La première bataille du Bourget a eu lieu les 28, 29 et 30 octobre (voir notre article du 28 octobre).
Aujourd’hui, je suis les notes quotidiennes d’Adolphe Michel, bourgeois de Paris.
21 décembre
Les mouvements de troupes et le départ des bataillons de guerre de la garde nationale au milieu de la nuit ont tenu la ville en émoi.
Au jour naissant, la canonnade commence du fort de Romainville; les forts de l’Est, de La Briche, de la Double-Couronne [à Saint-Denis tous les deux] et d’Aubervilliers ouvrent un feu terrible sur les positions occupées par les Prussiens, notamment sur le Bourget. Une heure après, le crépitement de la fusillade indique que l’action se concentre autour de ce village, d’où s’élèvent des nuages de fumée. Des forces considérables d’infanterie et d’artillerie sont disposées dans la plaine, entre Aubervilliers, Rosny et Pantin. Paris est entouré d’une ceinture de feux; le canon gronde de tous les côtés.
Il cite le général Schmitz:
Paris, 21 décembre, deux heures
L’attaque a commencé ce matin sur un grand développement, depuis le Mont-Valérien jusqu’à Nogent.
Le combat est engagé et continue avec des chances favorables pour nous, sur tous les points.
Cent prisonniers prussiens provenant du Bourget viennent d’être amenés à Saint-Denis.
Le gouverneur est à la tête des troupes.
P. O. Le général, chef d’état-major général des armées de défense,
SCHMITZ
Il cite ensuite un rapport militaire, de ce même Schmitz, dont je ne conserve que quelques phrases.
Les opérations militaires engagées aujourd’hui ont été interrompues par la nuit. Sur notre droite, les généraux de Malroy et Blaise, sous les ordres du général Vinoy, ont occupé heureusement Neuilly-sur-Marne, Ville-Evrard et la Maison-Blanche. […]
Le plateau d’Avron et le fort de Nogent ont appuyé l’opération.
Dès le matin, les troupes de l’amiral de La Roncière ont attaqué le Bourget. Elles étaient composées de marins, de troupes de ligne et de gardes mobiles de la Seine.
La première colonne, qui avait pénétré dans le village, n’a pu s’y maintenir. Elle s’est retirée après avoir fait une centaine de prisonniers qui ont été dirigés sur Paris. Le général Ducrot fit alors avancer une partie de son artillerie […]
Du côté du Mont-Valérien, le général Noël, vers sept heures du matin, a fait une forte démonstration […]
La garde nationale mobilisée a été engagée aujourd’hui avec les troupes. Tous ont montré une grande ardeur. Le chiffre de nos blessés n’est pas encore connu. Il n’est pas très considérable, eu égard au vaste périmètre sur lequel se sont développées les opérations. Cependant les marins et la garnison de Saint-Denis ont fait des pertes assez sérieuses dans l’attaque du Bourget, qui d’ailleurs a été fort contrariée par une brume intense très gênante pour l’action de notre artillerie. Le gouverneur passe la nuit avec les troupes sur le lieu de l’action. […]
Si vous ne comprenez pas ce qui se passe, ne craignez rien, vous n’êtes pas les seules. Voici le commentaire d’Adolphe Michel:
Le rapport du général Schmitz n’est ni assez net ni assez précis pour qu’on se fasse une opinion raisonnée sur les résultats de la bataille d’aujourd’hui. On s’entretient dans les groupes avec une grande animation.
L’impression générale est bonne. On exalte le rare courage déployé par les marins, qui ont attaqué à coups de hache les barricades et les maisons crénelées du Bourget.
Et d’ailleurs, dès le lendemain, Schmitz publie un « Rapport officiel sur les engagements d’hier », qu’Adolphe Michel cite entièrement (mais je fais des coupures):
22 décembre, 3 h 1/2,
La journée d’hier n’est que le commencement d’une série d’opérations. Elle n’a pas eu et ne pouvait guère avoir de résultat définitif; mais elle peut servir à établir deux points importants: l’excellente tenue de nos bataillons de marche engagés pour la première fois qui se sont montrés dignes de leurs camarades de l’armée et de la mobile, et la supériorité de notre nouvelle artillerie, qui a éteint complètement les feux de l’ennemi. Si nous n’avions pas été contrariés par l’état de l’atmosphère, il n’est pas douteux que le village du Bourget serait resté entre nos mains.
À l’heure où nous écrivons, le général gouverneur de Paris a réuni les chefs de corps pour se concerter avec eux sur les opérations ultérieures.
Schmitz cite le rapport de l’amiral de la Roncière, qui raconte l’attaque:
Conformément à vos ordres, nous avons attaqué le Bourget ce matin. Le bataillon des marins et le 138e [c’est le bataillon du onzième que commandait Eudes en octobre], sous l’énergique direction du capitaine de frégate Lamothe-Penet, ont enlevé la partie nord du village, en même temps qu’une attaque menée vigoureusement par le général Lavoignet dans la partie sud se voyait arrêtée, malgré ses efforts, par de fortes barricades et des murs crénelés qui l’empêchaient de dépasser les premières maisons dont on s’était emparé.
Pendant près de trois heures, les troupes se sont maintenues dans le nord du Bourget, jusqu’au delà de l’église, luttant pour conquérir les maisons une à une, sous les feux tirés des caves et des fenêtres, et sous une grêle de projectiles. Elles ont dû se retirer; leur retraite s’est faite avec calme.
Simultanément, une diversion importante était effectuée par les 10e, 12e, 13e, 14e bataillons des gardes mobiles de la Seine et une partie du 12e bataillon de la garde nationale de Saint-Denis, sous le commandement du colonel d’Autremont.
Enfin, au même moment, le 68e bataillon de la garde nationale mobilisée de Saint-Denis se présentait devant Épinay, tandis que les deux batteries flottantes n°1 et 4 canonnaient le village, ainsi qu’Orgemont et le Cygne d’Enghien, qui ripostaient vigoureusement.
Nos pertes sont sérieuses, surtout parmi le 133e [du treizième] et le 138e. Bien que notre but n’ait pas été atteint, je ne saurais assez louer la vaillante énergie dont nos troupes ont fait preuve. Cent prisonniers prussiens ont été ramenés du Bourget.
Quel dommage qu’il y ait eu du brouillard… en décembre, c’était inattendu. Ce que dit, même pas plus gentiment, notre chroniqueur:
Pourquoi le dissimuler? Les opérations militaires engagées le 21 décembre nous apportent un nouveau désappointement. Le Bourget n’est pas resté en notre pouvoir; il est vrai que nous avons été « contrariés par l’état de l’atmosphère ». M. Trochu n’avait pas prévu le brouillard quand il a conçu son plan [c’est toujours le fameux « plan de Trochu » que l’on applique], et voilà toute l’action suspendue! On tire le canon ce matin par acquit de conscience.
Que dire encore de ces Prussiens « restés dans les caves » et qui sortent la nuit pour attaquer nos postes? Est-il possible d’avouer plus naïvement son ineptie et son imprévoyance ?
*
Si vous voulez savoir à quoi ressemblait le Bourget en décembre 1870, regardez donc le dessin d’Ernest Hussenot que j’ai mis en couverture, je le reproduis ici pour que vous puissiez l’agrandir (en cliquant dessus). Il est au musée Carnavalet.
Livre cité
Michel (Adolphe), Le siège de Paris, 1870-1871, A. Courcier (1871).
Cet article a été préparé en août 2020.