Nous voici à nouveau quai Conti. Je regrette de ne pas pouvoir vous dire combien des illustres membres de l’Académie des sciences étaient présents, ce lundi 5 décembre, quai Conti — je n’ai pas accès aux archives au moment où j’écris ces lignes — et de toute façon je ne peux pas vous dire ce qu’ils avaient mangé — ou pas. Je crois bien qu’il faisait froid, dans la grande salle où se tenaient les séances — mais je parlerai de la température une autre fois (le 26 décembre)… Aujourd’hui, parlons plutôt d’astronomie. Et principalement de trois choses.

D’abord le passage (ou transit) de Vénus. La planète Vénus va passer entre la Terre et le Soleil… dans quatre ans, en décembre 1874, mais les astronomes s’y préparent déjà. J’aurais pu vous en parler plus tôt: il en a été question lors de la séance du 12 octobre.

Ensuite les aurores boréales. Imaginez vous dans Paris assiégé, l’armée prussienne aux portes, des batailles, des obus, des incendies partout autour de vous (de l’autre côté des fortifications, pour le moment) et… une barre de feu illumine l’horizon. C’est en septembre et à Paris, mais c’est une aurore boréale. Voyez Le Rappel daté du 27 septembre:

L’avant-dernière nuit a été illuminée, de huit heures et demie à onze heures, par une splendide aurore boréale.
Vers dix heures, elle était haute de 48 degrés  et large de 110.
Elle formait une sorte de barre de feu de laquelle jaillissaient, comme les dents d’un peigne, des rayons à pointe rouge sang.

L’Académie des sciences n’a pas attendu pour en parler… Dès sa séance du 26 septembre, elle entend ce qui suit:

J’ai l’honneur de communiquer à l’Académie quelques détails sur la magnifique aurore boréale que nous avons observée dans la nuit du 24 au 25 courant, de 8h30 à 11  heures.

9 heures. Le phénomène occupe un espace compris entre gamma Bouvier et la tête de la Grande Ourse; soit 44 degrés en amplitude. A ce moment, un beau rayon d’un blanc vif s’élève jusqu’à iota Dragon.

9h10. La matière qui a donné naissance à ce rayon s’étend et forme une large surface verdâtre; puis, tout à coup, s’élance vers la Couronne boréale un beau rayon rouge.

9h15. Les rayons ont disparu; il ne reste plus du phénomène qu’une vive lueur blanche au-dessus des brunes qui couvrent l’horizon.

9h30. L’aurore semble s’éteindre complètement.

10h7. Le phénomène reprend une grande intensité. A ce moment l’aurore apparaît dans toute sa splendeur; s’étendant de la Couronne boréale jusqu’à theta Cocher, soit, 110 degrés d’amplitude. Les rayons, très-nombreux et d’un rouge sang très-vif, s’élèvent jusque près le carré de la Petite Ourse; ce qui donne une altitude de 48 degrés. Le petit arc était parfaitement accentué; l’aurore présente assez l’image d’un peigne armé de ses dents.

De 10h15 à 11 heures, les rayons s’effacent et reparaissent successivement, offrant des nuances très-belles, dans lesquelles le rouge domine.

Le mouvement général de cette apparition était de l’est à l’ouest. En résumé, l’aurore boréale du 24 septembre peut être classée parmi les apparitions remarquables.

Rouge…

Mais ce n’est pas tout… À la séance du lundi 31 octobre, pas moins de trois communications ont décrit les aurores boréales des 24 et 25 octobre. Car il y en a eu deux autres (dont j’ai déjà mentionné au moins une dans un ancien article).
Je choisis un autre auteur,

Le lundi 24 octobre, vers 6 heures du soir, une lueur rougeâtre se montra à l’horizon dans la direction du nord-nord-ouest. Peu à peu cette lueur s’étendit, s’éleva et se fit voir sous la forme d’un arc immense, embrassant de l’est à l’ouest toute la région boréale du ciel. Puis, subitement, quelques rayons d’une teinte plus éclatante et d’un rouge blanchâtre, sillonnant le fond plus sombre de la zone, ne laissèrent aucun doute sur la nature du phénomène, qui n’était autre chose qu’une magnifique aurore polaire.
Pendant la journée, le ciel avait été couvert de nuages, qu’emportait un vent assez fort de la région ouest. Mais sur le soir il s’était dégagé, et, quand le phénomène commença, les étoiles brillaient à peu près dans toute l’étendue de la zone céleste qu’il embrassait. L’arc lumineux continua, jusqu’à 8 heures du soir, à augmenter d’intensité et d’amplitude jusqu’à atteindre et dépasser le zénith. La teinte de la lueur était surtout d’un rouge très-prononcé à l’horizon vers les régions de l’est et de l’ouest. Dans la direction du nord, son intensité était moindre, et l’on y remarquait le secteur obscur qui s’observe fréquemment au-dessous de la zone lumineuse dans les aurores polaires.
Sauf les rayons qui, çà et là, et à intervalles irréguliers, sillonnaient le fond de l’arc, et dont la teinte était d’un blanc rougeâtre ou légèrement orangé, aucune des parties de l’arc n’affectait de couleur différente du rouge. Mais cette teinte variait assez souvent de ton; elle était tantôt rosée, tantôt d’un rouge sanglant, très-éclatant et très-lumineux, tantôt d’un rouge très-sombre en aucun cas, toutefois, elle ne cessait d’être transparente et de laisser voir sur son fond les étoiles même de troisième ou quatrième grandeur: on voyait très-distinctement la grande et la petite Ourse, Cassiopée, Aldébaran, les Pléiades, etc. Au moment où l’arc atteignait le zénith, toute sa périphérie extérieure était bordée d’une teinte blanchâtre, d’un ton laiteux, analogue d’aspect à la voie lactée, mais beaucoup plus régulière et uniforme.
Le phénomène, tout en s’affaiblissant, était visible encore après 11 heures du soir; mais c’est entre 8 heures et 8 heures et demie qu’il paraît avoir atteint son maximum d’éclat.
La soirée suivante, du mardi 25 octobre, a été signalée par une nouvelle aurore; je ne ferai qu’indiquer les caractères par lesquels elle m’a semblé se distinguer de la précédente. L’arc lumineux embrassait également tout le ciel de l’est à l’ouest, mais il dépassait le zénith, en le débordant du côté du sud. Au nord, on ne distinguait, à 30 degrés environ au-dessus de l’horizon, qu’une région assez peu étendue, ayant la teinte rougeâtre des autres parties de la zone. Entre le nord et l’ouest, on apercevait une région du ciel contrastant avec les régions environnantes par sa teinte très-claire, d’un ton blanc-verdâtre et opalescent.
Comme dans l’aurore précédente, plusieurs rayons lumineux sillonnèrent, de temps à autre, le fond rougeâtre de la lueur, mais sans apparence d’une convergence déterminée de leur direction. L’un de ces rayons, de forme allongée, rectiligne, assez large en son milieu, nous parut remarquable par la persistance de sa position et de sa durée: on l’eût pris pour un nuage.
Entre 7 et 8 heures du soir, le phénomène de ces apparitions de rayons de lumière prit un caractère tout à fait singulier qui mérite, croyons-nous, d’être signalé. A l’orient des constellations d’Andromède et de Pégase, en un point très-voisin de deux étoiles de deuxième grandeur, mu et lambda, qu’on voit à peu de distance du carré, il se forma tout à coup deux, puis trois petites lueurs d’un blanc rosé, semblables à de petits nuages lumineux ou à des nébuleuses, qui, persistant d’abord sous leur première forme, peu à peu s’allongèrent comme autant de rayons rectilignes convergeant vers le point en question. D’autres rayons apparurent successivement dans toutes les directions et de toutes les grandeurs, mais ils présentèrent tous ce caractère de convergence vers le même point du ciel, de sorte qu’en cette région particulière, le phénomène avait tout à fait l’apparence d’une gloire.
Nous aperçûmes à la même heure deux bolides assez brillants, mais nous ne pûmes en noter exactement ni le point de départ, ni la direction.

Et puis il y a l’éclipse. Jules Janssen écrit à l’Académie des sciences, on a lu sa lettre le 24 octobre, avant l’aurore, donc.

Le 22 décembre prochain, une éclipse totale aura lieu dans le sud de l’Europe (Sicile, AIgérie, Espagne). Je sais que le Bureau des Longitudes s’en était préoccupé, et qu’il avait bien voulu me comprendre parmi les observateurs de la mission qu’il comptait envoyer. Malgré les circonstances si critiques et si douloureuses que traverse notre pays en ce moment, il ne paraît pas que la France doive abdiquer, et renoncer à prendre sa part dans l’observation de cet important phénomène. En dépit du siège et sans avoir à demander à nos ennemis le passage à travers leurs lignes, un observateur pourrait, au moment opportun, se diriger vers l’Algérie par la voie aérienne; il emporterait seulement avec lui les parties les plus indispensables de ses instruments, sauf à les compléter à Marseille avant l’embarquement.
Si l’Académie veut bien m’accorder son appui pour la continuation des travaux dont je viens de l’entretenir, une partie des ressources pourrait être employée à la réalisation de ce projet, et je m’offrirais pour tenter ce voyage, heureux de donner ainsi à la science ce témoignage de mon entier dévouement.

Et en effet, l’Académie a été autorisée à lui consacrer 5000 francs et il est parti, il vient de partir dans un ballon nommé Volta, vendredi dernier, le 2 décembre à cinq heures du matin, depuis la gare d’Orléans (Austerlitz) où j’ai signalé dans un article précédent que se fabriquaient des ballons. On ne le sait pas encore à Paris, mais le Volta a traversé les lignes ennemies sans encombres et est « tombé » le lendemain 3 décembre, près de Saint-Nazaire, sans accident, les académiciens l’apprendront seulement le 19 décembre. Et le 27 février, une longue lettre de Jules Janssen leur apprendra le résultat complet de sa mission. Tous les instruments étaient intacts. Via Nantes, Tours et Marseille il avait atteint Oran le 10 et tout installé.

Et, devinez quoi, le temps était si mauvais, si incroyablement mauvais… qu’il n’a rien vu du tout.

Heureusement, Camille Flammarion avait réussi, à Paris, à enregistrer un petite baisse de luminosité au moment de l’éclipse, comme il l’a écrit à l’Académie des sciences dès le 26 décembre.

Aurores boréales à Paris, mauvais temps à Oran — il n’y a plus de saisons…

*

À Syracuse, le temps était dégagé, et un Captain Tupman a pu y faire des observations pour l’United States Naval Observatory… c’est à lui qu’est due l’image de l’éclipse totale de soleil du 22 décembre 1870 que j’ai mise en couverture.

Les Comptes rendus de l’Académie des sciences sont sur Gallica. Pour les volumes concernés, jusqu’à la fin décembre, c’est exactement là. Et, à partir de janvier, .

Cet article a été préparé en mai 2020.