J’écris ceci en mai 2020. Je viens de m’arracher les cheveux avec des misogynes, des racistes, des blanquistes, des mariages, des enterrements, des Prussiens, des remparts, des réunions de l’Association internationale des travailleurs et de l’Académie des sciences…

Et voici deux articles sur les éléphants!

Cette histoire d’éléphants m’exaspère. J’ai écrit un article à leur sujet, il y a déjà quatre ans, quatre ans et demi maintenant, au tout début de ce blog. Il y a au moins trois raisons pour lesquelles cette histoire m’exaspère. Les voici:

  1. Il n’est pas vrai que « on avait tellement faim pendant le siège de Paris qu’on a même mangé les éléphants ». Une terrible famine, certes, comme le dit (en espérant, sait-on jamais, que ceci aura été changé quand vous lirez le présent article) le site du Jardin d’acclimatation. Mais, « faute d’aliments ordinaires on se résout à sacrifier les quelques animaux exotiques encore présents au Jardin d’acclimatation », comme le dit le même site, c’est légèrement biaisé. Ceux qui ont mangé de l’éléphant pendant le siège de Paris ne sont pas ceux qui souffraient de la famine. Vous avez vu le prix de la viande d’éléphant? Le boucher (il s’appelait Deboos) a payé 27.000 francs pour les deux bêtes. Vous croyez qu’il les a découpées pour en donner les morceaux aux femmes qui faisaient la queue aux boucheries municipales? Non, il les a vendues aux bourgeois de son quartier (la boucherie était située 123 boulevard Haussmann, dans le bon huitième arrondissement). Reportez vous à mon article du 20 décembre pour les boucheries de Belleville…
  2. Il n’est pas vrai qu’on a mangé les animaux du Jardin des plantes. Le Jardin des plantes est celui du Muséum d’histoire naturelle, une institution scientifique. Les scientifiques préservent leurs richesses. Vous allez voir comme Michel Chevreul, le directeur, va s’énerver, le 9 janvier. Le Jardin d’acclimatation, sous l’égide de la « Société impériale zoologique d’acclimatation », a une vocation éducative, certes, et divertissante, plus que scientifique. Je vous raconterai l’histoire de ses éléphants dans le prochain article, mais pour aujourd’hui sachez qu’ils avaient cessé de promener des enfants, qu’ils ne rapportaient plus, et qu’en plus il fallait les nourrir, d’où la vente au boucher Deboos.
  3. Dans ma grande naïveté, lorsque j’ai écrit le vieil article déjà mentionné, j’avais essayé de modifier une page wikipedia assez « mal foutue » — et ma modification n’a pas tenu une demi-heure… Je ne m’appelle pas Sisyphe et je ne lutte pas contre l’accumulation de « copier-coller » idiots sur internet, je ne me mêle plus de ça. Mais, évidemment, cela contribue à mon exaspération. [ajouté le 31 décembre 2020: en parlant des âneries qu’on lit sur internet — est-il besoin de préciser que le zoo de Vincennes n’existait pas? Il a été fondé après (et à la suite de) l’exposition coloniale de 1931.]

À l’époque, j’avais « accusé » les Anglais d’être à l’origine de cette erreur Jardin des plantes au lieu de Jardin d’acclimatation. On peut jouer, ici aussi, au jeu des sept différences, entre l’image que j’avais utilisée en couverture, qui venait d’un journal anglais et que voici:

et celle que j’utilise aujourd’hui en couverture et que revoici

— il n’y a aucun doute qu’il s’agit de la même scène et qu’en tout cas les deux se passent dans le même lieu. Pourtant la légende de la gravure anglaise n’est pas la traduction de celle de la gravure française…

Tiens, la boucherie de M. Deboos s’appelait… « La boucherie anglaise ». Si j’en crois M. le comte d’Irisson d’Hérisson, qui le tenait du directeur du Jardin d’Acclimatation, le boucher avait déjà acheté au Jardin d’Acclimatation

  • deux yacks, pour 390 fr le 24 octobre,
  • un lot de canards pour 115 fr le 31 octobre,
  • deux rennes pour 800 fr le 17 novembre,
  • deux antilopes nilgaux pour 1000 fr le 21 novembre,
  • deux cerfs wapitis pour 2500 fr le 26 novembre,
  • une antilope nilgau pour 650 fr le 9 décembre (les prix montaient),
  • deux chameaux pour 4000 fr et un veau yack pour 200 fr le 15 décembre,
  • deux chameaux pour 5000 fr le 20 décembre,

et maintenant deux éléphants pour 27000 fr le 29 décembre.

Une petite remarque: je ne suis pas sûre que mes amis révolutionnaires de l’époque aient attaché une telle importance à la question jardin des plantes/jardin d’acclimatation. Voyez ce qu’écrivait Henri Verlet, quand il y avait encore une Patrie en danger, dans le numéro daté du 24 octobre:

Et les animaux du Jardin des Plantes? Est-ce qu’on leur donne de la viande fraîche pendant que le peuple meurt de faim?
Qu’on tue et qu’on mange, s’il le faut, tous ces animaux. Les bonnes d’enfants seules en pleureront.

Légèrement misogyne, en plus… Bon, revenons à décembre. Voici un extrait d’un article paru dans Le Gaulois… demain (le 1er janvier 1871):

Qui nous eût dit que Castor et Pollux, les gentils éléphants du Jardin d’acclimatation qui ont promené des pensionnats entiers sur leur dos, seraient tués par M. Devisme, achetés 27.000 fr. par M. Deboos, de la Boucherie anglaise, convertis en aloyau et mangés par le bourgeois [ce n’est pas moi qui l’ai dit!] de Paris ? Mais que Sa Compassion M. de Bismark se rassure: c’est uniquement à cause du prix élevé des fourrages, et non au point de vue de l’alimentation, que ces animaux ont été vendus. Paris a autre chose encore qu’une trompe à mettre sous sa dent.

Fin de l’épisode!

Eh bien, non, pas tout à fait… et pour demain, deux surprises…

En attendant, parce que c’est la Saint-Sylvestre et parce que je pense aussi à ceux qui n’ont pas mangé d’éléphant, une recette de circonstance, recueillie dans, non pas La Cuisinière bourgeoise, mais dans La Cuisinière assiégée :

Soupe à l’oignon sans oignon

Faites fondre de la graisse dans une poêle; prenez des tranches de pain, que vous ferez fortement roussir; ajoutez eau nécessaire, sel, et versez sur votre pain coupé par tranches.

*

J’ai trouvé l’image de couverture dans un recueil d’images paru en 1871 et nommé Les deux sièges de Paris Album pittoresque et qui se trouve sur Gallica, là.

Livres cités

Les deux sièges de Paris Album pittoresque, au bureau du journal L’Éclipse (1871).

La Cuisinière assiégée ou L’art de vivre en temps de siège par une Femme de ménage, Laporte (1871).

D’Hérisson (Maurice d’Irisson), Journal d’un officier d’ordonnance: juillet 1870-février 1871, Ollendorff (1885).

Cet article a été préparé en mai 2020.