Si vous avez oublié que ceux qui gouvernent depuis cinq mois sont arrivés au pouvoir presque par hasard, sans jamais avoir été confrontés au vote des Français (le plébiscite du 3 novembre ne concernait que Paris), sachez que les Prussiens, eux y pensent, et qu’ils souhaitent que leurs cinq milliards, comme l’annexion de l’Alsace et de la Moselle ne puissent être contestés. Il faut donc élire une assemblée… pour signer la « paix ».

Le moins qu’on puisse dire est que les élections se préparent dans la pagaille. Le mode d’élection lui-même est une pagaille. Chaque département doit élire un certain nombre de députés, quarante-trois dans le cas de la Seine (le département qui regroupe Paris et ce que l’on appelle aujourd’hui les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne).

Mettons que nous soyons électeur (je le répète, le masculin n’est pas neutre, mais mettons-nous, brièvement, à la place d’un électeur) à Paris. Il faudra choisir, parmi tous les candidats, les quarante-trois que nous préférons, les inscrire sur notre bulletin de vote. Ce n’est pas un scrutin de liste, on fait ce qu’on veut. De chaque bulletin, il faudra lire et pointer quarante-trois noms, comptabiliser chacun des votes, tout ajouter… il ne faudra pas s’étonner que le dépouillement soit si long (voir nos articles des 11, 13 et 14 février).

D’autant plus qu’il y a énormément de candidats.

J’ai constitué un jour la liste de tous les candidats (à Paris) dont le nom apparaît sur une des affiches collectées dans le livre de Murailles politiques, et j’en ai trouvé… 388.

Beaucoup sont soutenus par une association, un groupe — dans la même source, j’ai compté une trentaine de ces groupes. Pour celles et ceux qui aiment les listes (les autres n’ont qu’à sauter), Fusion des comités républicains démocrates socialistes, Réunion électorale du collège de France, Comité Catholique, Comité des Républicains radicaux de la rive gauche et de la rive droite, Groupe d’électeurs républicains radicaux, Comité libéral républicain du département de la Seine, Conclave républicain socialiste de Paris, Comité central républicain des communes de la Seine, Candidats socialistes révolutionnaires, Fusion républicaine et socialiste, Comité central révolutionnaire et socialiste des clubs et comités électoraux des vingt arrondissements de Paris, Union Patriotique, Ligue Antimonarchique, Union nationale, Comité républicain radical du XIe, Comité républicain du XIIe, Comité du 1er arrondissement, Comité électoral républicain du 3e arrondissement, Comités républicains des 2e, 4e, 11e 12e, Comité Salut de la République du 3e, Union républicaine du 16e cercle républicain du 10e, Comité de défense du IXe, Comité libéral républicain, Aux Electeurs de la Seine, Avis au Peuple, Liste Libérale, Liste définitive du Comité central républicain de la Garde nationale, Comité soutenant Maurice Joly, Comité central républicain, Comité du Salut de la République, Club positiviste de Paris, Comité républicain de Bercy…

Et, bien entendu, certains candidats sont soutenus par plusieurs de ces groupes. Le plus soutenu est Louis Blanc (22 fois), suivi d’Edgar Quinet (21), de Victor Hugo et Garibaldi (19), de Gambetta (18), de Lockroy et Rochefort (16)…

Ceux qui, au cours d’une autre élection, bientôt, seront élus à la Commune — et traités d’inconnus — ne sont pas si inconnus que ça: Delescluze, Gambon et Ranc sont recommandés 15 fois, Malon et Pyat 13 fois, Lefrançais 9 fois, Ranvier et Varlin 8 fois, Eudes et Jules Miot 7 fois, Blanqui, Cournet, Léo Meilliet, Oudet, Theisz, Tridon et Vallès 6 fois…

M. Thiers, qui, à la suite de différentes hésitations (je suis polie) du dépouillement, parviendra à être un élu de Paris (voir nos articles des 11 et 14 février), n’était soutenu que 7 fois.

Mais nous n’en sommes pas là, nous en sommes à l’établissement des listes. Dans la liste ci-dessus, vous avez certainement noté les « Candidats socialistes révolutionnaires ». Cela va peut-être vous étonner, mais c’est d’eux que je parle dans la suite de cet article.

Voici le texte de leur affiche (la citation en vert), incluant la liste des quarante-trois candidats, une belle brochette de ceux que nous avons rencontrés ici ou là (blanquistes, internationaux, délégués des vingt arrondissements) ces derniers mois:

Février 1871

Assemblée nationale

Candidats socialistes révolutionnaires proposés par :

L’Association internationale des travailleurs
La Chambre fédérale des Sociétés ouvrières
La Délégation des Vingt arrondissements

Ceci est la liste des candidats présentés, au nom d’un monde nouveau, par le parti des déshérités, parti immense, mais qui, jusqu’aujourd’hui n’a pu être agréé, pour quoi que ce soit, par les classes qui gouvernent la société.
Pendant le siège, il n’a cessé dès le premier jour, de protester contre l’incapacité, sinon contre la perfidie du Gouvernement dit de la Défense nationale; il a montré l’abîme où nous marchions; il a essayé de détourner Paris de cette route fatale; il n’a recueilli, pour prix de ses efforts, que calomnies, menaces et persécutions.
Ce qu’il craignait, ce qu’il n’a pu empêcher, s’est abattu sur la France, et l’a terrassée.
Lorsqu’il s’agit de la relever, voudra-t-on, enfin accorder à ce parti le moyen de dire légalement, devant le pays, un mot d’avis ; ou bien ceux qui l’ont frappé jusqu’ici d’un implacable ostracisme persisteront-ils à le refouler, comme un troupeau de parias, dans les régions proscrites où toute revendication est tenue pour une révolte ?
La France va se reconstituer à nouveau. Les travailleurs ont le droit de trouver et de prendre leur place dans l’ordre qui se prépare.
Il faut que la responsabilité du parti républicain socialiste soit dégagée.
Les candidatures socialistes révolutionnaires signifient:
Défense à qui que ce soit de mettre la République en question;
Nécessité de l’avènement politique des travailleurs;
Chute de l’oligarchie gouvernementale et de la féodalité industrielle;
Organisation d’une République, qui, en rendant aux ouvriers leur instrument de travail, comme celle de 1792 rendit la terre aux paysans, réalisera la liberté politique par l’égalité sociale.

Liste des candidats socialistes révolutionnaires
Ant. ARNAUD, ex-employé des chemins de fer; AVRIAL, mécanicien; Ch. BESLAY, ancien représentant du peuple; BLANQUI; DEMAY, statuaire; E. [sic, pour Simon] DEREURE, cordonnier, adjoint au 18e arrondissement; E. DUPAS, médecin; Eug. DUPONT, ouvrier en instrument de musique, secrétaire, pour la France, du Conseil général de l’Internationale; Jacques DURAND, cordonnier [Jacques Durand, dont on parle peu, sera élu à la Commune le 16 avril et froidement assassiné le 25 mai]; Émile DUVAL, fondeur en fer; EUDES, chef de bataillon révoqué; FLOTTE, cuisinier; FRANKEL, bijoutier; F. GAMBON, ancien représentant du peuple; GARIBALDI; Dr Edmond GOUPIL, ex-chef de bataillon; GRANGER, cultivateur, chef de bataillon révoqué; Alph. HUMBERT, ancien rédacteur de La Marseillaise; JACLARD, adjoint au 18e arrond; JARNIGON, tailleur; Dr LACAMBRE, chef de bataillon révoqué; LACORD, cuisinier; LANGEVIN, mécanicien; LEFRANÇAIS, adj. élu au 20e arr.; LEVERDAYS, chimiste; Ch. LONGUET, chef de bataillon; MACDONEL, ébéniste ; MALON, teinturier, adjoint au 13e [sic pour 17e] arrondissement; Léo MEILLET, adj. au 17e [sic pour 13e] arrond; MINET, peintre en céramique; OUDET, peintre sur porcelaine, adjoint démissionnaire du 19e arrondissement; PINDY, menuisier; Félix PYAT; RANVIER, peintre en céramique, maire élu du 20e arrondissement; Aristide REY, homme de lettres; Éd. ROULLIER, cordonnier; Auguste SERRAILLIER, ouvrier formier; THEISZ, ciseleur; TOLAIN, ciseleur, adjoint au 11e arrondissement; G. TRIDON, rédacteur de La Patrie en danger; Éd. VAILLANT, ingénieur civil; Jules VALLÈS; VARLIN, relieur.

Pour le conseil fédéral des sections parisiennes de l’Association internationale des travailleurs
Le Secrétaire : Henri GOULLÉ.
Pour la Chambre fédérale des Sociétés ouvrières,
Le Secrétaire : BUDACH.
Pour la délégation des Vingt arrondissements de Paris
Le Secrétaire : CONSTANT MARTIN.
Siège du Comité, place de la Corderie, 6.

Le vote a lieu le 8 février.

*

J’ai copié l’affiche qui sert de couverture dans le livre Murailles politiques, à défaut de la trouver ailleurs. Je sais que la reproduction est mauvaise, mais le texte est dans l’article!

Livre utilisé

Murailles politiques françaises, Paris, A. Le Chevallier (1873-1874).

Cet article a été préparé en août 2020.