur avis.
Les avis sont partagés, pour et contre. Aussitôt un journal de l’ex-police impériale publie une protestation sans signature, faite au nom d’une compagnie, et cette protestation affirme que tout le bataillon, moins deux compagnies, a signé cette pièce [voir notre article du 10 octobre].
C’était faux. Cinq officiers, outre ceux des deux compagnies, déclarent l’affirmation mensongère.
Là-dessus, le général Trochu s’empresse de licencier les cadres du bataillon, bien que peu de jours auparavant un décret eût déclaré les officiers élus pour trois ans et irrévocables, sauf par jugement du conseil de guerre.
Le bataillon se réunit donc sous la présidence du maire du XVIIIe arrondissement [toujours Clemenceau, comme lors de l’élection de Blanqui, voir notre article du 15 septembre], afin de procéder à la réélection des cadres.
C’est ici que triomphe la science jésuitique. Il s’agissait de discuter les candidats, leurs mérites et démérites. Le parti noir ou blanc, comme on voudra, démasque aussitôt la batterie jésuitique. Il éclate en longues clameurs, afin de rendre tout discussion, tout éclaircissement impossibles.
Pendant plus d’une heure, la salle retentit de hurlements à faire écrouler les voûtes. Le maire tient bon, et son impassibilité finit par avoir raison des tapageurs. Fatigués de leurs propres cris, ils quittent la place en grand nombre et le calme se rétablit.
Les candidats sont appelés à s’expliquer. Ils étaient quatre: l’ex-commandant, un individu étranger au bataillon, deux capitaines.
Le citoyen Blanqui prend la parole et paraît obtenir l’assentiment de l’auditoire. Les adversaires lui posent une foule de questions, le tiennent longtemps sur la sellette, sans lasser sa patience. Il répond à toutes les interpellations, et le public se montre de plus en plus favorable. Il termine au milieu d’applaudissements presqu’unanimes.
Viennent ensuite les autres candidats. L’un d’eux, celui qui est étranger, ne paraît point; il est mis de côté. Les deux autres, capitaines au bataillon, déclinent avec énergie toute candidature et se déclarent pour le commandant Blanqui, lequel reste sans concurrents. La séance est levée sous cette impression, et les amis de Blanqui le félicitent de son succès. Mais le commandant du 169e bataillon ne partage pas l’optimisme des Républicains et renvoie leurs félicitations après le verdict du scrutin.
Le lendemain, le vote a lieu sous la présidence de l’un des adjoints à la mairie, et 700 voix environ, sur mille, proclament chef de bataillon le capitaine Brulez, de la 7e compagnie, celui-là même qui avait rédigé, fait signer et publié la protestation, veuve de scrupules, contre le citoyen Blanqui.
Or, ce capitaine Brulez n’était point candidat. Son nom n’a pas été prononcé dans l’assemblée électorale; par conséquent, il n’a pu être ni discuté, ni contesté, ni examiné. Il n’a paru en rien dans les débats. Sa petite affaire était mijotée et assurée dans l’ombre et le silence, loin des contradictions, à l’abri des éplucheurs et des curieux.
Sept cents hommes avaient été travaillés, organisés à bas bruit, amenés à se taire complètement sur leur préféré, à le soustraire aux investigations, à mener enfin cette candidature comme un complot.
À ces procédés, qui pourrait méconnaître la main de la police, et de la police organisée par les jésuites? L’étouffement de la voix des adversaires, le mutisme, l’ombre, le mystère, le coup de Jarnac, tout s’y trouve. Loyola a imprimé là sa griffe.
Ce que la police jésuitique, aujourd’hui maîtresse, a fait au 169e bataillon avec tant de succès, elle le prépare ailleurs sans perte de temps. Tous les bataillons qui ont acclamé des commandants républicains sont minés par le même sape qui chemine sous terre.
Du reste, le parti Républicain sait à quoi s’en tenir. L’alliance est conclue entre la sacristie, la Bourse et le Lupanar. Gens d’église, gens de rapine, gens de trottoir, sont coalisés, la main dans la main, et marchent à l’assaut de la République. C’est le jésuite qui tient les guides et dirige la manœuvre. Leur dernier mot, c’est le Prussien. C’est par lui qu’ils vaincront.
Ce que Dommanget raconte assez différemment (la citation en vert):
Une réunion orageuse présidée par Blanqui eut lieu aux Folies-Montmartre pour discuter de son renouvellement comme chef de bataillon. Blanqui fit remarquer qu’il n’avait jamais dit un mot de politique au 169e. Il approuva hautement la manifestation du 8 et revendiqua l’établissement de. la Commune. Son exposé mal accueilli fut interrompu plusieurs fois et Blanqui dut quitter la tribune sans l’achever. Ses amis intervinrent à leur tour, mais rien n’y fit. Toutes les compagnies décidèrent que Blanqui ne serait pas réélu. Le lendemain, on procéda à l’élection nouvelle des officiers. Blanqui ne recueillit que trois cent une voix contre sept cent dix-huit à l’un de ses capitaines le citoyen Brulez qui devint commandant. L’Electeur libre en donnant cette information à ses lecteurs, la fit suivre de ce jeu de mots moqueur:
Le révolutionnaire Blanqui, privé de ses quatre galons de commandant, ce n’est plus la patrie en danger, c’est la patrie perdue.
J’ignore la source de ces informations. Je préfère conclure comme Geffroy (qui appelle « H… » le capitaine élu, le dit dessinateur, et signale qu’il a plus tard été condamné pour des délits de droit commun):
Il n’aura plus son sabre de commandant, il lui restera sa plume de journaliste.
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Sur la couverture de cet article, les types de la garde nationale, dessinés par Guillaume Régamey (ce n’est pas l’artiste qui a dessiné l’entête du Père Duchêne mais son frère), qui n’incluent pas le commandant. Je les ai trouvés au musée Carnavalet.
Livres cités
Dommanget (Maurice), Blanqui, la guerre de 1870-71 et la Commune, Domat (1947).
Geffroy (Gustave), Blanqui L’Enfermé, L’Amourier (2015).
Cet article a été préparé en juillet 2020.