Je continue à explorer la pagaille de la préparation des élections du 8 février, cette fois en me concentrant sur ce qui se passe chez nos amis internationalistes.

Il y a une liste socialiste révolutionnaire, et cette liste comporte Beslay, Dereure, Dupas, Dupont, Duval, Frankel, Lacord, Malon, Minet, Pindy, Serraillier, Theisz, Tolain, Varlin, et sans doute d’autres qui sont membres de l’Association internationale. Mais, comme je l’ai expliqué hier, les candidats peuvent être soutenus par plusieurs groupes et tous ne sont pas soutenus par les mêmes.

Ce qui ne peut que contribuer à la pagaille.

Prenons l’exemple d’Eugène Varlin. La plupart des (autres) listes sur lesquelles on trouve son nom sont radicales (bourgeoises) mais contiennent, en général derrière Victor Hugo, Ledru-Rollin, Louis Blanc, Gambetta et autres, quelques ouvriers, Murat, Tolain, Malon, Varlin, ou Malon, Pindy, Theisz, Varlin…

Les procès-verbaux des réunions du comité central républicain confirment cette impression de pagaille — même si Dautry et Scheler, en les publiant, ont pensé que les manuscrits de Constant Martin débrouillaient la situation.

Le 4 février, justement : Combault et Chalain ont proposé une liste, publiée par Le Vengeur, alors qu’ils n’avaient aucun mandat pour le faire.

Frankel lit une protestation de candidats de l’Association internationale qui ont été portés sur une autre liste, celle « de l’Union », et l’assemblée adopte la protestation de ces candidats. Ce texte est publié dans Le Mot d’ordre (de Rochefort) daté du 6 février (la citation est en vert):

Association internationale des travailleurs

Le conseil fédéral des sections parisiennes de l’Association internationale de travailleurs déclare que la liste des candidats à l’Assemblée nationale, liste portant pour titre des quatre comités et sur lequel [sic] figure, à leur insu, le nom de plusieurs membres de l’Internationale, n’émane point de notre association.
Si des citoyens membres de l’Internationale ont participé à la confection de cette liste, ils l’ont fait sans mandat du conseil fédéral, qui seul a pouvoir d’engager l’Internationale à Paris.
Nous plaçons nos principes socialistes républicains bien au-dessus du désir de voir arriver nos candidats à l’Assemblée nationale et demandons par conséquent aux comités: Alliance républicaine, Union républicaine et Défenseurs de la République de supprimer sur leur liste le titre Association internationale.
Nous ne permettrons jamais que le titre de cette grande Association puisse servir à aucune manœuvre électorale.

Pour le Conseil fédéral de l’Internationale
Ont signé :
CH. BESLAY, ancien représentant du peuple,
B. MALON, adjoint du 17e arrondissement,
PINDY, menuisier,
E. VARLIN, relieur
Paris, le 4 février 1871

Ce texte est daté du 4 février… mais on ne voit pas qu’il ait été discuté au cours de la réunion à la Corderie de ce jour-là. C’est Frankel qui l’a lu, et d’ailleurs, selon Serraillier, c’est Frankel qui l’a rédigé.

Cette pagaille reflète les difficultés politiques déjà évoquées dans les réunions du conseil général de l’Association internationale.

Savoir si des Internationalistes pouvaient être sur la même liste que Blanqui ne me semble pas avoir été une cause de désaccord (contrairement à ce que j’ai écrit dans la présentation des écrits d’Eugène Varlin). La liste des candidats socialistes révolutionnaires contient Blanqui et beaucoup de ses fidèles, et les internationalistes, même Malon, même Serraillier (elle est dans notre article d’hier).

Mais oui, il y a des désaccords ? La « liste de l’Union », celle après laquelle Frankel en a, paraît à la une de La République des travailleurs, qui porte toujours en bandeau son lien avec les sections du dix-septième de l’Internationale, dans son numéro daté du 4 février, avec certes des réserves, on aurait pu faire mieux, etc. mais elle est là.

Une autre preuve ? La lettre de Malon que publie le même Mot d’ordre dès le lendemain, 7 février.

Citoyen rédacteur,

C’est par erreur que mon nom figure au bas d’une rectification concernant la liste des quatre comités Alliance républicaine; Défenseurs de la République; Union républicaine centrale; Association internationale des travailleurs.
Ces dissensions, qui viennent originellement de ce que le Conseil fédéral actuel n’est pas universellement reconnu par les adhérents de Paris, sont bien compréhensibles dans des jours aussi agités que ceux que nous traversons ; elles n’en sont pas moins indignes du haut caractère de la grande Association. Il est vrai qu’elles cesseront le jour où des élections régulières auront donné au Conseil fédéral des attributions incontestables et incontestées.

Salut fraternel
B. MALON

Il y a des dissensions, et Malon les expose publiquement — sans expliquer sur quoi elles portent.

Même s’il ne restera pas député très longtemps, être ainsi soutenu l’a peut-être aidé à être élu. Car il l’a été (mais les résultats, c’est pour plus tard!).

*

N’empêche, on peut maintenant manger du bœuf à Paris, comme le montre l’estampe d’Auguste Lançon, boulevard Montrouge (aujourd’hui Edgar Quinet, qui sera d’ailleurs un des élus) en février 1871, que j’ai utilisée comme couverture après l’avoir trouvée au musée Carnavalet.

Livres utilisés

Dautry (Jean) et Scheler (Lucien)Le Comité central républicain des vingt arrondissements de Paris, Éditions sociales (1960).

Varlin (Eugène), Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2019).

Cet article a été préparé en août 2020.