Je n’ai malheureusement pas trouvé l’affiche qui a été placardée dans le dix-neuvième arrondissement, et dont voici le texte (copié ici dans le Journal des Débats daté du 4 novembre).

Liberté Egalité Fraternité

19e ARRONDISSEMENT

Citoyens, La mairie du 19e arrondissement a été, le 31 octobre, envahie, à six heures du soir, par des gardes nationaux entraînés par l’ex-chef de bataillon Jules Vallès. Une commission sans mandat s’est installée par la force à la mairie.

La municipalité a été arrêtée. Le maire, ayant fait aux envahisseurs sommation de se retirer, a eu son écharpe déchirée et arrachée; il a été l’objet de violences exercées sur sa personne, fait prisonnier, gardé à vue par quatre sentinelles, et mis en liberté à quatre heures du matin seulement.

Du vin destiné aux blessés et les vivres des pauvres ont été gaspillés.

Des bons du bureau de bienfaisance ont disparu, et le magasin d’équipement et d’habillement de la garde nationale a été pillé.

Les services des subsistances et des fourneaux municipaux ont été complètement désorganisés.

Enfin la mairie a offert le triste spectacle de scènes d’ivresse déplorables.

Cette occupation d’une nuit a coûté plus de 1,200 fr. à la République.

Les chefs de bataillon du 19e arrondissement, réunis dans une idée commune de paix publique, ont mis fin à cette violation de la loi au nom de la République. Je les en remercie.

Citoyens,

Nous laissons à votre justice et à votre patriotisme le soin d’apprécier de pareils actes. Sans autre ambition que celle de servir fidèlement la République et de la sauver par l’ordre, la discipline et le dévouement, nous reprenons l’administration du 19e arrondissement, prêt à déposer nos pouvoirs devant les arrêts du suffrage universel.

Vive la République!
Fait en l’hôtel de la mairie, le 2 novembre 1870.
Le maire: RICHARD.
Les adjoints: GARGAN, ROYER, MALLET.

Et puis il y a eu le plébiscite (voir notre article du 3 novembre) et les élections (voir notre article du 5 novembre), et ce soir… on fête l’élection de Gabriel Ranvier, le maire élu du vingtième arrondissement à la salle Favié. On est bien content aussi des élections de Mottu dans le onzième, de Bonvalet dans le troisième,

Nous l’aurons, notre Commune, notre grande Commune, démocratique et sociale. Nous ferons justice de la réaction, car nous avons Ranvier et Mottu; la lumière descendra des hauteurs de Belleville et de Ménilmontant, pour dissiper les ténèbres de l’Hôtel de Ville. Nous balayerons la réaction comme le samedi la portière balaye l’appartement.

Puis un citoyen demande à lire une lettre du citoyen Jules Vallès. Cette lettre est publiée par quelques journaux et, bien sûr, par La Patrie en danger, dans son numéro daté du 7, hier, donc. La voici.

Lettre de Jules Vallès

Je suis encore libre: je ne le serai peut-être pas demain. Je réponds bien vite à une affiche collée sur les murs du XIXe arrondissement, dans laquelle le maire Richard m’accuse d’avoir attenté à sa liberté et mis la mairie au pillage.

J’ai passé vingt heures dans cette mairie, et pendant ces vingt heures, en ce temps de tumulte, je dois le dire, non pour ma décharge, mais pour l’honneur de notre parti, il ne s’est pas commis un acte de scandale et de brutalité, pas un.

M. Richard a été, c’est vrai, isolé un moment, c’est-à-dire éloigné par force du danger. Il y avait à craindre qu’il ne fût dans les rues battu, fouetté. J’ai voulu éviter à la République la responsabilité d’une violence et à cet homme la honte d’une humiliation.

Ne pouvant nier que j’ai maintenu l’ordre, faute de sang versé, il parle de vin répandu, de sirop gâché et de pain volé. L’occupation de cette nuit a, prétend-il, coûté plus de douze cents francs à la France.

Douze cents francs.

Mais il y avait sur pied seize ou dix-sept cents hommes, de divers bataillons, venus sur les appels pressants lancés par l’Hôtel de Ville, seize cents hommes qui, dans la nuit, avaient froid et faim. — On fit donner à chacun une croûte de pain, un hareng et un verre de vin.

Voilà l’orgie; elle est revenue à une quinzaine de sous par tête.

Pour ce prix-là, ils ont, ces seize ou dix-sept cents, mangé et bu. J’en sais même qui ont emporté un croûton pour leurs enfants, je ne les ai pas fait arrêter, que voulez vous!

Remarquez que sur ces douze cents francs, ces quinze sous, il faut encore déduire le prix des habits volés, des sabres avalés et des mitrailleuses escamotées, il faut retrancher le prix des voitures qu’on prenait d’heure en heure pour aller là-bas chercher des nouvelles et des ordres!

Des ordres, oui car nous croyions agir, je le jure, au nom d’un gouvernement établi, comme les représentants de l’autorité nouvelle que les républicains socialistes et les républicains bourgeois venaient de se partager à l’ombre du drapeau troué de la patrie.

Si les choses ont changé dans la nuit, ce n’est pas notre faute.

Décidés à mourir pour défendre la loi nouvelle, dès qu’il fut sûr que la loi ancienne restait seule victorieuse, désespérés mais sages, nous confiâmes notre poste aux élus du peuple; on remit la mairie aux mains des chefs de bataillons.

Ils déclarèrent même, à ce moment — je m’en souviens et ils ne peuvent l’avoir oublié — ils déclarèrent qu’ils allaient demander à l’autorité que pas un d’entre nous ne fût menacé pour les faits de la nuit; à leur retour, ils assurèrent qu’il ne resterait en effet de tout cela que le souvenir d’un douloureux malentendu.

En est-il ainsi? On arrête de tous côtés. Malgré les promesses faites, et après que nous avons, toute notre vie, mangé le pain noir de la misère et des prisons pour aider à la résurrection de la République, nous allons tous être diffamés, traqués, enchaînés et tués autour de son berceau!

Nous offrons toute de même, ceux du comité républicain et moi, de rembourser les quinze sous qu’ont coûtés dans la nuit du 31 octobre le verre de vin, le hareng et le morceau de pain qu’on donna à chaque homme du bataillon de Belleville, comme on donna, un jour, des sabots au bataillon de la Moselle [voir notre article du 15 juillet].

Est-ce dit?

Pauvre République! Nous ne voudrions pas être tes débiteurs, mais seulement tes victimes. J’ai peur que nous partions insolvables pour Lambessa et Cayenne!

Salut et fraternité

Jules Vallès

*

Le tableau d’Auguste Charpentier s’imposait ici. Si je comprends bien ces harengs ont été peints avant d’avoir été mangés. De la lettre de Jules Vallès, chacun aura déduit que les harengs étaient une nourriture « de pauvre », un hareng, un verre de vin et un morceau de pain pour 75 centimes! Peints, puis mangés, ceux-ci sont conservés au musée Carnavalet.

Livre utilisé

Molinari (Gustave de)Les Clubs rouges pendant le siège de Paris, Garnier (1871).

Cet article a été préparé en juin 2020.