Le Père de cette trinité, c’est le préfet de police.
Il n’existe des préfets de police que depuis Napoléon (le tonton) mais rassurez-vous, avant il y avait des lieutenants-généraux de police.
La (très brève) république de 1848 a (encore plus brièvement) supprimé cette démocratique fonction: il paraît qu’elle n’était pas universellement appréciée — on se demande pourquoi. Rassurez-vous, ce fut plus qu’éphémère et l’institution a survécu. Vingt-trois ans plus tard, c’était déjà la Commune, et les communards — au moins certains d’entre eux — souhaitaient l’abolir. Ainsi c’est l’ « ex-préfecture de police » que nos amis blanquistes, à commencer par Émile Duval, ont occupée dès le 18 mars.
Mais nous n’en sommes pas là. Nous sommes en novembre 1870. Il y a eu, c’était le second empire, les Pietri, qui ont laissé d’autant plus de souvenirs qu’ils étaient deux, Pierre Marie, de 1852 à 1858, et Joseph Marie, son frère, de 1866 à 1870. Évidemment (ou pas), on en a changé le 4 septembre. Nous avons eu Émile de Kératry, qui a démissionné après le 8 octobre (le 11 très exactement), nous avons eu Edmond Adam, mais lui, c’est le 31 octobre qui l’a eu: il a démissionné le 2 novembre.
Et nous voilà avec un Cresson — Ernest Cresson, un avocat (comme nos dirigeants) de 46 ans. Nous n’avons pas fini d’en entendre parler (jusqu’au 11 février, où il a donné sa démission).
Je laisse la parole à Gustave Flourens (dans cet article, les citations sont en vert):
En voyant l’impudent manque de foi des gouvernants, tous les honnêtes gens qui avaient accepté des fonctions publiques depuis le 4 septembre, tous les hommes qui avaient souci de leur dignité, donnèrent leur démission. Rochefort avait déjà donné la sienne. Edmond Adam, préfet de police; Floquet, adjoint de la mairie centrale, et bon nombre de délégués aux mairies d’arrondissements l’imitèrent. Ils furent remplacés par des réactionnaires, par des gens qui avaient toute honte bue, et auxquels le parjure, pourvu qu’il fût au pouvoir et donnât des places, ne déplaisait point.
On chercha un homme qui fût assez infâme pour oser mettre la main sur les républicains coupables d’avoir voulu sauver Paris, et d’avoir cru à la parole de Jules Favre. Cet homme fut difficile à trouver. On pensa même un moment que, pour faire cette sale besogne, il faudrait prendre un brigadier de gendarmerie, et l’affubler du titre de préfet de police. Enfin, pour la honte de la France, l’homme voulu fut trouvé. Triste preuve de la démoralisation profonde où nous a plongés l’Empire! Un nommé Cresson, avocat inconnu, ami de Picard, consentit, moyennant bon payement, à se charger de la préfecture de police et des arrestation de républicains.
Il lança quarante mandats d’amener.
Contre ceux qui avaient participé au 31 octobre.
Mais j’ai parlé de trinité.
Oui, il s’est rencontré trois hommes capables, tandis que les Prussiens affamaient Paris et l’écrasaient d’obus, de tenir sous les verroux des citoyens qui voulaient défendre Paris. Ces citoyens, Jules Favre les regardait comme des obstacles à sa politique de trahison ; il les détestait à cause de leur ardent patriotisme, et il a pu trouver trois hommes pour servir d’exécuteurs à ses basses vengeances contre eux!
Ces trois hommes, l’histoire doit noter soigneusement leurs noms. Ils s’appellent: l’un, Cresson, préfet de police; l’autre, Henri Didier, procureur de la République; le troisième, Leblond, procureur général. Trinité amie de Picard et de Jules Favre. Ils ont été aidés dans leur œuvre criminelle par un auxiliaire si inintelligent, qu’il n’a presque pas conscience de ses actes : c’est Emmanuel Arago, soi-disant ministre de la justice, qui faisait parvenir aux détenus mille protestations de bon vouloir, mais ne consentait point à les relâcher; qui, à bout de ressources, finit par les livrer à la juridiction militaire. Qu’il ait sa part de flétrissure!
Dans un style différent, Gustave Lefrançais n’est pas plus optimiste:
C’est le juge Quérenet, un magistrat de l’empire, naturellement, qui est chargé d’instruire l’affaire du 31 octobre. Nous sommes inculpés « d’excitation à la guerre civile et de séquestration arbitraire avec menaces sous conditions ».
Ce juge ne peut s’empêcher de rire, lorsque je lui demande pourquoi je ne suis pas accusé d’avoir tenté de « renverser le gouvernement établi », la seule chose que j’eusse voulu faire;
— On y a bien pensé, mais la chose eût offert des difficultés, me répond-il.
Je le crois bien!
On a même pensé à autre chose, d’après un bruit qui court au Palais. Le sieur Cresson, le nouveau préfet de police, aurait insinué aux gens de la Défense [le gouvernement] que Paris étant en état de siège depuis le 7 août, le plus simple pour eux était de nous faire fusiller sommairement [ici Lefrançais renvoie à la déposition de « ce personnage » dans l’enquête sur le 18 mars].
L’imbécile ne comprend pas que si la chose leur eût paru possible, ils n’eussent pas attendu ses conseils.
Avec grand courage, ces messieurs,
qui ont constamment protesté contre les juridictions exceptionnelles, enlevant les accusés à leurs juges naturels, décident que puisque le juge d’instruction a conclu au non-lieu, nous serons traduits devant un conseil de guerre.
Nous aurons des nouvelles des inculpés du 31 octobre dans plusieurs articles prochains, et notamment celui du 12 novembre, ceux des 22, 23 et 24 février et celui du 10 mars…
Et Ernest Cresson? eh bien, hélas oui, nous le reverrons, voyez surtout notre article du 22 novembre.
Quant à la préfecture de police, elle avait (et elle a) encore de beaux jours devant elle: que l’on pense à tous les préfets de police dont notre histoire a gardé le souvenir, Chiappe dont la révocation fut une des causes de l’émeute fasciste du 6 février 1934, ceux qui combattirent les résistants et les communistes, recensèrent les juifs et les raflèrent pendant l’occupation allemande, sans parler de leur copain Papon qui assit l’autre fesse de sa célébrité sur les Algériens assassinés le 17 octobre 1961 et les morts du 8 février 1962 — avec la bénédiction du président du conseil (Debré) et de celui de la République (De Gaulle) –, etc., etc., jusqu’à notre Galliffet… Mais n’anticipons pas.
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À cette trinité, il faut ajouter le « gendarme émérite » Clément Thomas, désormais commandant supérieur de la garde nationale — voir nos articles des 18 et 19 décembre.
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N’anticipons pas, nous sommes toujours au siège de Paris, et peut-être quête-t-on encore pour fondre des canons? Je ne connais pas la date exacte du dessin de Robida que j’ai choisi comme image de couverture, on quêtait ce jour-là devant l’Ambigu (boulevard du Temple), mais il est dans le livre de Dayot, sur Gallica, là.
Livres cités
Flourens (Gustave), Paris livré, Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1871.
Lefrançais (Gustave), Souvenirs d’un révolutionnaire, La Fabrique éditions (2013).
Dayot (Armand), L’Invasion, Le siège, la Commune. 1870-1871. D’après des peintures, gravures, photographies, sculptures, médailles autographes, objets du temps, Flammarion (s.d.).
Cet article a été préparé en août 2020.