Il y est toujours, il s’en vante encore. Son premier article (le 2 décembre) a beaucoup énervé les journaux réactionnaires. Il est sous le coup d’un mandat d’arrêt, quand même! En voici un autre, daté du 6 décembre au matin — Gustave Flourens a été arrêté le 6 décembre au soir! Voir notre article du 7 décembre.

Cet article a été publié dans le tout dernier numéro de La Patrie en danger, daté du 8 décembre 1870.

Je doute que l’anaphore « Tu n’as pas compris » ait été utilisée dans un autre discours politique. Pourtant, je ne me lasse ni du style de Gustave Flourens ni de ses illusions… Un petit dernier… et vive la Commune!

Avant-postes

de Maisons-Alfort

Mardi matin, 6 décembre

L’ennemi se tient toujours coi de notre côté. Dans la nuit de dimanche à lundi, nous avons été réoccuper la tranchée où ont été tués nos trois amis de Belleville [voir nos articles du 30 novembre et du 2 décembre], le 147e bataillon de La Villette, commandant Biays, les tirailleurs de Belleville et quelques chasseurs.
On craignait une attaque sur nos positions, à la suite des combats précédents. Mais il n’y a rien eu, et nous n’avons eu à lutter dans la tranchée que contre le froid augmenté du brouillard intense de la Seine.
Il y a, parmi tous les défenseurs de la République, un élan d’enthousiasme, d’audace, tout à fait comparable à celui de 1793. S’il y avait des Républicains à la tête de ce mouvement, nous pourrions, au bout de dix jours, aller proclamer à Berlin la République!
L’ennemi est tout à fait démoralisé. On lui avait promis Paris comme une Capoue toute ouverte et facile à prendre, où il n’y aurait qu’à entrer, pour venir se reposer dans les bras des gentilles Parisiennes des fatiques d’une campagne si pénible et si brutalement menée.
Les souvenirs des autres invasions trompaient tous ces braves Allemands. On n’avait eu alors que la peine d’entrer à Paris. On croyait qu’il en serait de même en 1870. Et aux débuts de la campagne sous Paris, l’attitude du gouvernement dit de la Défense nationale, les ambassades de Thiers, les larmes de Jules Favre à Ferrières [voir notre article du 19 septembre], étaient faites, il fait l’avouer, pour encourager les Allemands à espérer la prise facile de Paris.
Mais la journée du 31 octobre est venue tout changer. Les traîtres qui paralysaient l’élan républicain, ayant vu qu’ils seraient lynchés, exécutés sommairement par le peuple s’ils livraient Paris comme Metz et Sedan aux Prussiens, ont été obligés d’aller en avant. Ils ont marché bien mollement, il est vrai, mais ils ont marché.
Ils n’ont pas voulu la réquisition de toutes les subsistances, afin que le riche pût continuer à bien manger. Ils n’ont pas voulu de la levée en masse, afin de laisser à la prêtraille et aux jésuitières de robe plus moins courte le moyen de remplacer les femmes dans les ambulances, où celle[s]-ci suffiraient à merveille, de ne point marcher à la mort, que n’aime aucun jésuite, bien qu’étant par avance assuré du royaume des cieux.
Ils ont, par crainte du triomphe de la démocratie, dépecé, morcelé, désorganisé, essayé de démoraliser le plus possible la garde nationale de Paris.
Celle-ci comptait dans ses rangs plus de vieux braves et excellents soldats et sous-officiers, que n’en a aujourd’hui l’armée. Elle se serait mieux battue que l’armée elle-même. Battue pour ses foyers, pour ses convictions républicaines, sans curés bretons à la tête de ses légions.
Que lui fallait-il pour cela? Quatre choses. D’abord la ferme assurance, non pas l’assurance donnée par un gouvernement qui se parjure à chaque minute; mais l’assurance républicaine donnée par une Commune née de la libre élection, l’assurance de ceci: qu’elle se battait bien vraiment pour fonder la République démocratique et sociale, et non pour restaurer une monarchie quelconque.
En second lieu l’adoption de toutes les femmes et enfants par la Commune, et leur entretien avec les biens nationaux des émigrés de 1870 et du clergé. Ce qui paralyse le plus l’énergie d’un homme, c’est de songer à la misère atroce des siens. La paye dérisoire de soixante-quinze centimes que le gouvernement a allouée aux femmes n’est pas même payée à ces infortunées dans toutes les mairies. Notamment dans la mairie du XXe arrondissement, que devraient occuper les élus du suffrage universel: Ranvier, Millière, Flourens et Lefrançais, et que vous faites envahir afin de mieux insulter la volonté du peuple, par vos séides, les Simboiselle et compagnie.
En troisième lieu, il faudrait ceci à la garde nationale de Paris: Un chef supérieur, élu par elle, vraiment énergique et vraiment démocrate… Non pas un vieux général de carton-pâte, épicier retraité ou gendarme émérite, un Tamisier ou un Clément Thomas, qui n’a jamais montré de courage que contre le peuple désarmé de Paris: « Chargez-moi cette canaille. »
Enfin, une bonne organisation. Le fractionnement de la garde nationale par bataillons est une invention impériale, destinée à tuer l’esprit démocratique, l’idée même d’une résistance au despotisme, en isolant les uns des autres les différents quartiers de la ville, en éparpillant, en désunissant les forces de la démocratie. Le seul mode possible et rationnel d’organisation par régiments.
Les despotes ont assuré l’asservissement de Paris par deux moyens; d’abord la suppression de sa vie municipale, en y détruisant la commune, ce conseil municipal élu que possède le moindre village de France, que possèdent toutes nos villes, excepté Lyon et Paris, en remplaçant la commune, l’âme unique de la cité, par des maires d’arrondissements, agents subalternes d’un préfet du département non élu, n’ayant d’autres fonctions que de marier les bonnes gens et de distribuer des soupes économiques; ensuite par la suppression de la vie militaire en bataillonisant la garde nationale.
Comment se peut-il que ces deux mesures iniques au suprême degré, illégales au suprême degré, rendant Paris plus esclave que Constantinople et Moscou, subsistent encore sous un gouvernement se disant républicain. Picard, qui assurément n’aime pas la République [et que Gustave Flourens, assurément, déteste particulièrement], bien qu’aujourd’hui il la gouverne, était pourtant, sous l’empire, le premier à réclamer contre cette exorbitante violation de tous les droits de Paris, le premier à demander la Commune, le conseil municipal élu.
Ce n’était pour Picard, comme pour ses collègues de la gauche, qu’un moyen de battre en brèche le pouvoir en l’attaquant dans la plus odieuse de ses usurpations. Arrivés aux portefeuilles qu’ils convoitaient si ardemment, ces judas ne songent qu’à continuer cette usurpation à leur profit. Oh! jésuites!
Il faudra bien que Paris reconquière ses libertés, qu’il renvoie ces tyrans, ces usurpateurs, ces soi-disant républicains, rejoindre tous les autres tyrans, dont il a fait justice.
Que Paris, puisqu’il a fait cette faute de leur dire oui par le plébiscite, les observe cependant de près. Ils n’ont jamais rien fait pour la défense de la République, ils ne nous laissent aujourd’hui combattre qu’à grand contre-cœur, et si nous combattons à notre désavantage, c’est entièrement leur faute.
L’infâme Palikao a plus fait lui-même pour la défense de Paris que n’a jamais fait Trochu. Les deux seules mesures qui nous fassent aujourd’hui subsister: l’entrée dans Paris des bestiaux du département et dans les forts le placement des canons de marine, ont été prises par Palikao, et non par Trochu [c’est-à-dire avant le 4 septembre].
Trochu n’a fait que des proclamations assez semblables à des mandements d’évêques et peu encourageantes pour la résistance. Il nous y engage à l’humilité chrétienne, à la soumission aux décrets de la Providence, nous y donne sa bénédiction épiscopale, et laisse le comité d’artillerie empêcher tout canon de se fondre!
Ce n’était pas, cierge en main et rosaire au côté, que les généraux de 1793 sauvaient la République.
Tu l’as voulu, ô Prudhomme incorrigible. Tu as voulu, par le plébiscite-Bonaparte, voter la paix, et tu as eu la guerre. Tu as voulu, avec le plébiscite-Trochu, voter la paix une seconde fois, et je crains fort que tu n’aies voté ta mort.
Au moins auras-tu la consolation de mourir avec Trochu, en odeur de sainteté, d’être canonisé avec lui, d’être béatifié avec lui!
Tu as eu peur de nous, vieille bête, de nous, qui seuls pouvions te sauver. Comme en 1848, tu as dit cette infamie dans ton cœur: « Plutôt les Cosaques ou les Prussiens que les républicains. »
Tu t’es imaginé assurer, à force de lâcheté, la conservation de tes biens, l’heureuse quiétude de tes digestions, la réouverture de tes théâtres-lupanars.
Tu n’as pas compris, imbécile, que le Prussien te prendra tout cela, qu’il te châtiera, s’il entre dans Paris, plus encore que le peuple. Il s’assiéra à ton foyer, plein de morgue insolente, regardera tes filles avec convoitise aujourd’hui, les violera demain, et te volera pour payer les frais de la guerre tout cet or que tu amasses si passionnément par l’usure.
Tu n’as pas compris que mieux valait encore accepter le rationnement, la levée en masse, la mise en vente des biens nationaux, se serrer le ventre, partager avec le peuple ce qui reste de nourriture à Paris au lieu de le gaspiller, donner à ce peuple l’isonomie [égalité de droits] dans la cité, des droits égaux aux tiens, des intérêts à défendre contre l’ennemi, des intérêts, des droits à lui, en échange de ce grand devoir commun à tous de se faire tuer pour la République!
Tu n’as pas compris que tout cela valait mieux que de se livrer aux Prussiens, lesquels te prendront tout et par-dessus le marché, te battront, te mépriseront, te tueront. Tu l’as voulu, Georges Dandin!
Quand nous avons été, avec dix mille hommes, au 5 octobre, demander à tes chers maîtres de l’Hôtel de Ville de marcher en masse à l’ennemi pour rompre le blocus, ravitailler Paris, soulever la province, il était temps encore, avec une surprise bien dirigée, de joindre le Prussien à la baïonnette, d’obtenir, sans autant de difficultés qu’aujourd’hui, de grands succès. Toutes les petites villes des environs de Paris n’étaient pas encore fortifiées par le génie prussien comme elles le sont aujourd’hui; cette ceinture de fer qui nous étreint n’était pas encore serrée autour de notre cité et il n’y avait pas de disette parmi nous.
Tu nous as laissé jouer par tes maîtres qui, complices de l’ennemi, tandis que celui-ci travaillait ardemment à t’affamer, te bernaient de promesses honteuses d’armistice et de paix. Tu le vois aujourd’hui, il aurait pourtant mieux valu te battre dès lors; la province, électrisée par notre courage, camperait déjà à nos portes, et le Prussien, d’assiégeant serait devenu assiégé.
Mais non, tu as lâchement continué à boire, manger, dormir, bercé chaque nuit par la canonnade des forts, cette canonnade qui fait si justement rire Bismarck et ne détruit, en fait d’ennemis, que les arbres, les maisons et les collines de la banlieue parisienne.
Tu t’es épris du plan de Trochu, si prudemment déposé par ce grand général chez son notaire. Vieux badaud, ne t’avait-on pourtant pas joué suffisamment avec le plan de Bazaine? Tu t’éprends du ballon, envoyé par le philosophe Jules Simon, singe grotesque de la Convention, afin d’observer les éclipses de soleil à l’équateur [à Oran, pas sur l’équateur! voir notre article d’hier 5 décembre].
Tu t’imagines peut-être que nous te laisserons, quand il n’y aura même plus ni chiens ni rats à manger dans Paris, en ouvrir les portes aux Prussiens.
Tu te trompes fort. Nous ne voulons pas, cher imbécile, que le monde ait à dire de nous qu’il n’est pas resté de cœurs fermes dans la France du dix-neuvième siècle, aussi avilie que la Rome et la Byzance du bas-empire; nous ne voulons pas, vois-tu, que le nom de Français devienne un opprobre, et qu’en tout coin du monde nous ayons à rougir de le porter.
Nous ne voulons pas nous rendre. Le vaisseau le Vengeur a bien su se faire sauter [au large de Brest, face à la marine anglaise, en 1794].
Nous sommes magistrats municipaux de Paris, nés à Paris et non pas, comme Trochu, à Quimper en Bretagne [Trochu est breton, mais il est né à Belle-Île], ou comme les Bonaparte en Corse [Louis-Napoléon Bonaparte est né à Paris]. Nous avons l’honneur de notre mère à défendre, nous te jurons de nous faire sauter avec elle plutôt que de la rendre!

Gustave Flourens

*

Bon, d’accord, la fin est un peu dure à avaler… 

Sur l’image de couverture, « Belleville », le garde dit: « Mon secteur!… L’premier qui y touche! » Je l’ai trouvée sur Gallica, là.

Cet article a été préparé en juin 2020.