Oui, Trochu, c’est devant Belleville qu’il jure de ne pas capituler!
C’est un des commentaires que provoque, dans le roman Le Canon Fraternité, la lecture du placard que Trochu a fait afficher dans Paris, en réponse à l’Affiche rouge d’hier et que vous pouvez lire en couverture de cet article (il est au musée Carnavalet). Notez bien la formulation:
Le gouverneur de Paris ne capitulera pas.
Puisque nous sommes dans Le Canon Fraternité, voici les nouvelles qu’y donne Florent Rastel (citations en vert).
Tout premiers jours de janvier:
Nous sommes dans Paris, Paris bouclé, Paris étouffé, Paris enterré. Quand la neige tombe, nous avons l’impression que c’est pour Paris seulement, qu’en dehors de l’enceinte des forts, tout autour, dans l’univers entier, il fait soleil, il fait doux, qu’il fait bon vivre partout ailleurs, que tous les maux, les dix fléaux de l’Égypte, se sont renfermés dans la Babylone impériale.
[…]
Rien n’est moins original que la Mort dans ce Paris qu’investissent, après la petite vérole, la fièvre typhoïde, les bronchites, la pneumonie, la fièvre scarlatine, la dysenterie, le croup, la folie, le suicide, l’ivresse, la gangrène, la balle bien placée et les bombardements des excellents canons lourds, tout acier, de M. Krupp.
[…]
Hier soir, dans la salle basse [du bistrot Le Gai Pied], pour les tirailleurs vautrés sur les tables poisseuses, Moumoute a résumé la situation:
— Au gouvernement, ce ne sont pas tous des traîtres, je pourrais jamais le croire! mais tous, tant qu’ils sont, ils ne valent pas les quatre fesr d’un chien. On nous rebat les oreilles avec ce plan Trochu, qui est déposé chez un notaire comme un testament. On ne le connaît pas, mais on voit les résultats. Les Pruscos nous étranglent de plus en plus. Y a de moins en moins à grailler. On nous le fait au boniment avec les armées de province qui viennent nous délivrer… Vous les avez vues, vous, les armées de province? Moi non! Mais où donc qu’elles sont passées? Pendant ce temps, qu’est-ce qu’on fait, nous? On se couvre de glaise à Villiers, à Champigny, au Bourget et on se tire avec le feu au cul. On perd des milliers de bons bougres et on gagne quoi? Un léger doute: le général Trochu, catholique et Breton garanti pur granit, n’est peut-être pas Jeanne d’Arc.
Sur les accointances de Trochu avec Jeanne d’Arc et autres saintes, je renvoie à mon article du 3 janvier.
Et après l’Affiche rouge:
— S’il est trop tard pour sauver Paris, nous le brûlerons avec, au milieu, les réactionnaires égoïstes, les propriétaires insolents, et toute la racaille des boutiquiers qui sont les punaises du bon populo! [C’est à une de ces punaises que Moumoute adresse ce discours.] Nous brûlerons les Prussiens du dedans avec ceux du dehors!
— Et vous irez où?
— N’importe où! Nous trouverons toujours un coin pour y planter la Liberté et la République!
— Même si les Prussiens entraient par une barrière, ajouta Matiras, nous aurions encore le temps d’aller planter le drapeau rouge à l’Hôtel de Ville et de venir chasser l’ennemi! Avec la Commune, tout est possible!
— Savez-vous au moins ce que c’est, la Commune? demanda Florette.
Les réponses tombèrent aussi pressées que les obus ennemis:
— C’est le droit du peuple! — C’est le rationnement légal! — La levée en masse! — La punition des traîtres! — L’éducation pour tous! — L’outil à l’ouvrier! — La terre au paysan! — Les prolétaires à l’Opéra! — La Bourse transformée en hôpital! La Sorbonne à l’intelligence des pauvres! — La police contre les riches! — Les propriétaires dans les galetas! — Les prolétaires derrière les canons et plus jamais devant! — Le médecin payé par l’État, les médicaments gratuits!
Basticot conclut avec un rire d’enfant gargantuesque: « La Commune, tiens… c’est la Commune! » On l’applaudit en riant.
Conversations ou querelles, le brouhaha n’a cessé de la journée. Il continue, dans la nuit qui s’achève, aux tables du Gai Pied. Des lambeaux de proclamation me parviennent:
— Que le 31 octobre leur serve de leçon!
— Cette fois, nous irons en armes!
— Et nous flingoterons…
La suite est écrasée par des chapelets d’explosions sur la rive gauche, sous la pleine lune qui argente le bronze neuf du canon Fraternité.
Car la rive gauche est sous les obus prussiens… et la lune était pleine le 6 janvier.
Livre cité
Chabrol (Jean-Pierre), Le Canon fraternité, Paris, Gallimard (1970).
Cet article a été préparé en août 2020.